Cour de justice de l’Union européenne, le 22 mai 2025, n°C-213/23

La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision rendue en sa dixième chambre, se prononce sur le manquement d’un État membre à ses obligations. Le litige porte sur la non-transposition de la directive 2019/1024 concernant les données ouvertes et la réutilisation des informations du secteur public. L’État membre n’a pas adopté les dispositions législatives nécessaires avant la date butoir fixée au 17 juillet 2021 par le texte européen. L’institution compétente a émis un avis motivé le 6 avril 2022 enjoignant l’État de se conformer aux prescriptions de la directive. Devant la persistance du retard, un recours a été introduit devant la Cour de justice afin de faire constater officiellement l’infraction. L’institution sollicite également le paiement d’une somme forfaitaire sur le fondement de l’article 260, paragraphe 3, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Bien que la transposition soit finalement intervenue durant l’instance, la demande de sanction pécuniaire forfaitaire est maintenue par la partie demanderesse. La question posée est de savoir si un État membre peut justifier un retard de transposition par la complexité de conciliation entre données publiques et vie privée. La Cour doit également préciser les modalités de fixation d’une somme forfaitaire proportionnée à la gravité et à la durée de l’infraction constatée. La Cour affirme que le manquement est constitué et rejette les arguments relatifs à la pandémie ou à la difficulté technique du texte. L’arrêt condamne l’État au versement de dix millions d’euros en raison de la durée et de la gravité de la carence.

I. La consécration du manquement objectif lié à la carence de transposition

A. La rigueur de l’obligation de communication des mesures nationales

La Cour rappelle que les États membres sont tenus de prendre les mesures nécessaires pour transposer les directives dans les délais prescrits par le législateur. Selon une jurisprudence constante, « l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé ». Au terme de ce délai, aucune mesure législative n’avait été formellement adoptée par les autorités nationales concernées pour satisfaire aux exigences de la directive.

Cette obligation de communication doit contenir des informations suffisamment claires et précises quant au contenu des normes nationales de transposition. Une telle exigence vise à faciliter la mission de l’institution consistant à veiller à l’application des dispositions des traités et des actes dérivés. La Cour souligne que « le manquement d’un État membre à cette obligation peut justifier, à lui seul, l’ouverture de la procédure visant à la constatation de ce manquement ». L’absence totale d’information au terme du délai imparti par l’avis motivé suffit donc à établir l’infraction juridique reprochée.

B. L’inopposabilité des justifications tirées de l’ordre interne

L’État membre invoque la pandémie mondiale comme une circonstance exceptionnelle ayant entravé le processus législatif national durant plusieurs mois. La Cour écarte cet argument en soulignant que le retard de trois ans dépasse largement les difficultés strictement imputables à la crise sanitaire. Si le législateur européen avait jugé ces effets insurmontables, il aurait décidé de proroger le délai de transposition initialement prévu par la directive. Le respect des délais garantit l’exécution uniforme des règles de l’Union sur l’ensemble du territoire de l’organisation.

L’État avance également la complexité technique de la conciliation entre la réutilisation des données et la protection de la vie privée. Les juges considèrent toutefois que le législateur de l’Union a déjà pris en compte cette articulation lors de l’adoption du texte. Le retard est ainsi lié à des choix stratégiques propres à l’administration nationale plutôt qu’à une difficulté extérieure insurmontable. Un État membre ne saurait exciper de situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inexécution d’une obligation résultant du droit de l’Union.

II. La modulation juridictionnelle de la sanction pécuniaire dissuasive

A. Le rejet d’une application automatique des coefficients de gravité

L’institution demanderesse proposait l’application d’un coefficient de gravité fixe pour sanctionner le défaut complet de communication des mesures de transposition. La Cour rejette cette méthode automatique au motif qu’elle fait obstacle à l’adaptation de la sanction aux circonstances spécifiques de l’affaire. Elle estime que « l’application automatique d’un même coefficient de gravité dans tous les cas d’absence de transposition complète fait nécessairement obstacle à l’imposition de sanctions proportionnées ». Chaque directive présente des enjeux économiques et sociaux différents qui doivent influencer le calcul de la pénalité.

La gravité du manquement doit être appréciée au regard des conséquences de l’absence de transposition sur les intérêts publics et privés en présence. Dans cette affaire, le cadre normatif antérieur couvrait déjà partiellement les obligations de réutilisation des données publiques dans l’ordre juridique national. Cette circonstance atténue l’impact réel de l’infraction par rapport à une situation d’absence totale de législation dans le domaine concerné. La Cour adapte donc le montant de la sanction en tenant compte de la continuité partielle du régime juridique préexistant.

B. L’exercice du pouvoir d’appréciation dans la fixation du montant forfaitaire

La Cour dispose d’un pouvoir d’appréciation pour fixer une sanction adaptée au niveau de persuasion et de dissuasion requis par l’espèce. Elle retient une durée d’infraction de deux ans et onze mois courant depuis l’expiration du délai initial jusqu’à la notification des mesures. Pour évaluer la capacité de paiement, le produit intérieur brut de l’État membre constitue le facteur prédominant selon la jurisprudence récente. La Cour écarte l’utilisation d’un critère démographique supplémentaire qui fausserait la mesure réelle de la richesse nationale disponible pour la sanction.

La prévention effective de la répétition future d’infractions analogues impose le paiement d’une somme forfaitaire d’un montant significatif de dix millions d’euros. Cette condamnation sanctionne une violation qui porte atteinte à la pleine effectivité du droit de l’Union et à la sécurité juridique. La Cour souligne que « l’obligation de communiquer ces mesures constitue une obligation essentielle afin d’assurer la pleine effectivité du droit de l’Union ». Le montant retenu reflète finalement un équilibre entre la persistance prolongée du manquement et les mesures de régularisation intervenues tardivement.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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