Par une décision préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne clarifie l’articulation des procédures d’insolvabilité au sein de l’Union européenne. Saisie par une juridiction polonaise, la Cour était interrogée sur l’interprétation du règlement (CE) n° 1346/2000 relatif aux procédures d’insolvabilité, dans une affaire où une procédure principale avait été ouverte dans un État membre tandis qu’une demande d’ouverture de procédure secondaire était formée dans un autre. La difficulté résidait notamment dans la nature de la procédure principale, qui poursuivait une finalité de protection et de réorganisation du débiteur, et non sa liquidation immédiate. Cette situation soulevait plusieurs questions quant aux pouvoirs et obligations de la juridiction saisie de la demande d’ouverture de la procédure secondaire. Le problème de droit soumis à la Cour portait sur la faculté d’ouvrir une procédure secondaire de liquidation alors que la procédure principale vise à la sauvegarde, sur l’étendue du contrôle que peut opérer la juridiction saisie de la demande d’ouverture secondaire, et sur la détermination du droit applicable à la clôture de la procédure. En réponse, la Cour de justice énonce que l’ouverture d’une procédure secondaire est permise même si la procédure principale a une finalité protectrice. Elle précise toutefois que la juridiction compétente pour la procédure secondaire ne peut pas réexaminer l’état d’insolvabilité du débiteur, déjà constaté dans le cadre de la procédure principale. Enfin, elle renvoie au droit national de l’État d’ouverture le soin de déterminer les conditions de clôture de la procédure. Cette décision consolide ainsi l’autonomie de la procédure d’insolvabilité secondaire (I) tout en rappelant les principes directeurs de la coopération judiciaire européenne en la matière (II).
I. La consolidation de l’autonomie de la procédure d’insolvabilité secondaire
La Cour de justice, par sa décision, confère une autonomie fonctionnelle à la procédure secondaire en validant son ouverture indépendamment de la nature de la procédure principale (A), tout en posant une limite stricte à l’office du juge saisi de cette demande (B).
A. L’admission d’une procédure secondaire à finalité liquidative concurremment à une procédure principale protectrice
La Cour affirme sans ambiguïté la compatibilité entre une procédure principale poursuivant un objectif de sauvegarde et une procédure secondaire orientée vers la liquidation. Elle juge en effet que « L’article 27 du règlement n o 1346/2000 […] doit être interprété en ce sens qu’il permet l’ouverture d’une procédure secondaire d’insolvabilité dans l’État membre dans lequel se trouve un établissement du débiteur, alors que la procédure principale poursuit une finalité protectrice. » Cette solution permet de garantir l’efficacité du règlement et la protection des créanciers locaux. En effet, elle évite qu’un débiteur ne puisse paralyser les droits des créanciers dans un État membre où il détient des actifs, en se prévalant simplement de l’ouverture d’une procédure de réorganisation, potentiellement longue et incertaine, dans un autre État. La procédure secondaire conserve ainsi sa fonction propre qui est de permettre une gestion et une liquidation des actifs situés sur son ressort territorial au profit des créanciers locaux, sans être subordonnée à la nature de la procédure principale.
L’ouverture de cette procédure n’est cependant pas sans condition, car le juge qui en est saisi voit ses pouvoirs d’investigation encadrés.
B. Le refus du réexamen de l’état d’insolvabilité par la juridiction secondaire
En contrepartie de l’autonomie accordée à la procédure secondaire, la Cour rappelle un principe fondamental du droit européen de l’insolvabilité : la confiance mutuelle. Elle en tire la conséquence que « la juridiction saisie d’une demande d’ouverture d’une procédure secondaire d’insolvabilité ne peut pas examiner l’insolvabilité du débiteur à l’encontre duquel une procédure principale a été ouverte dans un autre État membre ». Cette règle est une application directe du principe de reconnaissance des décisions judiciaires au sein de l’Union. Le jugement d’ouverture de la procédure principale produit ses effets dans tous les États membres sans qu’une nouvelle décision soit nécessaire. Permettre un réexamen de l’état d’insolvabilité reviendrait à nier la portée de ce jugement et à créer une insécurité juridique majeure, en risquant des décisions contradictoires. La Cour verrouille ainsi le système, assurant que la constatation de l’insolvabilité par la juridiction principale constitue un prérequis incontestable pour l’ensemble des procédures qui pourraient être ouvertes dans l’Union.
Au-delà de ces aspects techniques, la décision de la Cour s’inscrit dans le cadre plus large des principes qui structurent la coopération judiciaire en matière d’insolvabilité.
II. Le rappel des principes directeurs du droit européen de l’insolvabilité
L’arrêt met en lumière deux piliers du règlement : la répartition des compétences entre le droit de l’Union et les droits nationaux (A) et l’impératif de coopération loyale entre les juridictions (B).
A. La compétence résiduelle du droit national pour la définition de la clôture de la procédure
La Cour de justice opère une délimitation claire des champs d’application en précisant qu’« il appartient au droit national de l’État membre dans lequel la procédure d’insolvabilité a été ouverte de déterminer à quel moment intervient la clôture de cette procédure ». Le règlement de 2000, bien qu’il vise à une coordination des procédures, ne constitue pas un code européen unifié de l’insolvabilité. Il repose sur un système de rattachement à une loi désignée, la *lex concursus*, qui est celle de l’État d’ouverture. Pour les aspects qui ne sont pas expressément harmonisés par le règlement lui-même, comme les modalités précises de la clôture, le droit national conserve sa compétence. Cette solution pragmatique respecte le principe de subsidiarité et reconnaît la diversité des systèmes juridiques nationaux. Elle assure une prévisibilité en rattachant une question procédurale essentielle à une loi unique et clairement identifiée.
Cette articulation entre les normes européennes et nationales ne peut toutefois fonctionner efficacement sans un dialogue constant entre les autorités concernées.
B. L’exigence de coopération loyale comme clef de voûte du système
La Cour souligne que l’autonomie de la procédure secondaire doit s’exercer « dans le respect du principe de coopération loyale ». La juridiction compétente pour ouvrir une procédure secondaire est ainsi invitée à « prendre en considération les objectifs de la procédure principale et de tenir compte de l’économie du règlement ». Ce rappel n’est pas anodin, car il vise à prévenir les conflits qui pourraient naître de la coexistence de deux procédures aux finalités potentiellement divergentes. Une liquidation rapide dans le cadre d’une procédure secondaire pourrait par exemple compromettre le succès d’un plan de redressement élaboré dans la procédure principale. Le principe de coopération loyale impose donc au syndic et à la juridiction de la procédure secondaire un devoir de coordination avec leurs homologues de la procédure principale. Il s’agit de la condition nécessaire pour concilier la protection des intérêts des créanciers locaux avec l’objectif global d’une gestion ordonnée et cohérente de l’insolvabilité du débiteur à l’échelle européenne.