Cour de justice de l’Union européenne, le 22 mai 2019, n°C-226/18

Par un arrêt dont la portée est significative en matière de droit douanier européen, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’articulation entre les dispositions générales du code des douanes et les régimes spécifiques d’exonération de droits antidumping.

En l’espèce, des marchandises, en l’occurrence des modules photovoltaïques, ont été importées depuis la République populaire de Chine. Une société liée à l’entité ayant fabriqué et facturé ces biens entendait bénéficier d’une exonération de droits antidumping et compensateurs, conformément aux règlements d’exécution (UE) n° 1238/2013 et n° 1239/2013. Cependant, la mise en libre pratique de ces marchandises n’a pas été effectuée dans le délai imparti par la réglementation douanière, ce qui a entraîné la naissance d’une dette douanière. Les autorités douanières nationales ont alors procédé au recouvrement des droits, estimant que les conditions de l’exonération n’étaient plus remplies. La société concernée a contesté cette décision devant une juridiction nationale, arguant qu’une disposition générale du code des douanes, l’article 212 bis du règlement n° 2913/92, relative aux erreurs des autorités compétentes, devait s’appliquer et permettre de régulariser la situation.

Saisie d’un renvoi préjudiciel par la juridiction nationale, la Cour de justice était confrontée à une double interrogation. D’une part, il s’agissait de déterminer si la disposition générale du code des douanes pouvait s’appliquer au régime d’exonération spécifique prévu par les règlements instituant les droits antidumping et compensateurs. D’autre part, et en cas de réponse affirmative, il convenait de préciser si les conditions de cette exonération étaient satisfaites lorsque la société bénéficiaire, bien qu’ayant eu l’intention de réaliser l’importation et reçu les marchandises, n’avait pas formellement agi en qualité d’importateur.

La Cour répond à la première question par l’affirmative, confirmant que l’article 212 bis du code des douanes « s’applique aux exonérations de droits antidumping et de droits compensateurs ». En revanche, elle adopte une solution restrictive sur la seconde question, jugeant que la condition d’exonération n’est pas remplie dès lors que la société bénéficiaire « n’a pas agi en tant qu’importateur de ces marchandises et ne les a pas mises en libre pratique, alors même qu’elle avait l’intention de le faire et qu’elle a effectivement reçu livraison desdites marchandises ».

Si la Cour admet l’application d’une disposition générale du code des douanes à ces mesures de défense commerciale (I), elle en circonscrit néanmoins les effets par une interprétation rigoureuse des conditions d’exonération (II).

I. L’extension du champ d’application de l’article 212 bis aux droits antidumping

La Cour de justice consacre la prééminence des dispositions générales du code des douanes sur les règlements spécifiques (A), offrant ainsi une clarification notable pour la sécurité juridique des opérateurs économiques (B).

A. La primauté du code des douanes communautaire sur les règlements spécifiques

Dans la première partie de sa décision, la Cour établit que l’article 212 bis du règlement n° 2913/92, qui vise à tempérer les conséquences d’une dette douanière née d’une erreur, constitue une disposition de portée générale. Elle juge que les règlements instituant des droits antidumping et compensateurs, bien que spécifiques, ne sauraient déroger implicitement aux principes fondamentaux du droit douanier commun. En affirmant que cet article « s’applique aux exonérations de droits antidumping et de droits compensateurs », la Cour rappelle que les mesures de défense commerciale s’inscrivent dans le cadre plus large du droit de l’Union et doivent être interprétées en cohérence avec celui-ci.

Cette solution préserve l’unité du système juridique douanier. Elle évite une application fragmentée du droit où chaque règlement spécifique créerait un régime entièrement dérogatoire, y compris pour les dispositions procédurales générales. La Cour confirme ainsi que les garanties offertes par le code des douanes, telles que la possibilité de ne pas recouvrer une dette née de certaines défaillances, ont vocation à s’appliquer à l’ensemble des dettes douanières, quelle que soit leur origine, sauf exclusion expresse.

B. Une clarification bienvenue pour la sécurité juridique des opérateurs

La portée de cette première affirmation est considérable pour les opérateurs économiques. En confirmant l’applicabilité de l’article 212 bis, la Cour reconnaît qu’une simple erreur procédurale ne doit pas automatiquement priver une entreprise du bénéfice d’une exonération à laquelle elle pourrait légitimement prétendre sur le fond. Cela introduit un élément de souplesse et de proportionnalité dans la gestion des procédures douanières complexes. Les entreprises important des biens soumis à des engagements de prix ou à des exonérations conditionnelles disposent ainsi d’une voie de recours en cas de défaillance non intentionnelle dans l’accomplissement des formalités.

Cette clarification renforce la sécurité juridique en harmonisant le traitement des dettes douanières. Les importateurs savent désormais que les mécanismes généraux de régularisation prévus par le code des douanes peuvent être invoqués, même dans le contexte très encadré des mesures antidumping. La solution adoptée par la Cour représente un juste équilibre entre la nécessité de lutter contre les pratiques commerciales déloyales et le respect des droits des opérateurs de bonne foi.

II. L’interprétation stricte des conditions matérielles de l’exonération

Toutefois, cette souplesse de principe se heurte à une application rigoureuse des conditions de fond. La Cour insiste sur l’exigence fonctionnelle du statut d’importateur (A), ce qui la conduit à rejeter la simple prise en compte de l’intention de l’opérateur (B).

A. L’exigence fonctionnelle du statut d’importateur

Dans la seconde partie de son raisonnement, la Cour se livre à une analyse minutieuse des conditions posées par les règlements d’exécution n° 1238/2013 et n° 1239/2013. Elle rappelle que l’exonération des droits est subordonnée à des conditions précises, notamment quant à l’identité de l’opérateur qui procède à la mise en libre pratique. La décision souligne que la qualité d’importateur ne résulte pas d’une simple intention ou de la réception matérielle des biens, mais d’un acte juridique formel : la déclaration en douane.

En jugeant que la condition d’exonération n’est pas remplie lorsque la société bénéficiaire « n’a pas agi en tant qu’importateur de ces marchandises et ne les a pas mises en libre pratique », la Cour adopte une lecture littérale et formaliste. Elle considère que le rôle de déclarant est une condition substantielle de l’exonération, car il permet aux autorités douanières d’identifier sans ambiguïté la partie responsable et de s’assurer du respect de l’engagement de prix. Le fait que l’entreprise ait fabriqué, expédié et facturé les marchandises est jugé insuffisant pour pallier l’absence de cette qualité formelle d’importateur.

B. Le rejet de la prise en compte de l’intention

La conséquence directe de cette approche est le refus de prendre en considération l’intention de l’opérateur. La Cour écarte l’argument selon lequel l’entreprise avait l’intention d’agir comme importateur et a effectivement reçu les marchandises. En droit douanier, la réalité des flux économiques et la volonté des parties ne peuvent primer sur l’accomplissement des formalités requises. Cette sévérité s’explique par la nature même des mesures de défense commerciale. Les exonérations accordées dans le cadre d’un engagement sont la contrepartie d’une coopération stricte des exportateurs, et leur bénéfice est conditionné au respect scrupuleux de toutes les obligations, y compris procédurales.

Admettre qu’une simple intention puisse suffire à régulariser un défaut de procédure reviendrait à créer une brèche dans le système de contrôle et à rendre difficile la lutte contre le contournement des droits. La Cour rappelle ainsi que les régimes dérogatoires, tels que les exonérations de droits antidumping, sont d’interprétation stricte. L’opérateur qui souhaite en bénéficier doit assumer une diligence particulière et s’assurer que l’ensemble des conditions formelles et substantielles sont méticuleusement respectées. La décision, tout en ouvrant une porte sur le terrain des principes généraux, la referme sur celui des conditions d’application spécifiques, illustrant le délicat équilibre du contentieux douanier.

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Hassan KOHEN
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