Dans un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours de l’obligation d’étiquetage des denrées alimentaires, spécifiquement en ce qui concerne le miel conditionné en portions individuelles. En l’espèce, une entreprise spécialisée dans le conditionnement de miel commercialisait des portions individuelles de vingt grammes, regroupées dans un carton collectif destiné à des établissements de restauration collective. Seul l’emballage extérieur, le carton, comportait les mentions obligatoires, notamment le pays d’origine du miel, tandis que les coupelles individuelles en étaient dépourvues. Une autorité administrative a sanctionné l’entreprise pour manquement à ses obligations d’étiquetage, considérant que chaque portion individuelle devait porter cette information. Saisie du litige, l’entreprise a engagé une action déclaratoire devant les juridictions administratives allemandes. Après avoir été déboutée en première instance par le tribunal administratif de Munich le 25 septembre 2013, l’entreprise a interjeté appel devant le tribunal administratif supérieur du Land de Bavière. Cette juridiction, confrontée à une difficulté d’interprétation du droit de l’Union, a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice. La question de droit posée était de savoir si des portions individuelles de miel, contenues dans un emballage collectif dûment étiqueté et destinées à des collectivités, doivent être qualifiées de « denrées alimentaires préemballées » au sens de la directive 2000/13/CE et, par conséquent, être soumises à une obligation d’étiquetage individuelle lorsqu’elles sont proposées au consommateur final, soit séparément, soit dans le cadre d’un repas à prix forfaitaire. La Cour a répondu par l’affirmative, estimant que « constitue une “denrée alimentaire préemballée” chacune des portions individuelles de miel […] lorsque ces dernières vendent ces portions séparément ou les proposent au consommateur final dans le cadre de la composition de repas préparés vendus pour un prix forfaitaire ». La solution de la Cour repose sur une définition extensive de l’acte de présentation à la vente, justifiée par l’objectif de protection du consommateur. L’analyse de la Cour clarifie ainsi la notion de « denrée alimentaire préemballée » (I), réaffirmant avec force la primauté de l’information due au consommateur final (II).
I. La clarification de la notion de « denrée alimentaire préemballée »
La Cour de justice opère une lecture finaliste des textes pour qualifier la portion individuelle de miel. Elle définit la notion d’« unité de vente » à l’aune de sa présentation au consommateur (A), rendant par là même sans pertinence le mode de conditionnement global initial (B).
A. Une interprétation finaliste de la notion d’« unité de vente »
Pour déterminer si une portion individuelle constitue une « denrée alimentaire préemballée », la Cour analyse la définition posée par l’article 1er, paragraphe 3, sous b), de la directive 2000/13. Ce texte vise « l’unité de vente destinée à être présentée en l’état au consommateur final et aux collectivités ». La Cour relève des divergences entre les versions linguistiques, certaines se référant à un « unique élément » et d’autres, comme la version française, à la notion d’« unité de vente ». Conformément à sa jurisprudence constante, elle dépasse cette divergence en interprétant la disposition au regard de son économie générale et de sa finalité. Elle constate que l’ensemble de la directive fait référence à la « vente » ou à l’« acheteur », ce qui implique que l’obligation d’étiquetage concerne les produits destinés à être vendus au consommateur final.
Cependant, la Cour étend cette notion au-delà de la simple transaction monétaire directe pour une portion unique. Elle juge qu’une portion est également présentée à la vente lorsqu’elle est « proposée dans la composition d’un repas préparé vendu pour un prix forfaitaire ». En effet, dans cette situation, « ce forfait couvre tous les biens et les services nécessaires pour fournir ce repas et il inclut donc les diverses composantes dudit repas ». Le choix du consommateur de consommer ou non cette portion de miel est donc assimilé à une décision d’achat, ce qui justifie qu’il dispose de l’information nécessaire. Cette interprétation fonctionnelle de l’« unité de vente » assure l’effectivité du droit à l’information.
B. L’indifférence du mode de conditionnement global
L’argument selon lequel les portions individuelles ne seraient que le contenu d’un préemballage plus grand, le carton collectif, est écarté par la Cour. Elle s’appuie sur l’article 8, paragraphe 2, sous c), de la directive 2000/13, qui prévoit explicitement qu’un préemballage peut être constitué de plusieurs préemballages individuels. La qualification du carton collectif de préemballage n’exclut donc pas que les portions qu’il contient reçoivent la même qualification. Le critère déterminant n’est pas le conditionnement de gros, mais bien la manière dont le produit est finalement présenté au consommateur. Dès lors que la portion individuelle est « destinée à être présentée en l’état au consommateur final », elle tombe dans le champ d’application de la directive.
La Cour examine également les dérogations possibles et conclut qu’elles ne sont pas applicables en l’espèce. La dérogation de l’article 13, paragraphe 1, sous b), second tiret, de la directive ne s’applique pas car le miel n’est ni préparé, ni transformé, ni fractionné par la collectivité ; il est proposé tel quel. De même, la situation ne relève pas de l’article 14, car le miel n’est pas emballé sur le lieu de vente à la demande de l’acheteur. En écartant ces exceptions, la Cour confirme que le seul fait que la portion soit préemballée par le producteur et destinée à être remise intacte au consommateur final suffit à la soumettre à l’obligation d’étiquetage.
II. La primauté réaffirmée de l’information du consommateur
La solution retenue par la Cour ne se limite pas à une exégèse technique ; elle est fermement ancrée dans l’objectif fondamental de protection du consommateur. Cette exigence d’information est jugée particulièrement impérative pour un produit comme le miel (A), ce qui confère à la décision une portée étendue à l’ensemble des portions individuelles présentées dans des contextes similaires (B).
A. Une exigence impérative d’information sur l’origine du miel
La Cour souligne la spécificité du miel en se référant à la directive 2001/110, qui établit des règles sectorielles pour ce produit. Elle cite le considérant 5 de cette directive, qui énonce que, « [c]ompte tenu du lien étroit entre la qualité du miel et son origine, il est indispensable d’assurer une pleine information sur ces points afin d’éviter d’induire en erreur le consommateur sur la qualité du produit ». L’origine du miel n’est donc pas une information anodine ; elle est une caractéristique essentielle du produit, directement liée à sa qualité perçue par le consommateur. L’omission de cette mention sur la portion individuelle est donc, par nature, susceptible d’induire le consommateur en erreur.
En conséquence, la Cour juge que l’information sur le pays d’origine doit être disponible au moment crucial où le consommateur fait son choix. Qu’il décide d’acheter la portion séparément ou de la consommer dans le cadre d’un menu, il doit pouvoir le faire « en toute connaissance de cause ». L’obligation de faire figurer l’origine sur chaque portion découle directement de cet « intérêt particulier manifesté par le consommateur à l’égard des caractéristiques géographiques du miel ». La Cour consacre ainsi le principe de transparence comme un élément non négociable de la commercialisation de ce produit.
B. La portée étendue de l’obligation d’étiquetage aux portions individuelles
En qualifiant de « denrée alimentaire préemballée » toute portion individuelle proposée au consommateur final dans une collectivité, la Cour de justice confère à sa décision une portée générale. La solution ne se limite pas au miel et pourrait logiquement s’appliquer à d’autres denrées conditionnées de manière similaire, telles que les confitures, le beurre ou les sauces, pour lesquelles l’origine ou d’autres caractéristiques peuvent être pertinentes. La décision met fin à une incertitude juridique et prévient une potentielle faille dans la chaîne d’information. Le fait que les informations figurent sur le carton de livraison devient insuffisant dès lors que ce dernier n’est jamais présenté au consommateur.
De plus, la Cour écarte fermement les arguments qui pourraient affaiblir cette protection. Elle rappelle qu’un document de travail d’un groupe d’experts de la Commission, qui suggérait une solution contraire, n’a « aucune valeur juridique officielle ». Elle balaie également l’idée qu’une mention « ne peut être vendu séparément » apposée par l’exploitant pourrait le soustraire à son obligation, car la notion de présentation à la vente inclut l’offre dans le cadre d’un repas forfaitaire. La Cour assure ainsi que l’information du consommateur ne peut être contournée par des arrangements commerciaux ou des mentions unilatérales, garantissant une protection effective jusqu’au dernier maillon de la chaîne de distribution.