La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision de sa sixième chambre rendue le 22 juin 2023, s’est prononcée sur l’interprétation de la directive relative au travail intérimaire. Un salarié engagé par une clinique a exercé son droit d’opposition lors du transfert de son service vers une filiale de droit privé. Son contrat est resté lié à l’employeur initial mais l’intéressé devait désormais accomplir ses missions de façon permanente auprès de la société cessionnaire.
Les juridictions de fond ont successivement rejeté le recours du travailleur contestant l’obligation de fournir sa prestation au sein de l’entité tierce. Saisi d’un recours en révision, le Tribunal fédéral du travail allemand a sollicité une décision préjudicielle concernant l’application de la directive 2008/104/CE à cette mise à disposition. Le litige opposait la pérennité de la relation de travail maintenue à l’exigence de protection des travailleurs effectuant des missions temporaires sous un pouvoir de direction externe.
Le problème de droit consistait à déterminer si la mise à disposition permanente d’un salarié auprès d’un tiers, après un transfert d’activité, relève du travail intérimaire. La Cour considère que la directive ne s’applique pas dès lors que le caractère temporaire de la mission et l’intention initiale de l’employeur font défaut. L’examen des critères organiques du travail intérimaire permet d’écarter cette qualification avant d’apprécier la validité du maintien des conditions contractuelles initiales.
I. L’inapplicabilité des critères organiques du travail intérimaire
A. Le défaut d’intention initiale de mise à disposition
La qualification d’entreprise de travail intérimaire suppose que le contrat soit conclu « dans le but que ce dernier soit mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice ». En l’espèce, le travailleur avait été recruté pour exécuter des tâches propres à son employeur bien avant le transfert des services concernés. L’intention de l’employeur de fournir du personnel à un tiers n’existait pas lors de la conclusion du contrat de travail initial.
L’opposition au transfert du contrat de travail a simplement maintenu une relation juridique préexistante sans modifier l’objet social de l’entité employeuse d’origine. La Cour souligne que cette intention fait défaut « non seulement lors de la conclusion de ce contrat, mais également lors de la mise à disposition ». La situation ne correspond donc pas au modèle économique visé par le législateur européen pour encadrer les agences de placement.
B. L’absence de caractère temporaire de la mission
Le champ d’application de la directive se limite aux travailleurs mis à disposition « afin de travailler de manière temporaire » sous la direction d’un tiers. L’arrêt précise que ces termes caractérisent les modalités de la mise à disposition et non la nature du poste occupé au sein de l’entreprise. Or, le mécanisme litigieux prévoyait un transfert définitif des fonctions vers la filiale, excluant par nature toute perspective de retour ou de transition.
Une prestation fournie de manière permanente au sein de l’entreprise tierce contredit l’essence même du travail intérimaire défini par le droit de l’Union. La Cour rappelle que la directive vise exclusivement des relations « transitoires ou limitées dans le temps » afin de répondre à des besoins de flexibilité. Le maintien durable du salarié auprès du cessionnaire écarte ainsi l’application des garanties prévues pour les missions de courte durée.
II. La préservation de la spécificité du transfert de fonctions
A. La protection assurée par le droit d’opposition
L’objectif de la directive est d’assurer la protection des travailleurs intérimaires en garantissant le respect du principe de l’égalité de traitement entre les salariés. Dans cette affaire, le travailleur a conservé l’intégralité de ses conditions de travail initiales et ses stipulations contractuelles grâce à l’exercice de son droit d’opposition. La sécurité de l’emploi est ainsi préservée sans qu’il soit nécessaire de mobiliser le cadre protecteur spécifique aux entreprises de travail temporaire.
Le risque d’abus ou de contournement des normes sociales semble exclu puisque le salarié choisit volontairement de rester lié à son employeur d’origine. La Cour considère que « la protection des travailleurs intérimaires prévue par la directive ne trouve pas à s’appliquer » à cette situation juridique particulière. L’équilibre entre la flexibilité organisationnelle de la clinique et la sécurité du salarié est maintenu par les mécanismes classiques du code civil.
B. La délimitation stricte du champ de la directive
La décision confirme que toutes les formes de mise à disposition de personnel ne sauraient être assimilées à du travail intérimaire au sens européen. L’interprétation littérale et systématique de l’article premier de la directive impose une lecture restrictive des situations soumises à ce régime juridique complexe. Les partenaires sociaux conservent la faculté d’organiser des transferts de fonctions au sein de conventions collectives sans se soumettre aux contraintes de l’intérim.
Cette solution renforce la prévisibilité juridique pour les employeurs publics et privés procédant à des restructurations internes impliquant la création de filiales dédiées. La Cour de justice valide ainsi la pratique nationale de mise à disposition permanente lorsqu’elle constitue une garantie contre la perte d’emploi. L’intégrité du droit de l’Union est préservée par cette distinction nette entre le détachement durable et la mission de travail temporaire.