Cour de justice de l’Union européenne, le 22 juin 2017, n°C-126/16

En application de la directive 2001/23/CE, le transfert d’une entreprise entraîne en principe le maintien des droits des travailleurs, qui passent au service du nouvel employeur. Une exception majeure à ce principe est prévue lorsque l’entreprise fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité ouverte en vue de sa liquidation. C’est précisément sur les contours de cette exception que la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer dans un arrêt du 22 juin 2017. En l’espèce, une importante société néerlandaise de garderies d’enfants, confrontée à des difficultés financières insurmontables, a préparé une cession de ses activités les plus saines par le biais d’une procédure informelle connue sous le nom de « pre-pack ». Cette opération, préparée en amont de toute procédure officielle avec un curateur et un juge-commissaire pressentis, visait à organiser un redémarrage rapide de l’entreprise immédiatement après une déclaration de faillite. La faillite a été prononcée et, le jour même, une nouvelle société a racheté une grande partie des établissements et a proposé un nouveau contrat de travail à une partie seulement du personnel. Les travailleurs qui n’ont pas été repris par la nouvelle entité, ainsi qu’une organisation syndicale, ont saisi une juridiction néerlandaise afin de faire constater que leurs contrats de travail avaient été transférés de plein droit en application de la directive. Ils soutenaient que l’opération ne relevait pas de l’exception applicable aux procédures de liquidation. La juridiction de renvoi a alors interrogé la Cour de justice sur le point de savoir si une telle procédure de « pre-pack », qui vise à la fois à maximiser le produit de la cession pour les créanciers et à assurer la poursuite de l’activité, pouvait être qualifiée de procédure ouverte « en vue de la liquidation des biens du cédant » au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/23/CE. La Cour répond par la négative, considérant que la protection des travailleurs est maintenue dans une telle situation. Elle juge qu’une procédure qui vise principalement à la survie de l’entreprise ne peut être assimilée à une procédure de liquidation, peu important qu’elle cherche également à maximiser le produit de cession. La Cour ajoute qu’une telle opération, dans sa phase préparatoire, n’est pas soumise au contrôle d’une autorité publique compétente, ce qui constitue une autre condition pour l’application de l’exception. Cette solution, qui réaffirme la primauté de la protection des travailleurs, repose sur une interprétation stricte des dérogations prévues par la directive (I). Elle emporte des conséquences significatives pour les pratiques nationales en matière d’insolvabilité, en clarifiant la portée de l’exception au transfert automatique des contrats de travail (II).

***

I. Une interprétation stricte de l’exception subordonnée à la finalité de la procédure d’insolvabilité

La Cour de justice conditionne l’application de l’exception prévue à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2001/23/CE au respect de deux critères cumulatifs : la finalité de la procédure, qui doit être la liquidation, et l’existence d’un contrôle public. En analysant la procédure de « pre-pack », la Cour constate qu’aucune de ces deux conditions n’est remplie. Elle rejette ainsi une conception extensive de la notion de procédure de liquidation (A) et rappelle l’exigence d’un contrôle effectif par une autorité publique compétente (B).

A. Le rejet d’une conception extensive de la procédure de liquidation

La directive 2001/23/CE a pour objectif principal de protéger les travailleurs en cas de changement de chef d’entreprise. Les dérogations à ce principe, comme celle prévue à l’article 5, paragraphe 1, doivent donc faire l’objet d’une interprétation stricte. La Cour examine ainsi la finalité de la procédure de « pre-pack » pour déterminer si elle peut être qualifiée de procédure ouverte « en vue de la liquidation des biens du cédant ». Elle distingue clairement entre les procédures visant la poursuite de l’activité de l’entreprise et celles qui visent sa liquidation, c’est-à-dire la réalisation de ses actifs pour désintéresser collectivement les créanciers.

En l’occurrence, la juridiction de renvoi avait souligné que le « pre-pack » poursuivait un double objectif : la survie de l’entreprise et la maximisation du produit de la cession. La Cour considère cependant que l’objectif principal est bien la sauvegarde de l’entreprise. Elle relève que l’opération « vise à préparer la cession de l’entreprise dans ses moindres détails afin de permettre le redémarrage rapide des unités viables de l’entreprise après le prononcé de la faillite ». Cet objectif de continuité est, selon la Cour, incompatible avec la notion de liquidation. Elle estime que « l’objectif économique et social qu’elle poursuit ne saurait expliquer ni justifier que, lorsque l’entreprise concernée fait l’objet d’un transfert total ou partiel, ses travailleurs soient privés des droits que leur reconnaît la directive 2001/23 ». La seule circonstance que l’opération vise également à maximiser le désintéressement des créanciers ne suffit pas à la transformer en une procédure de liquidation au sens de la directive.

B. L’exigence d’un contrôle effectif par une autorité publique

Outre la finalité de la procédure, l’article 5, paragraphe 1, de la directive exige que celle-ci se trouve « sous le contrôle d’une autorité publique compétente ». La Cour examine la phase préparatoire du « pre-pack » et constate qu’elle ne satisfait pas à cette condition. En effet, cette phase n’est pas encadrée par la loi néerlandaise et se déroule sous l’égide de l’entreprise elle-même, avec le concours d’un curateur et d’un juge-commissaire qui sont simplement « pressentis » et ne disposent d’aucun pouvoir formel.

La Cour souligne que les négociations et les décisions préparant la vente de l’entreprise sont menées par sa propre direction, sans véritable contrôle public. Le fait que le curateur obtienne l’autorisation de la cession très rapidement après la déclaration de faillite démontre que les décisions essentielles ont été prises en amont, en dehors de tout cadre formel et de toute supervision par une autorité publique. La Cour estime que cette manière de procéder est « susceptible de vider largement de son contenu tout éventuel contrôle de la part d’une autorité publique compétente ». Par conséquent, la condition du contrôle public n’étant pas remplie, l’exception de l’article 5, paragraphe 1, ne peut s’appliquer.

II. La portée de la solution : la primauté de l’objectif de protection des travailleurs sur les pratiques nationales

En refusant de faire entrer le « pre-pack » dans le champ de l’exception prévue par la directive, la Cour de justice ne se contente pas de trancher un cas d’espèce ; elle rend une décision de principe qui a une portée considérable. Cette solution réaffirme la place centrale du principe de maintien des droits des travailleurs dans le droit de l’Union (A) et conduit à une remise en cause directe des procédures d’insolvabilité développées par la pratique nationale lorsqu’elles ne sont pas suffisamment encadrées par la loi (B).

A. La réaffirmation du principe de maintien des droits des travailleurs

La décision commentée s’inscrit dans une jurisprudence constante qui vise à assurer l’effet utile de la directive 2001/23/CE. En soumettant le « pre-pack » au régime de droit commun du transfert d’entreprise, la Cour rappelle que l’objectif de protection des travailleurs prime sur les considérations purement économiques qui sous-tendent de telles procédures. Elle empêche que des mécanismes nationaux, conçus pour des raisons d’efficacité économique, ne servent à contourner les droits sociaux fondamentaux garantis par le droit de l’Union.

La Cour envoie un message clair : l’ingénierie juridique en matière d’insolvabilité ne doit pas avoir pour conséquence de priver les travailleurs de la protection que leur offre la directive. En soumettant la dérogation à des conditions strictes et cumulatives, elle préserve la cohérence du système et la sécurité juridique pour les salariés. La valeur de cet arrêt réside ainsi dans sa fermeté à maintenir le cap de la protection sociale, même face à des pratiques innovantes présentées comme des outils de sauvetage d’entreprises en difficulté. Le sauvetage ne peut se faire au détriment des droits des salariés, sauf dans le cadre strict et transparent d’une procédure de liquidation prévue et contrôlée par la loi.

B. La remise en cause des procédures de « pre-pack » non encadrées par la loi

La portée de cet arrêt est particulièrement importante pour les États membres où des pratiques comme le « pre-pack » se sont développées en marge du droit positif. La Cour ne condamne pas le « pre-pack » en lui-même, mais elle lui dénie la possibilité de bénéficier de l’exception de l’article 5, paragraphe 1, de la directive, tant qu’il n’est pas assimilable à une procédure de liquidation et qu’il n’est pas légalement encadré pour garantir un contrôle public.

Cette décision constitue un `arrêt de principe` qui oblige les législateurs nationaux à clarifier le statut de ces procédures. Soit ils les intègrent dans leur droit de l’insolvabilité en s’assurant qu’elles respectent les conditions posées par la directive s’ils souhaitent bénéficier de l’exception, soit ils doivent accepter que tout transfert réalisé dans ce cadre emporte le maintien intégral des droits des travailleurs. L’arrêt limite donc l’autonomie des États membres dans la création de procédures d’insolvabilité « sur mesure » et renforce l’harmonisation des règles de protection des travailleurs à l’échelle de l’Union. Il contraint la pratique à se conformer à la norme, assurant ainsi une meilleure prévisibilité et une protection accrue pour les salariés confrontés à la faillite de leur employeur.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture