Cour de justice de l’Union européenne, le 22 juin 2021, n°C-718/19

Par un arrêt en date du 22 juin 2021, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, a précisé le cadre juridique applicable aux mesures coercitives pouvant accompagner l’éloignement d’un citoyen de l’Union pour des raisons d’ordre public. Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour constitutionnelle de Belgique, la Cour était amenée à se prononcer sur la compatibilité avec le droit de l’Union d’une législation nationale qui aligne en partie le régime d’éloignement des citoyens de l’Union sur celui des ressortissants de pays tiers.

En l’espèce, plusieurs associations de défense des droits des étrangers avaient introduit un recours en annulation contre une loi de 2017 modifiant la législation belge sur le séjour des étrangers. Cette loi permettait d’imposer aux citoyens de l’Union faisant l’objet d’un ordre de quitter le territoire pour des motifs d’ordre public des mesures préventives visant à éviter leur fuite, similaires à celles applicables aux ressortissants de pays tiers. Elle prévoyait également la possibilité de les placer en rétention pour une durée maximale de huit mois, identique à celle fixée pour les ressortissants de pays tiers, afin de garantir leur éloignement forcé. La juridiction de renvoi, doutant de la conformité de ces dispositions avec les articles 20 et 21 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et la directive 2004/38/CE, a interrogé la Cour sur deux points. Elle lui a demandé si le droit de l’Union s’opposait, d’une part, à l’application de mesures préventives similaires à celles de la directive 2008/115/CE (« directive retour ») et, d’autre part, à l’application d’une durée maximale de rétention identique à celle prévue pour les ressortissants de pays tiers.

À cette double interrogation, la Cour de justice a apporté une réponse nuancée. Elle a jugé que le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce qu’une réglementation nationale prévoie des mesures préventives visant à éviter le risque de fuite d’un citoyen de l’Union, même si elles sont similaires à celles prévues pour les ressortissants de pays tiers, à condition que ces mesures respectent les principes de la directive 2004/38 et ne soient pas moins favorables. En revanche, elle a estimé que le droit de l’Union s’oppose à ce que la durée maximale de rétention d’un citoyen de l’Union soit identique à celle applicable à un ressortissant de pays tiers, considérant que leurs situations ne sont pas comparables au regard de la procédure d’éloignement.

L’arrêt établit ainsi une distinction claire entre la possibilité pour les États membres de s’inspirer des outils de la directive retour pour assurer l’efficacité de leurs décisions d’éloignement (I) et l’interdiction de procéder à une assimilation pure et simple des régimes de rétention qui méconnaîtrait le statut spécifique du citoyen de l’Union (II).

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I. La validation d’un pouvoir coercitif encadré pour l’exécution des décisions d’éloignement

La Cour de justice reconnaît aux États membres la faculté d’adopter des mesures contraignantes pour garantir l’effectivité de l’éloignement d’un citoyen de l’Union, y compris en s’inspirant du régime applicable aux ressortissants de pays tiers (A). Toutefois, elle soumet cette faculté au respect de conditions strictes découlant du statut de citoyen de l’Union (B).

A. La légitimation de mesures préventives contre le risque de fuite

La Cour constate d’abord que la directive 2004/38, qui régit la libre circulation des citoyens de l’Union, ne contient pas de dispositions précises sur les mesures pouvant être prises pour éviter le risque de fuite d’une personne faisant l’objet d’une décision d’éloignement. En l’absence de réglementation de l’Union, les États membres conservent la compétence pour édicter des règles à cet effet. La Cour admet donc qu’un État membre puisse « s’inspirer des dispositions de la directive 2008/115 », notamment de son article 7, paragraphe 3, qui autorise des mesures telles que l’obligation de se présenter aux autorités ou de demeurer en un lieu déterminé.

Le raisonnement de la Cour repose sur la nécessité de garantir l’effet utile des décisions d’éloignement prises pour des motifs d’ordre public. Une mesure visant à prévenir la fuite « contribue nécessairement à la protection de l’ordre public, dans la mesure où elle vise, en définitive, à assurer qu’une personne qui est considérée comme représentant une menace pour l’ordre public de l’État membre d’accueil soit éloignée du territoire de celui-ci ». L’objectif de la mesure préventive se rattache ainsi directement à la finalité de la décision d’éloignement elle-même, justifiant ainsi la restriction à la liberté de circulation qu’elle engendre. La Cour estime donc que de telles mesures sont, par principe, susceptibles d’être justifiées au titre de l’article 27 de la directive 2004/38.

B. L’exigence d’un traitement proportionné et non moins favorable

Cependant, la Cour encadre strictement cette faculté. L’application de mesures similaires à celles prévues pour les ressortissants de pays tiers ne doit pas conduire à ignorer le statut fondamental attaché à la citoyenneté de l’Union. Premièrement, toute mesure doit respecter les principes généraux de l’article 27 de la directive 2004/38, notamment le principe de proportionnalité et l’exigence d’un fondement exclusif sur le comportement personnel de l’individu. L’appréciation doit se faire au cas par cas, en privilégiant la mesure la moins restrictive si plusieurs options permettent d’atteindre l’objectif visé.

Deuxièmement, et de manière cruciale, la Cour souligne que le traitement réservé au citoyen de l’Union « ne sauraient être moins favorables que les mesures prévues dans le droit national afin d’éviter le risque de fuite […] des ressortissants de pays tiers ». Ce faisant, elle transpose la logique de l’arrêt *Petrea* du 14 septembre 2017 (C-184/16) en une garantie générale : si un État aligne les régimes, il ne peut le faire au détriment du citoyen de l’Union. Ainsi, si la législation nationale offre des garanties spécifiques aux ressortissants de pays tiers dans ce contexte, ces mêmes garanties doivent, a minima, bénéficier aux citoyens de l’Union.

II. La censure d’une assimilation des régimes de rétention

Si la Cour admet un rapprochement sur le terrain des mesures préventives, elle rejette fermement l’identité de traitement en matière de durée maximale de rétention. Elle fonde cette censure sur l’incomparabilité des statuts juridiques (A), qui entraîne des conséquences décisives sur l’appréciation de la proportionnalité de la rétention (B).

A. Le rappel de l’incomparabilité des statuts juridiques

La Cour opère une distinction fondamentale entre la situation du citoyen de l’Union et celle du ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier. Elle rappelle que « la citoyenneté de l’Union confère à chaque citoyen de l’Union un droit fondamental et individuel de circuler et de séjourner librement ». Ce statut, qualifié de « fondamental », implique que les dérogations au principe de la libre circulation doivent être interprétées strictement. À l’inverse, la directive 2008/115 s’applique à des personnes qui ne bénéficient pas de ce droit et se trouvent en situation irrégulière.

La Cour souligne que « les directives 2004/38 et 2008/115 ne partagent pas le même objet » et que les bénéficiaires de la première jouissent « d’un statut et de droits d’une nature toute autre ». Cette différence de nature interdit une simple transposition des règles d’une directive à l’autre, surtout lorsqu’il s’agit d’une mesure aussi grave qu’une privation de liberté. Traiter de manière identique des situations qui sont juridiquement et fondamentalement différentes constituerait une méconnaissance de la spécificité du statut de citoyen de l’Union.

B. Les conséquences sur l’appréciation de la proportionnalité de la durée de rétention

Cette distinction juridique emporte des conséquences pratiques qui rendent la situation des citoyens de l’Union non comparable à celle des ressortissants de pays tiers au regard de la durée nécessaire à l’éloignement. La Cour relève plusieurs éléments en ce sens. D’une part, « les États membres disposent de mécanismes de coopération et de facilités » pour l’éloignement d’un citoyen de l’Union vers un autre État membre, fondés sur la confiance mutuelle. D’autre part, l’identification d’un citoyen de l’Union est généralement plus aisée et rapide.

Enfin, l’article 27, paragraphe 4, de la directive 2004/38 impose à l’État membre d’origine de réadmettre son ressortissant sans formalité. Ces facteurs démontrent que les difficultés pratiques susceptibles de prolonger une procédure d’éloignement, comme « les retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires », ne se présentent pas avec la même acuité pour un citoyen de l’Union. Par conséquent, une durée de rétention maximale de huit mois, calquée sur celle des ressortissants de pays tiers qui peut se justifier par de telles difficultés, « va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi » dans le cas d’un citoyen de l’Union. Une telle durée est donc jugée disproportionnée et contraire au droit de l’Union.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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