Cour de justice de l’Union européenne, le 22 mai 2025, n°C-237/23

Par un arrêt rendu dans le cadre d’une procédure en manquement, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur les obligations de transposition d’une directive incombant à un État membre. En l’espèce, la Commission européenne a initié un recours contre un État au motif que ce dernier n’avait pas adopté, dans le délai imparti expirant le 17 juillet 2021, les dispositions nécessaires pour transposer la directive (UE) 2019/1024 relative aux données ouvertes et à la réutilisation des informations du secteur public. Après avoir adressé un avis motivé le 6 avril 2022, resté sans effet dans le délai de deux mois, la Commission a saisi la Cour en application de l’article 258 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), demandant non seulement la constatation du manquement, mais également la condamnation de l’État au paiement d’une somme forfaitaire sur le fondement de l’article 260, paragraphe 3, du même traité. Pour sa défense, l’État membre a invoqué une impossibilité objective de transposer la directive, arguant d’une instabilité politique marquée par des dissolutions parlementaires successives, de l’impact de la pandémie de covid-19 assimilé à un cas de force majeure, ainsi que d’une transposition partielle déjà assurée par sa législation préexistante. Le problème de droit soumis à la Cour portait donc sur la question de savoir si des circonstances d’ordre interne, telles qu’une crise politique ou sanitaire, peuvent exonérer un État membre de son obligation de transposer une directive dans les délais prescrits. En outre, il s’agissait de déterminer selon quels critères la Cour devait apprécier la proportionnalité d’une sanction pécuniaire pour un tel manquement. Par sa décision, la Cour de justice constate le manquement de l’État, écartant l’ensemble de ses justifications en s’appuyant sur une jurisprudence constante qui affirme la primauté et l’autonomie du droit de l’Union. Elle condamne ensuite l’État au paiement d’une somme forfaitaire, tout en exerçant son pouvoir d’appréciation pour en moduler le montant, s’écartant de la méthode de calcul proposée par la Commission.

Cette décision illustre d’une part la rigueur avec laquelle la Cour apprécie les obligations de transposition pesant sur les États membres (I), et d’autre part, le pouvoir modérateur qu’elle exerce dans la fixation des sanctions pécuniaires (II).

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I. Le caractère intangible des obligations de transposition

La Cour rappelle de manière orthodoxe l’étendue des devoirs qui incombent aux États membres dans le processus de transposition, en affirmant son indifférence aux difficultés d’ordre interne (A) et en appliquant une conception stricte des causes exonératoires (B).

A. L’indifférence du droit de l’Union aux difficultés d’ordre interne

L’État membre mis en cause tentait de justifier son retard par l’instabilité politique et des modifications structurelles de son administration. La Cour rejette fermement cette argumentation en rappelant un principe fondamental de l’ordre juridique de l’Union, selon lequel « un État membre ne saurait exciper de dispositions, de pratiques ou de situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations résultant du droit de l’Union ». Cette formule, maintes fois réitérée, souligne que l’obligation de transposition est une exigence objective qui ne saurait être subordonnée aux aléas de la vie politique nationale. En l’espèce, la succession d’élections et les dissolutions parlementaires ne constituent pas des circonstances exceptionnelles de nature à suspendre les obligations découlant des traités. La Cour confirme ainsi que la continuité de l’État et de ses obligations prévaut sur les discontinuités de son organisation politique. Elle fait sienne une approche qui garantit l’effectivité et l’application uniforme du droit de l’Union, sans lesquelles les objectifs poursuivis par les directives seraient compromis. Le rythme des travaux parlementaires, les réorganisations ministérielles ou les crises politiques relèvent de la seule responsabilité de l’État, qui doit organiser son ordre juridique de manière à pouvoir respecter ses engagements européens en temps utile.

B. La conception stricte des causes d’exonération

L’État membre invoquait également la pandémie de covid-19 comme un cas de force majeure ayant entravé le processus législatif. La Cour examine cet argument au regard de sa jurisprudence constante qui définit la force majeure comme résultant de « circonstances étrangères à celui qui l’invoque, anormales et imprévisibles, dont les conséquences n’auraient pas pu être évitées malgré toutes les diligences déployées ». Elle constate que ces conditions ne sont pas réunies en l’espèce. D’une part, la pandémie a affecté l’ensemble de l’Union et le législateur, s’il l’avait jugé nécessaire, aurait pu proroger le délai de transposition, ce qu’il n’a pas fait. D’autre part, le retard persistant de l’État, bien au-delà de la phase la plus aiguë de la crise sanitaire, démontre que la pandémie ne peut justifier à elle seule l’intégralité du retard. De même, l’argument tiré de l’existence d’une transposition partielle par des lois nationales antérieures est écarté. La Cour rappelle que même si la transposition peut être assurée par des normes internes préexistantes, les États ne sont pas « dispensés de l’obligation formelle d’informer la Commission de l’existence de ces règles, afin qu’elle puisse être en mesure d’apprécier leur conformité à cette directive ». Faute d’une communication claire et précise des mesures de transposition, accompagnée de tableaux de correspondance, la Commission ne peut exercer sa mission de gardienne des traités. Le manquement est donc constitué tant par l’absence d’adoption des mesures que par l’absence de leur communication formelle.

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II. L’exercice souverain du pouvoir d’appréciation de la Cour dans la fixation de la sanction

Après avoir constaté le manquement, la Cour se prononce sur la demande de sanction pécuniaire, mais en procédant à une critique de la méthode de calcul proposée par la Commission (A) pour aboutir à la détermination d’une somme forfaitaire adaptée aux spécificités de l’espèce (B).

A. La critique de la méthode de calcul de la Commission

La Commission, pour calculer la somme forfaitaire, s’appuyait sur sa communication de 2023, qui prévoit une méthode standardisée incluant notamment un coefficient de gravité, un coefficient de durée et un facteur « n » reflétant la capacité de paiement de l’État. La Cour, tout en reconnaissant que ces lignes directrices ne la lient pas, en critique plusieurs aspects. Elle conteste en particulier « l’application automatique d’un même coefficient de gravité dans tous les cas d’absence de transposition complète d’une directive », estimant que cette approche fait « obstacle à l’adaptation du montant des sanctions pécuniaires aux circonstances qui caractérisent l’infraction et à l’imposition de sanctions proportionnées ». Elle souligne que les conséquences d’un défaut de transposition varient selon le contenu normatif de la directive et ne sauraient être traitées uniformément. Par ailleurs, la Cour rejette la prise en compte d’un critère démographique dans le calcul de la capacité de paiement, jugeant que la corrélation entre la population d’un État et sa capacité à payer n’est pas nécessairement établie. Par cette critique, la Cour réaffirme son rôle judiciaire et son pouvoir d’appréciation souverain face à une approche que l’on pourrait qualifier d’administrative et forfaitaire de la part de la Commission. Elle refuse de se transformer en simple chambre d’enregistrement des propositions de cette dernière.

B. La détermination d’une somme forfaitaire adaptée aux spécificités de l’espèce

Forte de cette autonomie d’appréciation, la Cour procède à sa propre évaluation du montant de la sanction. Concernant la gravité, elle prend en compte l’importance des objectifs de la directive 2019/1024, qui vise à stimuler l’innovation et à harmoniser les règles de réutilisation des données du secteur public. Toutefois, elle nuance cette gravité en admettant que « il n’est pas établi que les conséquences du manquement constaté en l’espèce sur les intérêts privés et publics ont été aussi importantes qu’elles le seraient si aucune disposition au contenu analogue à celui des dispositions de la directive 2019/1024 n’existait au sein de l’ordre juridique bulgare ». L’existence d’une législation nationale antérieure, bien qu’insuffisante pour écarter le manquement, devient une circonstance atténuante dans l’appréciation de la sanction. La Cour tient également compte de la durée du manquement, qui s’est étendue sur plus de deux ans, et de la capacité de paiement de l’État membre, appréciée principalement au regard de son produit intérieur brut récent. Au terme de cette analyse circonstanciée, elle fixe la somme forfaitaire à 900 000 euros, un montant significativement inférieur à celui de 1 465 200 euros calculé par la Commission. Cette décision illustre la volonté de la Cour de prononcer une sanction qui soit à la fois dissuasive et proportionnée, en se fondant sur une appréciation concrète des faits de l’espèce plutôt que sur l’application mécanique de barèmes préétablis.

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Hassan KOHEN
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