Cour de justice de l’Union européenne, le 22 novembre 2012, n°C-410/11

Par un arrêt en date du 22 novembre 2012, la Cour de justice de l’Union européenne est venue interpréter les dispositions de la Convention de Montréal relatives à la responsabilité du transporteur aérien en cas de perte de bagages. La décision apporte une clarification essentielle sur l’étendue du droit à indemnisation lorsque plusieurs passagers partagent un même bagage.

En l’espèce, quatre membres d’une même famille ont voyagé sur un vol opéré par une compagnie aérienne. Leurs effets personnels étaient répartis dans deux valises qui, enregistrées au début du transport, ont été perdues et n’ont jamais été retrouvées. Les passagers ont alors réclamé une indemnisation au transporteur, calculée en appliquant le plafond de responsabilité prévu par la convention à chacun d’entre eux.

Saisi du litige, le Juzgado Mercantil n° 2 de Barcelona a accueilli leur demande de manière partielle. La juridiction d’appel, l’Audiencia Provincial de Barcelona, a ensuite décidé de surseoir à statuer afin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. Il s’agissait de déterminer si la limite de responsabilité du transporteur pour la perte de bagages, fixée « par passager » à l’article 22, paragraphe 2, de la Convention de Montréal, devait s’appliquer à chaque passager dont les biens se trouvaient dans un bagage perdu, ou si elle était liée au seul passager au nom duquel le bagage avait été enregistré et qui détenait la fiche d’identification correspondante.

La Cour de justice répond que la limitation de responsabilité s’applique individuellement à tout passager capable de prouver que ses effets personnels se trouvaient dans le bagage égaré, indépendamment de l’identité du passager ayant procédé à l’enregistrement. Elle énonce que « le droit à indemnisation et la limite de responsabilité du transporteur en cas de perte de bagages s’appliquent également au passager qui réclame cette indemnisation au titre de la perte d’un bagage enregistré au nom d’un autre passager dès lors que ce bagage perdu contenait effectivement les objets du premier passager ». En affirmant une lecture extensive du droit à réparation, la Cour opte pour une interprétation finaliste de la convention (I), dont elle précise les conséquences pratiques pour l’équilibre des droits et la charge de la preuve (II).

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I. L’affirmation d’une interprétation finaliste du droit à réparation

La Cour de justice fonde sa solution sur une lecture téléologique de la Convention de Montréal, privilégiant les objectifs de protection des consommateurs. Elle écarte ainsi une approche formaliste qui lierait le droit à indemnisation à la seule détention de la fiche d’identification du bagage (A) pour consacrer une solution guidée par le principe de réparation équitable (B).

A. Le rejet d’une lecture formaliste au profit du principe d’indemnisation par passager

L’argumentation du transporteur et d’une partie des intervenants reposait sur une lecture combinée des articles 3, paragraphe 3, et 22, paragraphe 2, de la Convention de Montréal. Le premier texte impose au transporteur de délivrer une fiche d’identification pour chaque bagage enregistré. Une interprétation stricte aurait pu conduire à considérer que seul le passager détenteur de cette fiche est titulaire du droit à indemnisation. La Cour écarte cette analyse en considérant que l’obligation de délivrer une fiche d’identification est une simple formalité administrative qui ne saurait déterminer le fond du droit à réparation.

La Cour souligne que l’article 22, paragraphe 2, de la convention limite la responsabilité du transporteur « à la somme de 1000 droits de tirage spéciaux par passager ». L’emploi du terme « par passager » est déterminant et ne contient aucune restriction quant au nombre de bagages enregistrés ou à l’identité de la personne ayant accompli la formalité d’enregistrement. Ainsi, la Cour juge que « les dispositions pertinentes de la convention de Montréal doivent être interprétées en ce sens que, lues ensemble, le transporteur aérien doit être considéré comme responsable pour indemniser un passager, en cas de perte d’un bagage enregistré au nom d’un autre passager ayant emprunté le même vol, dans la mesure où dans ce bagage perdu se trouvaient les objets de ce premier passager dont la perte est constitutive du dommage qu’il a subi ». Le fait générateur de la responsabilité est la perte du bagage, et le titulaire du droit à réparation est le passager qui subit le préjudice matériel du fait de cette perte.

B. Une solution guidée par la protection du consommateur et le principe de réparation

Pour conforter son interprétation littérale, la Cour se réfère explicitement aux objectifs de la Convention de Montréal. Elle rappelle que le préambule de celle-ci reconnaît « l’importance d’assurer la protection des intérêts des consommateurs dans le transport aérien international et la nécessité d’une indemnisation équitable fondée sur le principe de réparation ». Ces objectifs, selon la Cour, seraient compromis si un passager était privé de toute indemnisation pour la perte de ses biens au seul motif qu’un autre passager, avec qui il voyage, a enregistré le bagage commun. Une telle exclusion serait contraire à l’idée même de réparation équitable.

La décision s’inscrit dans une logique pragmatique qui reconnaît les usages courants, notamment ceux des familles ou des groupes qui voyagent ensemble et partagent leurs bagages. Limiter l’indemnisation à une seule personne par valise enregistrée créerait une situation inéquitable et inciterait les passagers à multiplier les bagages enregistrés, ce qui n’est souhaitable ni sur un plan pratique ni sur un plan environnemental. La Cour privilégie donc une solution qui assure que chaque passager victime d’un dommage puisse obtenir une réparation personnelle, dans la limite du plafond fixé par la convention.

II. La portée de la solution : un équilibre préservé et une charge probatoire clarifiée

La Cour prend soin de démontrer que son interprétation, bien que favorable aux passagers, ne rompt pas l’équilibre des intérêts voulu par les rédacteurs de la convention (A). Elle en précise toutefois les implications pratiques, en particulier en ce qui concerne la charge de la preuve qui incombe désormais aux passagers (B).

A. Le maintien de l’équilibre équitable des intérêts entre transporteurs et passagers

La Cour anticipe l’argument selon lequel une telle extension du droit à réparation imposerait une charge excessive et imprévisible aux transporteurs aériens. Elle y répond en soulignant que sa solution ne remet pas en cause l’« équilibre équitable des intérêts » mentionné dans le préambule de la convention. D’une part, la responsabilité du transporteur demeure plafonnée « par passager » et ne devient pas illimitée. Chaque passager ne peut réclamer une indemnisation au-delà du plafond de 1 000 DTS, et ce plafond constitue un maximum et non un forfait. La Cour rappelle que l’indemnisation n’est « pas acquis de plein droit et forfaitairement à tout passager en cas de perte de ses bagages ».

D’autre part, cette interprétation n’empêche pas les transporteurs d’identifier et de calculer la charge de réparation potentielle. La charge maximale reste mathématiquement liée au nombre de passagers à bord, et non au nombre de bagages enregistrés. Le risque économique pour les compagnies aériennes n’est donc pas accru de manière démesurée et demeure assurable. La Cour estime donc que l’activité économique des transporteurs n’est ni compromise ni paralysée par cette lecture du texte.

B. Les implications pratiques en matière de preuve du préjudice

Si la décision étend le cercle des créanciers d’indemnisation, elle en précise immédiatement le corollaire procédural : la charge de la preuve. C’est au passager qui n’a pas enregistré le bagage à son nom de prouver que ses biens s’y trouvaient. La Cour énonce qu’il appartient aux passagers concernés, « sous le contrôle du juge national, d’établir à suffisance de droit le contenu des bagages égarés ainsi que le fait que le bagage enregistré au nom d’un autre passager contenait effectivement les objets d’un autre passager ».

La Cour fournit même des indices au juge national pour l’appréciation de cette preuve, en l’invitant à tenir compte de circonstances factuelles telles que l’appartenance à une même famille, l’achat groupé des billets ou l’enregistrement simultané. Cette précision est capitale : le droit à indemnisation n’est pas automatique et dépendra de la capacité du demandeur à convaincre le juge du fond de la réalité de son préjudice. Cette exigence probatoire constitue le véritable garde-fou contre les demandes abusives et assure le maintien de l’équilibre défendu par la Cour, en déplaçant le débat du terrain purement formel de la fiche d’identification vers celui, plus substantiel, de la preuve du dommage.

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Hassan KOHEN
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