Par un arrêt en date du 22 mars 2012, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en première chambre, est venue préciser la portée de la notion de « date de dépôt » d’une marque communautaire, dans le cadre d’un litige l’opposant à une marque nationale.
En l’espèce, une société a déposé par voie électronique deux demandes de marques communautaires auprès de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur le matin d’un 12 décembre 2003. Le même jour, dans l’après-midi, une autre entité a sollicité l’enregistrement d’une marque nationale similaire auprès de l’office espagnol des brevets et des marques. La première société a alors formé une opposition à l’encontre de l’enregistrement de la marque nationale, arguant de l’antériorité de ses propres demandes de marques communautaires, en se fondant sur l’heure de leur dépôt.
Cette opposition a été rejetée par l’office national, au motif que la date de dépôt des marques communautaires devait être fixée non pas au jour de la transmission électronique, mais à une date ultérieure correspondant à la production effective des documents, rendant de fait la marque nationale antérieure. La juridiction d’appel espagnole a confirmé cette analyse. Saisie d’un pourvoi, la juridiction suprême espagnole, confrontée à une difficulté d’interprétation du droit de l’Union, a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice.
Il était ainsi demandé à la Cour si la notion de « date de dépôt », telle que prévue à l’article 27 du règlement sur la marque communautaire, devait s’interpréter comme incluant non seulement le jour, mais aussi l’heure et la minute du dépôt, afin d’établir une priorité temporelle sur une marque nationale déposée le même jour, lorsque la législation nationale pertinente admet une telle granularité.
La Cour de justice répond par la négative. Elle juge que l’article 27 du règlement doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas de prendre en compte l’heure et la minute du dépôt d’une demande de marque communautaire. Elle affirme que le caractère autonome du système de la marque communautaire s’oppose à ce que les règles de droit national interfèrent dans la détermination de la date de dépôt, laquelle ne peut se fonder que sur le seul jour civil.
Cette décision réaffirme avec force le principe d’autonomie du droit des marques de l’Union, en consacrant une interprétation stricte et uniforme de la date de dépôt (I), ce qui emporte des conséquences déterminantes sur la résolution des conflits de priorité entre marques communautaires et nationales (II).
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I. L’affirmation d’une conception uniforme et autonome de la date de dépôt
La Cour fonde sa solution sur une interprétation rigoureuse des textes régissant la marque communautaire, ce qui la conduit à privilégier l’autonomie de ce système juridique par rapport aux droits nationaux.
A. L’interprétation littérale et systématique de la notion de « date de dépôt »
La Cour procède à une analyse sémantique de l’article 27 du règlement n° 40/94. Elle constate que, si certaines versions linguistiques emploient des termes renvoyant à la notion de « jour », le sens commun du terme « date » désigne généralement le jour, le mois et l’année, sans inclure de précision horaire. L’absence de mention expresse de l’heure et de la minute dans la disposition est interprétée comme une volonté du législateur de ne pas retenir ces éléments pour déterminer le moment du dépôt.
Cette lecture est confortée par une approche systématique. La Cour relève que le règlement d’application n° 2868/95, qui détaille les modalités de dépôt, impose uniquement de mentionner la « date de réception » de la demande, sans exiger d’indication temporelle plus précise. Elle en déduit que « si le législateur communautaire avait estimé que l’heure et la minute du dépôt de la demande de marque communautaire devaient être prises en compte en tant qu’éléments constitutifs de la ‘date de dépôt’ […], une telle précision aurait dû être incluse dans le règlement » d’application. Cette logique formelle vise à garantir une application homogène des règles de procédure au sein de l’Office.
B. La prééminence du caractère autonome du droit de la marque communautaire
Au-delà de l’analyse textuelle, la solution de la Cour repose sur un principe fondamental : celui de l’autonomie du régime de la marque communautaire. Ce système a été conçu pour produire des effets uniformes sur l’ensemble du territoire de l’Union, indépendamment des particularités des systèmes nationaux. La Cour rappelle avec constance que ce régime « est un système autonome, constitué d’un ensemble de règles et poursuivant des objectifs qui lui sont spécifiques, son application étant indépendante de tout système national ».
Admettre qu’une règle de droit national puisse compléter ou préciser une notion définie par le droit de l’Union, telle que la « date de dépôt », reviendrait à porter atteinte à cette autonomie. La protection conférée par une marque communautaire risquerait alors de varier d’un État membre à l’autre, en fonction des dispositions procédurales nationales. Une telle fragmentation serait contraire à l’objectif même du règlement, qui est d’instaurer un titre unitaire.
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II. Les conséquences d’une interprétation stricte sur les conflits de priorité
En définissant la date de dépôt comme le seul jour civil, la Cour établit une règle claire dont les implications pratiques sont significatives, notamment en ce qu’elle impose une stricte séparation entre l’ordre juridique de l’Union et les ordres juridiques nationaux.
A. L’exclusion du droit national pour la détermination de la priorité temporelle
La conséquence directe de cette interprétation est l’impossibilité, pour une juridiction nationale, de recourir à son propre droit pour départager deux marques déposées le même jour. Même si la loi nationale, comme en l’espèce le droit espagnol, prévoit des critères plus précis tels que l’heure et la minute, ces dispositions ne peuvent être appliquées pour déterminer l’antériorité d’une marque communautaire. La Cour juge en effet qu’« admettre, dans une situation telle que celle en cause au principal, […] que la date de dépôt de la demande de cette marque communautaire soit déterminée en tenant compte des dispositions du droit national reviendrait à remettre en cause le caractère uniforme de la protection d’une marque communautaire ».
Le droit de l’Union s’oppose donc à ce qu’un juge national importe des critères de son système juridique pour résoudre un conflit de priorité impliquant un titre de l’Union. La règle de conflit est entièrement contenue dans le droit de l’Union, qui ne laisse aucune place à une application subsidiaire des normes nationales sur ce point précis. L’équivalence de la demande communautaire à un « dépôt national régulier », prévue par le règlement, ne saurait justifier une telle application.
B. La primauté de la sécurité juridique sur la chronologie factuelle
En choisissant de s’en tenir au jour civil, la Cour de justice privilégie manifestement la sécurité juridique et la prévisibilité au détriment d’une appréciation factuelle de l’antériorité. Cette solution présente l’avantage d’une grande simplicité : tous les dépôts effectués au cours d’une même journée sont réputés simultanés, ce qui évite des contestations complexes fondées sur des horodatages qui pourraient varier selon les modes de transmission. Cela garantit que tous les déposants sont soumis aux mêmes règles, quel que soit l’État membre dans lequel un conflit pourrait survenir.
Toutefois, cette approche peut conduire à des résultats qui heurtent une certaine idée de l’équité, puisque l’antériorité chronologique effective est neutralisée. Dans le cas d’espèce, le premier déposant en termes d’heures et de minutes se trouve privé de sa priorité. Cette situation illustre un arbitrage inhérent au droit de l’Union, où la nécessité d’un marché intérieur unifié et de règles uniformes l’emporte sur les considérations particulières d’une espèce. Le principe « premier arrivé, premier servi » s’applique sur une base journalière, et non à la minute près.