Un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne vient éclairer les obligations des États membres quant à l’accès à la procédure de protection internationale. En l’espèce, un État membre avait modifié sa législation pour imposer aux ressortissants de pays tiers et aux apatrides une démarche particulière avant de pouvoir solliciter l’asile. Ces personnes, même si elles se trouvaient déjà sur le territoire ou aux frontières de cet État, devaient au préalable déposer une déclaration d’intention auprès d’une ambassade située dans un pays tiers et obtenir un document de voyage spécifique pour entrer légalement sur le territoire. Saisis d’un recours en manquement, les juges européens ont dû se prononcer sur la compatibilité d’une telle législation avec le droit de l’Union. Le problème de droit soulevé était de savoir si un État membre pouvait légalement conditionner l’accès à la procédure de demande de protection internationale à des formalités préalables se déroulant obligatoirement hors du territoire de l’Union. La Cour de justice a considéré qu’une telle exigence constituait un manquement aux obligations découlant de la directive 2013/32/UE, relative aux procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale. Cette décision réaffirme ainsi le droit d’accès direct à la procédure d’asile (I), tout en sanctionnant une tentative d’externalisation du traitement des demandes (II).
I. La réaffirmation du droit d’accès direct à la procédure d’asile
La Cour de justice, par cette décision, assure la primauté du cadre procédural européen en censurant l’ajout d’une condition non prévue par les textes (A) et garantit ainsi le caractère effectif du droit de déposer une demande sur le territoire de l’Union (B).
A. La censure d’une conditionnalité contraire à la lettre de la directive
Le raisonnement de la Cour repose sur une interprétation stricte de l’article 6 de la directive 2013/32/UE. Ce texte vise à établir des procédures communes afin d’assurer un traitement équivalent des demandes au sein de l’Union. En jugeant qu’« en subordonnant la possibilité, pour certains ressortissants de pays tiers ou apatrides […] de présenter une demande de protection internationale au dépôt préalable d’une déclaration d’intention auprès d’une ambassade hongroise située dans un pays tiers », l’État membre a ajouté une étape qui n’est prévue nulle part dans le droit de l’Union. La directive organise les modalités de dépôt et d’examen des demandes présentées par des personnes se trouvant sur le territoire des États membres, y compris à leurs frontières. La législation nationale critiquée créait un obstacle procédural majeur, rendant dans les faits impossible le dépôt d’une demande pour une personne arrivée aux frontières sans avoir accompli cette démarche préalable. Une telle disposition contrevient directement à l’objectif d’accessibilité de la procédure.
B. La garantie de l’effectivité de la demande sur le territoire
Au-delà de la lettre du texte, la Cour protège l’effet utile du droit de solliciter une protection internationale. La possibilité de déposer une demande doit être concrète et non purement théorique. Le dispositif national revenait à nier la réalité de la présence d’une personne sur le territoire ou à la frontière, en la contraignant à un détour par un pays tiers pour simplement initier sa démarche. Cela vide de sa substance le droit fondamental d’asile, en retardant et en complexifiant excessivement son accès. La Cour rappelle implicitement que la procédure de protection internationale est déclenchée par la présence du demandeur sous la juridiction de l’État membre, et non par l’autorisation que cet État voudrait bien lui accorder pour formuler sa demande. La décision garantit donc que le lieu de la demande reste le territoire de l’Union, conformément à l’économie générale du système d’asile européen commun.
Cette clarification du sens de la directive s’accompagne d’une appréciation sévère de la finalité de la mesure nationale, dont la portée réelle est également mise en lumière et sanctionnée.
II. La sanction d’une politique d’externalisation du droit d’asile
La décision a une valeur critique importante en ce qu’elle condamne une forme d’externalisation du traitement des demandes (A), et sa portée est considérable, car elle réaffirme la compétence de l’Union face aux politiques migratoires nationales restrictives (B).
A. La condamnation d’une délocalisation de fait de l’examen des demandes
En imposant une « déclaration d’intention » dans une ambassade à l’étranger, l’État membre ne se contentait pas d’ajouter une formalité. Il instaurait un filtre préalable au dépôt de la demande, opéré en dehors du territoire de l’Union et des garanties procédurales que la directive attache à l’examen de toute demande d’asile. Cette étape pouvait s’analyser comme un examen de recevabilité déguisé, permettant de rejeter des demandeurs potentiels avant même qu’ils n’atteignent le territoire européen et ne bénéficient des droits accordés par la directive. La Cour censure cette tentative de délocalisation du contrôle des flux migratoires, qui est contraire au principe selon lequel l’examen d’une demande de protection relève de la compétence de l’État membre sur le territoire duquel elle est déposée. La valeur de l’arrêt réside dans ce refus de valider une fiction juridique qui viserait à soustraire des personnes du champ d’application du droit d’asile de l’Union.
B. Le rappel de la primauté du droit de l’Union sur les politiques nationales
La portée de cet arrêt dépasse la seule question technique de l’accès à la procédure. Il s’inscrit dans un contexte où plusieurs États membres cherchent à limiter l’accueil des demandeurs d’asile par des mesures unilatérales. En déclarant que la législation nationale est un manquement, la Cour de justice joue pleinement son rôle de gardienne des traités et du droit dérivé. Elle rappelle que le système d’asile européen commun, bien qu’imparfait, constitue un ensemble de règles contraignantes qui ne sauraient être écartées par des considérations de politique migratoire nationale. Cette décision est un signal fort : la gestion des frontières et des demandes d’asile doit s’opérer dans le respect du cadre juridique commun. Elle pourrait ainsi faire jurisprudence face à d’autres tentatives de mettre en place des procédures préalables ou des mécanismes de filtrage qui porteraient atteinte au droit d’accéder à la procédure de protection internationale sur le territoire de l’Union.