Cour de justice de l’Union européenne, le 22 octobre 2015, n°C-20/14

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 22 octobre 2015, apporte des précisions essentielles sur l’appréciation du risque de confusion entre les marques. Le litige opposait la titulaire d’une marque verbale et figurative antérieure, composée d’une séquence de trois lettres, au demandeur d’une marque verbale postérieure. Ce second signe reprenait la même séquence de lettres, à laquelle était adjoint un syntagme descriptif expliquant l’acronyme ainsi formé pour des services de santé.

L’autorité nationale compétente avait initialement annulé partiellement l’enregistrement de la marque contestée, avant de révoquer cette décision en raison d’un défaut de preuve d’usage sérieux. Saisie d’un recours, la Cour fédérale des brevets d’Allemagne a constaté que les produits et services étaient identiques ou similaires, tout en s’interrogeant sur la similitude des signes. Elle craignait qu’une jurisprudence antérieure n’impose de considérer l’acronyme comme accessoire par rapport au syntagme descriptif, excluant ainsi tout risque de confusion entre les deux marques.

La question posée à la Cour de justice visait à savoir si un risque de confusion existe lorsqu’un élément dominant est repris dans une marque postérieure avec un ajout descriptif. Les juges luxembourgeois devaient déterminer si l’explication textuelle d’un acronyme suffisait à écarter la perception autonome de la séquence de lettres par le public concerné. La Cour affirme qu’un risque de confusion peut effectivement exister dans une telle configuration, dès lors que l’acronyme conserve une position distinctive autonome dans la marque postérieure.

I. L’indépendance de l’analyse du risque de confusion

A. Le rejet d’une transposition automatique des motifs absolus

La juridiction de renvoi redoutait que les solutions retenues en matière de motifs absolus de refus ne s’imposent mécaniquement à l’examen des motifs relatifs. La Cour souligne pourtant que les dispositions relatives au caractère descriptif et celles concernant le risque de confusion « poursuivent des finalités différentes et visent à protéger des intérêts distincts ». L’examen de la validité intrinsèque d’une marque s’appuie sur un impératif de disponibilité, afin que les opérateurs puissent utiliser librement des termes décrivant leurs prestations.

À l’inverse, l’analyse de la similitude entre deux signes concurrents cherche à éviter que le consommateur ne soit trompé sur l’origine commerciale des produits. Bien que la perception du public ne change pas de nature, « l’angle sous lequel cette perception est appréhendée varie selon qu’il s’agit d’apprécier le caractère descriptif d’un signe ou l’existence d’un risque de confusion ». L’attention se déplace alors des procédés mentaux vers les mécanismes de mémorisation et d’association, justifiant ainsi une approche juridique différenciée pour la protection des titulaires.

B. La protection spécifique de la fonction d’origine

Le droit des marques garantit au consommateur l’identité d’origine du service, lui permettant de distinguer sans confusion possible les différentes provenances commerciales sur le marché. En l’espèce, la Cour rappelle que la protection des intérêts individuels des titulaires de droits antérieurs doit primer sur une simple analyse lexicale du signe complexe. Elle refuse de consacrer une règle générale selon laquelle une abréviation perdrait son caractère dominant dès qu’elle est accompagnée de sa version développée et descriptive.

L’affirmation selon laquelle une séquence de lettres n’occupe qu’une « position accessoire » par rapport au syntagme descriptif ne doit pas être interprétée comme une vérité absolue. Cette appréciation issue de la jurisprudence antérieure ne constitue pas « l’expression d’une règle d’appréciation générale » mais doit être validée au cas par cas par les juges. La fonction d’origine de la marque antérieure reste le critère cardinal qui guide l’interprétation des similitudes visuelles, auditives et conceptuelles entre les signes en conflit.

II. Les critères de l’appréciation globale de la similitude

A. La reconnaissance d’une position distinctive autonome

L’appréciation globale du risque de confusion doit être fondée sur l’impression d’ensemble produite par les marques, tout en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants. La Cour précise qu’un élément commun peut conserver une position distinctive autonome dans le signe composé, même s’il n’en domine pas totalement l’impression visuelle. Si cet élément constitue la marque antérieure, le public pourrait croire que « les produits ou les services proviennent, à tout le moins, d’entreprises liées économiquement ».

Il incombe dès lors au juge national de vérifier si l’acronyme continue d’être perçu de manière indépendante malgré l’ajout d’une explication textuelle plus longue. Un composant, même doté d’un faible caractère distinctif, peut s’imposer à la perception du consommateur « en raison notamment de sa position dans le signe ou de sa dimension ». Cette analyse concrète permet de maintenir l’équilibre entre la liberté d’utiliser des termes descriptifs et la protection nécessaire des signes déjà installés.

B. L’exigence d’une évaluation in concreto du lien sémantique

La présence d’un risque de confusion dépend également de la capacité du public à percevoir une unité logique différente entre les composants séparés et le signe global. Un élément ne conserve pas sa position distinctive autonome s’il forme avec les autres éléments « une unité ayant un sens différent par rapport au sens desdits éléments pris séparément ». Le juge doit donc analyser si le lien entre la séquence de lettres et le syntagme est immédiat pour le consommateur moyen.

Le simple fait que la marque postérieure reproduise l’acronyme antérieur et son explication « ne saurait, à lui seul, exclure l’existence d’un risque de confusion ». La juridiction de renvoi doit rechercher si la séquence de lettres est susceptible d’être mémorisée de manière autonome par le public pertinent. Cette méthode impose une analyse rigoureuse des faits de l’espèce, garantissant que la précision descriptive d’un signe nouveau ne serve pas à contourner indûment les droits acquis.

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Hassan KOHEN
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