En l’espèce, un opérateur économique, agissant en tant que principal obligé dans le cadre d’opérations de transit communautaire externe, a été confronté à une dette douanière substantielle. Cette dette résultait d’agissements frauduleux perpétrés à son insu par l’un de ses employés, qui avait utilisé la garantie globale de la société pour couvrir des opérations de contrebande. L’enquête pénale a par la suite confirmé que l’opérateur ignorait totalement ces manœuvres et que ses représentants n’y étaient aucunement impliqués.
La procédure a débuté lorsque l’opérateur a sollicité auprès des autorités douanières nationales la remise de cette dette, invoquant une situation particulière au sens de la réglementation douanière de l’Union. Conformément à la procédure applicable, la demande a été transmise à la Commission européenne, qui l’a rejetée, estimant que les conditions pour une remise n’étaient pas remplies. Saisi d’un recours par l’opérateur, le Tribunal de l’Union européenne a annulé la décision de la Commission. Le Tribunal a jugé que la négligence des autorités douanières nationales, qui n’avaient pas contrôlé la suffisance de la garantie globale au moment de l’émission des déclarations de transit, constituait une défaillance ayant placé l’opérateur dans une situation particulière. C’est contre cet arrêt du Tribunal qu’un État membre a formé un pourvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne.
Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si la défaillance des autorités douanières nationales dans leur mission de contrôle de l’adéquation d’une garantie globale constitue une situation particulière au sens de l’article 239 du code des douanes, de nature à justifier la remise de la dette douanière née d’une fraude dont l’opérateur économique a été victime.
La Cour de justice rejette le pourvoi et confirme l’analyse du Tribunal. Elle juge que le manque de diligence des autorités douanières, qui ont accepté une garantie manifestement insuffisante, a privé l’opérateur d’une protection essentielle prévue par le régime de transit. Ce faisant, ces autorités ont créé une situation exceptionnelle qui dépasse le risque commercial ordinaire auquel un opérateur doit normalement faire face. Cette carence administrative justifie par conséquent la remise de la dette douanière. La solution retenue consacre ainsi la responsabilité de l’administration pour sa propre négligence (I), ce qui conduit à un rééquilibrage de la charge du risque au profit de l’opérateur diligent (II).
I. La consécration d’une responsabilité de l’administration douanière résultant de sa négligence
La Cour de justice confirme l’arrêt du Tribunal en ce qu’il identifie une faute caractérisée des autorités douanières dans leur mission de surveillance (A), et établit un lien direct entre cette faute et la situation préjudiciable subie par l’opérateur économique (B).
A. La caractérisation d’un manquement au devoir de surveillance
L’arrêt commenté repose sur une interprétation rigoureuse des obligations incombant aux autorités douanières dans le cadre du régime de transit. La Cour valide l’analyse du Tribunal selon laquelle le contrôle de la garantie n’est pas une simple formalité, mais une étape fondamentale du processus. Elle rappelle que, si la réglementation impose au principal obligé de fournir une garantie, elle confère aux autorités le devoir de s’assurer de son adéquation. L’action de ces dernières est donc déterminante, non seulement lors de la constitution initiale de la garantie, mais aussi à chaque opération. Comme l’a souligné le Tribunal, « l’action et le contrôle des autorités douanières nationales compétentes sont essentiels, non seulement au moment de la constitution du certificat de garantie, mais également chaque fois qu’une garantie globale, destinée à couvrir plusieurs opérations de transit, est utilisée pour effectuer et couvrir celles-ci. »
En l’espèce, la défaillance était manifeste. La garantie globale constituée ne couvrait qu’un pourcentage infime, bien en deçà des seuils réglementaires, des droits et impositions dus pour les marchandises en cause. La Cour constate que « la garantie globale n’a jamais couvert plus de 7,29 % des droits et des impositions », un montant dérisoire qui aurait dû immédiatement alerter un service de contrôle diligent. En ne réagissant pas face à une insuffisance aussi flagrante, les autorités douanières ont failli à leur mission et ont permis la réalisation d’opérations frauduleuses à grande échelle. Cette inaction constitue une négligence grave qui engage leur responsabilité dans le fonctionnement défaillant du système.
B. Le lien de causalité entre la défaillance administrative et la situation de l’opérateur
L’État membre requérant contestait l’existence d’un lien de causalité entre la faute des services douaniers et la naissance de la dette. La Cour écarte cet argument en opérant une distinction subtile. Le lien de causalité pertinent n’est pas tant entre la faute et la naissance de la dette elle-même, qui résulte de la soustraction des marchandises à la surveillance, mais entre la faute et la création de la « situation particulière » dans laquelle l’opérateur a été placé. Le raisonnement est imparable : si les autorités avaient exercé leur contrôle correctement, elles auraient refusé la garantie insuffisante.
La Cour approuve ainsi le Tribunal lorsqu’il affirme que « si les autorités douanières portugaises avaient vérifié, au moment de l’émission des déclarations t1, que le montant des droits et des autres impositions susceptibles de naître pour chaque cargaison était couvert par la garantie globale fournie par la requérante, les 68 déclarations t1 n’auraient pas pu être émises. » La négligence administrative a donc été la condition *sine qua non* de la fraude à cette échelle. Elle a privé l’opérateur d’un filet de sécurité essentiel, car une demande de garantie complémentaire aurait inévitablement alerté la direction de l’entreprise sur les agissements de son employé. En ce sens, la faute de l’administration a directement permis que le risque commercial se réalise dans des proportions anormales.
II. La portée de la solution : un rééquilibrage du risque commercial au profit de l’opérateur diligent
En validant l’annulation de la décision de la Commission, la Cour de justice précise la notion de « situation particulière » au regard du risque commercial ordinaire (A) et renforce par là même les obligations de bonne administration pesant sur les autorités douanières (B).
A. L’appréciation de la situation particulière au-delà du risque commercial ordinaire
La notion de « situation particulière », prévue par la clause d’équité du droit douanier, est au cœur de l’arrêt. La Cour rappelle que cette clause vise à couvrir des situations exceptionnelles où le redevable se trouve dans une position distincte de celle des autres opérateurs, sans qu’il y ait eu de sa part négligence ou manœuvre. En l’espèce, la Cour considère que la négligence des autorités douanières a précisément créé une telle situation. Le risque d’être victime d’une fraude interne par un employé relève certes du risque commercial ordinaire d’une entreprise. Cependant, le fait que cette fraude ait pu être commise de manière répétée et pour des montants considérables, en raison de l’absence de contrôle de l’autorité publique, place l’opérateur dans une situation qui excède ce risque.
La Cour confirme le jugement du Tribunal qui avait considéré que la défaillance des autorités mettait l’opérateur « dans une situation particulière qui dépasse le risque commercial ordinaire afférent à son activité économique ». La charge financière qui en découle ne peut être imputée à l’opérateur qui, pour sa part, avait mis en place des mécanismes de contrôle interne et a été reconnu comme n’ayant commis aucune faute intentionnelle. La solution protège ainsi l’opérateur qui se retrouve pris en étau entre la fraude d’un tiers et la passivité de l’administration.
B. Le renforcement des obligations de bonne administration
La portée de cet arrêt est significative. Il envoie un signal fort aux administrations douanières des États membres. Il ne leur est pas permis de rester passives et de se prévaloir ensuite des conséquences d’une fraude qu’une vigilance normale de leur part aurait pu empêcher ou du moins limiter. En jugeant que le manque de diligence des autorités constitue une situation particulière justifiant la remise de la dette, la Cour renforce le principe de bonne administration. Elle rappelle que les pouvoirs de contrôle conférés à l’administration ne sont pas de simples prérogatives discrétionnaires mais des devoirs qui visent à assurer le bon fonctionnement du système et la protection de tous les acteurs, y compris les opérateurs économiques.
L’arrêt souligne en creux qu’il serait inéquitable de faire supporter à un opérateur diligent les conséquences financières d’une défaillance imputable à l’autorité publique. En exonérant l’opérateur de la dette, la Cour ne fait pas que réparer une situation individuelle ; elle établit une jurisprudence qui incite les administrations à exercer leurs missions de contrôle avec la rigueur requise. Cette décision contribue ainsi à un partage plus juste et plus équilibré des responsabilités entre les opérateurs privés et les autorités publiques dans la gestion des procédures douanières.