Cour de justice de l’Union européenne, le 22 octobre 2013, n°C-276/12

Par un arrêt dont les motifs sont ici rapportés, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé la portée des droits du contribuable dans le cadre de la procédure d’assistance mutuelle en matière fiscale. En l’espèce, une administration fiscale d’un État membre, dans le cadre de la vérification de la déclaration de revenus d’un contribuable, a sollicité des informations auprès de l’administration d’un autre État membre. Suite à la transmission de ces informations, l’administration a procédé à un redressement fiscal. Le contribuable a contesté cette décision devant les juridictions nationales, soutenant que ses droits avaient été méconnus au cours de la procédure de coopération administrative. Il estimait notamment qu’il aurait dû être informé de la demande d’assistance et être associé à la collecte des informations le concernant dans l’État membre requis. La juridiction nationale, saisie du litige, a alors adressé une question préjudicielle à la Cour de justice afin de déterminer si le droit de l’Union, et en particulier la directive 77/799/CEE, conférait de tels droits procéduraux au contribuable. La question posée aux juges européens portait donc sur l’étendue du droit d’être entendu d’un contribuable au cours de la phase d’échange d’informations entre autorités fiscales de différents États membres.

La Cour de justice répond par la négative, en établissant une distinction claire entre la phase de coopération administrative et la procédure contentieuse nationale. Elle juge que le droit de l’Union « ne confère au contribuable d’un État membre ni le droit d’être informé de la demande d’assistance de cet État adressée à un autre État membre […], ni le droit de participer à la formulation de la demande […], ni le droit de participer aux auditions de témoins organisées par ce dernier État ». De plus, la Cour précise que la directive « ne régit pas la question de savoir dans quelles conditions le contribuable peut contester l’exactitude de l’information transmise ». Ainsi, la Cour opère une scission nette entre la procédure de collecte d’information, qui relève de la seule coopération entre États, et la garantie des droits du contribuable, qui est assurée au niveau de la procédure nationale.

Cette décision conduit à examiner la mise à l’écart délibérée du contribuable de la procédure d’assistance administrative (I), avant d’analyser le report de la garantie de ses droits au stade de la procédure nationale (II).

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I. La mise à l’écart du contribuable de la procédure d’assistance mutuelle

La Cour de justice consacre une interprétation stricte des dispositions de la directive 77/799/CEE, ce qui aboutit au rejet de tout droit à l’information et à la participation du contribuable durant cette phase (A) et révèle une conception pragmatique du droit d’être entendu dans ce contexte spécifique (B).

A. Le rejet d’un droit à l’information et à la participation du contribuable

La solution de la Cour est sans équivoque lorsqu’elle affirme que le droit de l’Union, dans le cadre de la coopération fiscale, ne reconnaît au contribuable aucun droit de regard sur la procédure d’échange d’informations. La Cour énonce en effet que le contribuable ne peut se prévaloir « ni le droit d’être informé de la demande d’assistance », « ni le droit de participer à la formulation de la demande », « ni le droit de participer aux auditions de témoins ». Ce faisant, elle considère que le mécanisme d’assistance mutuelle est conçu comme une relation exclusive entre les autorités compétentes des États membres. Cette procédure vise à assurer l’efficacité de la collecte de l’impôt et à lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. L’immixtion du contribuable, qui est l’objet de l’enquête et non un sujet de la coopération, risquerait d’entraver la célérité et la confidentialité des échanges, qui sont des conditions essentielles à l’efficacité du dispositif. L’exclusion du contribuable de cette phase administrative apparaît donc comme une condition fonctionnelle du système d’assistance mutuelle lui-même.

B. Une conception restrictive du droit d’être entendu dans le cadre de la coopération fiscale

En écartant l’application du droit fondamental d’être entendu à ce stade de la procédure, la Cour de justice en propose une lecture finaliste. Elle ne nie pas l’existence de ce droit, mais en diffère l’exercice. La Cour considère implicitement que ce principe général du droit de l’Union n’a pas une portée absolue et peut être aménagé pour répondre à des objectifs d’intérêt général, en l’occurrence l’efficacité de la coopération administrative fiscale. La phase d’assistance mutuelle est analysée comme une étape préparatoire, purement administrative, de collecte d’éléments d’information. Elle n’est pas, en elle-même, une procédure au cours de laquelle une décision faisant grief au contribuable est adoptée. La garantie du droit d’être entendu est donc préservée, mais son effectivité est reportée au moment où les informations recueillies seront effectivement utilisées par l’administration fiscale de l’État requérant pour fonder une décision, tel un redressement fiscal. C’est à ce moment que le contribuable pourra faire valoir ses observations en pleine connaissance de cause.

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II. Le régime juridique de l’information transmise au titre de l’assistance mutuelle

Après avoir exclu le contribuable de la phase de collecte, la Cour précise que le traitement des informations recueillies ne relève pas du champ de la directive (A), ce qui consacre le renvoi intégral au droit procédural national pour assurer la protection des droits du contribuable (B).

A. L’absence de réglementation européenne sur les modalités de contestation de l’information

La Cour souligne que la directive 77/799/CEE, telle que modifiée, « ne régit pas la question de savoir dans quelles conditions le contribuable peut contester l’exactitude de l’information transmise et n’impose aucune exigence particulière quant au contenu de l’information transmise ». Cette affirmation consacre le principe de l’autonomie procédurale des États membres. Le droit de l’Union impose une obligation de coopération et de transmission d’informations, mais il ne crée pas un régime de preuve unifié au niveau européen. La nature, la forme et la force probante des éléments transmis par l’État requis ne sont pas encadrées par la directive. Par conséquent, il n’appartient pas au droit de l’Union de dicter les modalités selon lesquelles la fiabilité ou l’exactitude de ces informations peut être remise en cause. La solution est logique : la directive est un instrument de coopération administrative, non un code de procédure fiscale et contentieuse.

B. Le renvoi au droit procédural national pour la garantie des droits du contribuable

La conséquence directe de cette absence de réglementation européenne est que la charge de garantir les droits du contribuable repose entièrement sur l’ordre juridique de l’État membre requérant. C’est devant les juridictions de cet État, et en application de ses propres règles de procédure et de preuve, que le contribuable pourra contester la pertinence, l’exactitude ou la valeur probante des informations obtenues par le biais de l’assistance mutuelle. Cette solution assure la cohérence des systèmes juridiques nationaux, qui conservent la maîtrise de l’administration de la preuve dans le cadre du contentieux fiscal. Le droit d’être entendu, écarté au stade de la coopération, trouve ici sa pleine expression. Le contribuable dispose alors de la faculté de présenter tous les arguments et toutes les preuves qu’il juge utiles pour contredire les éléments que l’administration fiscale lui oppose, y compris ceux provenant d’un autre État membre. La protection juridictionnelle effective est ainsi assurée, non pas au niveau de la source de l’information, mais au niveau de son utilisation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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