Par un arrêt du 1er octobre 2014, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, s’est prononcée sur la détermination de la base juridique appropriée pour l’adoption d’un acte de l’Union autorisant la signature d’un accord international. En l’espèce, la Commission européenne avait présenté une proposition de décision du Conseil visant à autoriser la signature, au nom de l’Union, de la convention européenne sur la protection juridique des services à accès conditionnel. Cette proposition était fondée sur l’article 207, paragraphe 4, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), relatif à la politique commerciale commune. Le Conseil a cependant adopté la décision en la fondant sur l’article 114 TFUE, qui concerne le rapprochement des législations en vue de l’établissement et du fonctionnement du marché intérieur. Estimant que cette modification de la base juridique était erronée, la Commission a introduit un recours en annulation contre la décision du Conseil. Le Parlement européen est intervenu au soutien de la Commission, tandis que plusieurs États membres sont intervenus pour soutenir le Conseil.
Le problème de droit soumis à la Cour consistait à déterminer si la décision autorisant la signature de la convention relevait principalement de la politique commerciale commune ou de la politique du marché intérieur. De la réponse à cette question dépendait non seulement la procédure d’adoption de la décision, mais également la nature de la compétence de l’Union, celle-ci étant exclusive en matière de politique commerciale commune et partagée dans le domaine du marché intérieur.
La Cour de justice a accueilli le recours de la Commission et annulé la décision du Conseil. Elle a jugé que l’acte en cause poursuivait principalement un objectif lié à la promotion des échanges commerciaux avec les États tiers, ce qui justifiait le recours à la base juridique de la politique commerciale commune. Selon la Cour, « l’objectif ainsi poursuivi, qui apparaît, à la lumière des considérants de la décision attaquée lus en combinaison avec la convention, comme le but principal de cette décision, présente donc un lien spécifique avec les échanges commerciaux internationaux portant sur lesdits services, lequel est propre à justifier le rattachement de celle-ci à la politique commerciale commune ». L’amélioration du fonctionnement du marché intérieur n’était qu’un objectif accessoire. La Cour a néanmoins maintenu les effets de la décision annulée pour une période de six mois afin de garantir la sécurité juridique.
L’arrêt conduit à examiner la méthode rigoureuse par laquelle la Cour a identifié la finalité prépondérante de l’acte (I), avant d’analyser les conséquences de cette qualification sur l’étendue de la compétence exclusive de l’Union (II).
I. L’affirmation de la politique commerciale commune comme fondement de l’action extérieure
Pour trancher le conflit de bases juridiques, la Cour a d’abord rappelé sa méthode d’analyse traditionnelle fondée sur la recherche du centre de gravité de l’acte (A), pour ensuite conclure à la prépondérance de l’objectif commercial sur celui du marché intérieur (B).
A. L’application du critère du centre de gravité pour la détermination de la base juridique
La Cour rappelle de manière constante que le choix de la base juridique d’un acte ne relève pas de la discrétion des institutions, mais doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel. Conformément à une jurisprudence établie, elle énonce que parmi ces éléments figurent « la finalité et le contenu de cet acte ». Lorsque l’examen d’un acte révèle une double finalité ou une double composante, et que l’une peut être identifiée comme principale ou prépondérante tandis que l’autre n’est qu’accessoire, l’acte doit reposer sur la seule base juridique exigée par la finalité principale.
Dans le cas présent, la Cour applique cette méthode à la décision du Conseil autorisant la signature de la convention. L’enjeu était de déterminer si l’acte visait principalement à régir les échanges commerciaux avec les pays tiers, relevant ainsi de l’article 207 TFUE, ou s’il tendait essentiellement à l’harmonisation des législations nationales pour améliorer le fonctionnement du marché intérieur, relevant de l’article 114 TFUE. Le Conseil soutenait que la convention, en complétant la directive 98/84/CE, visait à protéger le marché intérieur contre les importations de dispositifs de piratage, justifiant ainsi le recours à l’article 114 TFUE. La Commission, à l’inverse, affirmait que la convention avait pour but de promouvoir la fourniture de services par des prestataires de l’Union dans des pays tiers en y étendant une protection juridique équivalente à celle du droit de l’Union.
B. La prévalence de l’objectif externe sur l’amélioration du marché intérieur
En analysant le contenu et la finalité de la convention, la Cour conclut que son objectif principal est bien de nature commerciale. Elle observe que la convention vise à mettre en place un cadre réglementaire « quasiment identique à celui de la directive 98/84 » dans des pays non-membres de l’Union. L’harmonisation au sein du marché intérieur étant déjà largement accomplie par la directive, la Cour estime que le but de la convention est d’étendre ce modèle de protection au-delà des frontières de l’Union. Cet élargissement géographique a pour finalité de « promouvoir dans ces derniers la fourniture desdits services par des prestataires de l’Union ». Un tel objectif présente un lien direct et immédiat avec les échanges internationaux, caractéristique de la politique commerciale commune.
Pour conforter son analyse, la Cour s’appuie sur l’article 11, paragraphe 4, de la convention, qui prévoit que les États membres appliquent entre eux les règles de l’Union et n’appliquent celles de la convention qu’en l’absence de règle de l’Union. Cette clause de déconnexion confirme que la convention n’a pas pour objet principal d’harmoniser les relations au sein du marché intérieur, mais bien de régir les relations avec les parties contractantes extérieures à l’Union. L’argument du Conseil, selon lequel l’acte protège le marché intérieur en luttant contre les importations de dispositifs illicites, est écarté, la Cour jugeant que de telles mesures relèvent « par sa substance même, de la politique commerciale commune ». Ainsi, même la dimension protectrice de l’acte est rattachée à la politique commerciale.
La qualification retenue par la Cour emporte des conséquences déterminantes quant à la nature et à l’exercice de la compétence de l’Union.
II. La consolidation de la compétence externe exclusive de l’Union
En rattachant la décision à la politique commerciale commune, la Cour confirme une conception large de la compétence exclusive de l’Union dans ce domaine (A), ce qui a pour effet de limiter la capacité d’action autonome des États membres sur la scène internationale (B).
A. La confirmation d’une conception extensive de la compétence commerciale commune
Le choix de l’article 207 TFUE comme base juridique n’est pas neutre. En vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous e), du TFUE, la politique commerciale commune est une compétence exclusive de l’Union. En jugeant que la décision attaquée relevait de cette politique, la Cour confirme que « la signature de la convention au nom de l’Union relève […] de la compétence exclusive de cette dernière ». Cette solution s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence « AETR », selon laquelle l’Union acquiert une compétence externe exclusive lorsqu’elle fait usage de ses compétences internes pour édicter des règles qui affectent les relations internationales.
En l’espèce, l’adoption de la directive 98/84/CE a créé un ensemble de règles communes au sein du marché intérieur. La Cour considère que la conclusion d’un accord international reprenant ces règles à l’identique constitue le prolongement externe de cette action interne. Permettre aux États membres de négocier ou de conclure un tel accord de manière concurrente risquerait de porter atteinte à l’uniformité et à la cohérence du droit de l’Union. Le choix de l’article 207 TFUE assure ainsi que seule l’Union peut s’engager dans ce domaine au nom de l’ensemble des États membres, garantissant une position unifiée sur la scène internationale. La Cour écarte par là même la base juridique de l’article 114 TFUE, qui aurait conduit à une compétence partagée et, vraisemblablement, à un accord mixte nécessitant la ratification de chaque État membre aux côtés de l’Union.
B. La portée de l’arrêt sur la compétence des États membres
La conséquence directe de la reconnaissance d’une compétence exclusive de l’Union est l’exclusion de la compétence des États membres. Ceux-ci ne peuvent plus conclure d’accords internationaux dans le domaine couvert par la convention de manière autonome. La décision du Conseil, en se fondant sur l’article 114 TFUE, laissait entendre que la matière relevait d’une compétence partagée, impliquant une participation des États membres à la conclusion de l’accord. En annulant cette décision, la Cour met un terme à cette ambiguïté.
L’arrêt réaffirme donc le principe selon lequel, dans les domaines de compétence exclusive, l’Union est le seul acteur habilité à agir sur le plan international. Cette solution renforce la cohérence de l’action extérieure de l’Union en évitant que des actions parallèles des États membres ne viennent compromettre les objectifs définis au niveau de l’Union. Elle illustre la dynamique d’intégration du droit de l’Union, où l’exercice d’une compétence interne peut entraîner une extension de la compétence exclusive de l’Union sur la scène internationale, centralisant ainsi les relations extérieures dans les mains des institutions de l’Union. La portée de l’arrêt dépasse ainsi la simple question technique du choix d’une base juridique pour toucher au cœur de la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres.