Cour de justice de l’Union européenne, le 22 septembre 2011, n°C-90/10

Par l’arrêt soumis à commentaire, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les obligations des États membres découlant de la directive « Habitats ». La Commission européenne a engagé une procédure en manquement contre un État membre. Elle lui reproche de ne pas avoir correctement transposé et appliqué les dispositions de la directive relatives à la conservation des habitats naturels. La procédure concerne spécifiquement la désignation de zones spéciales de conservation (ZSC) dans la région biogéographique macaronésienne. Les faits révèlent une divergence sur l’étendue des obligations de planification et de protection de ces sites. Après un avis motivé resté sans réponse satisfaisante, l’institution gardienne des traités a saisi la Cour. La controverse juridique porte principalement sur l’interprétation des articles 4, paragraphe 4, et 6, paragraphes 1 et 2, de la directive 92/43/CEE. Il s’agissait de déterminer si l’obligation d’établir des priorités de conservation était une démarche autonome et si les mesures de protection mises en place par l’État mis en cause étaient suffisantes. La Cour de justice a constaté le manquement de l’État membre. Elle juge que l’établissement de priorités de conservation constitue une obligation distincte. Elle estime également que les mesures de conservation et de protection des sites n’avaient pas été adoptées dans les délais impartis.

La solution retenue par la Cour rappelle avec fermeté l’étendue des obligations pesant sur les États membres pour la protection de la biodiversité. Elle clarifie d’abord la portée de l’obligation d’établir des priorités pour la gestion des sites (I). Elle sanctionne ensuite l’insuffisance du régime de protection effectivement mis en place (II).

I. La clarification de l’obligation d’établir des priorités de conservation

La Cour de justice opère une lecture stricte de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « Habitats ». Elle consacre l’existence d’une obligation de définir des priorités de conservation (A), en s’appuyant sur une application rigoureuse du cadre temporel du contrôle en matière de manquement (B).

A. La consécration d’une obligation de priorisation autonome

Le litige portait sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 4, de la directive. Cette disposition prévoit que l’État membre « désigne ce site comme [ZSC] […] en établissant les priorités en fonction de l’importance des sites pour le maintien ou le rétablissement […] d’un type d’habitat naturel […] ou d’une espèce ». L’État défendeur, soutenu par un État intervenant, avançait qu’une telle obligation se limitait à un classement des sites au moment de leur désignation. La Commission soutenait au contraire une interprétation plus large. Elle estimait que cette exigence couvrait également l’adoption et l’application des mesures de conservation nécessaires. Les priorités devaient donc guider l’action de l’État après la désignation formelle des zones.

La Cour ne tranche pas explicitement l’intégralité de ce débat doctrinal. Elle se contente de constater que l’État membre n’avait établi aucune priorité selon les critères de la directive. Le manquement est caractérisé par l’absence totale d’un tel cadre de priorisation. La Cour constate que « le Royaume d’Espagne n’avait pas établi, pour les [ZSC], des priorités en fonction de l’importance des sites ». Cette approche confirme que l’établissement de priorités est une étape nécessaire et non une simple faculté. Elle doit être matérialisée par un acte formel, distinct de la seule désignation successive des sites.

B. L’application décisive du cadre temporel du litige

Pour écarter les arguments de l’État défendeur, la Cour s’appuie sur une jurisprudence constante. Elle rappelle que « l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé ». Les mesures nationales invoquées pour justifier le respect de l’obligation, à savoir un arrêté ministériel et un décret régional, avaient été adoptées après l’expiration de ce délai. Elles ne pouvaient donc pas être prises en considération pour apprécier l’existence du manquement.

Cette position procédurale permet à la Cour de ne pas se prononcer sur le fond de la législation tardivement adoptée. Elle évite ainsi d’évaluer si les décrets nationaux auraient pu, matériellement, satisfaire aux exigences de la directive. Cette méthode garantit l’effet utile de la phase précontentieuse. Elle contraint les États membres à remédier à leurs manquements dans les délais impartis par la Commission. La rigueur du contrôle temporel renforce l’autorité de l’avis motivé et incite à une prompte mise en conformité. La décision illustre parfaitement la fonction de ce principe comme outil au service de l’effectivité du droit de l’Union.

II. La sanction d’un régime de protection lacunaire

La Cour constate également le manquement de l’État membre au regard de l’article 6 de la directive. Elle retient l’absence de mesures de conservation suffisantes (A) et l’incapacité du régime en place à prévenir la détérioration des habitats protégés (B).

A. L’absence de mesures de conservation nécessaires

L’article 6, paragraphe 1, de la directive impose aux États membres d’établir les mesures de conservation nécessaires pour les ZSC. Ces mesures doivent répondre aux exigences écologiques des types d’habitats et des espèces présents. La Commission soutenait que de telles mesures faisaient défaut. L’État membre ne conteste pas directement cette allégation, reconnaissant que les plans de gestion étaient encore en cours d’élaboration. Pour la Cour, cette absence de contestation, voire cet aveu implicite, suffit à établir le manquement.

Cependant, la Cour nuance sa décision en appliquant strictement les règles relatives à la charge de la preuve. La Commission affirmait également que les instruments d’aménagement existants étaient globalement inadéquats. La Cour écarte cet argument, jugeant que « la Commission n’ayant pas étayé ses allégations par des éléments de preuve appropriés, ledit argument doit être écarté ». Le manquement est donc constaté uniquement pour les sites où l’absence de mesures était avérée ou non contestée. Cette approche souligne que même dans un recours en manquement, il incombe à la Commission de prouver précisément chaque grief.

B. L’incapacité à prévenir la détérioration des habitats

Le paragraphe 2 de l’article 6 oblige les États à prendre les mesures appropriées pour éviter la détérioration des habitats et les perturbations des espèces. La Cour lie directement l’état de conservation « mauvais ou inadéquat » d’un nombre important d’habitats et d’espèces au non-respect de cette obligation. L’existence d’une dégradation suffit à présumer l’insuffisance des mesures de protection. Le manquement à l’obligation de prévention est ainsi caractérisé par le résultat constaté sur le terrain.

Toutefois, comme pour le grief précédent, la Cour fait preuve de mesure. Elle rejette l’argument de la Commission selon lequel les régimes juridiques en vigueur étaient, par nature, inaptes à atteindre les objectifs de la directive. Faute d’éléments de preuve suffisants apportés par l’institution requérante, cet argument est écarté. La Cour condamne donc l’État membre pour les conséquences observables de sa politique, à savoir la détérioration effective des habitats. Elle ne se prononce pas sur l’inadéquation structurelle du cadre légal national. L’arrêt réaffirme ainsi l’obligation de résultat qui pèse sur les États pour la protection des sites Natura 2000, tout en rappelant les exigences probatoires qui encadrent le contrôle du juge de l’Union.

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Hassan KOHEN
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