Cour de justice de l’Union européenne, le 23 avril 2009, n°C-74/08

Par un arrêt portant sur l’interprétation de la sixième directive 77/388/CEE du 17 mai 1977, la Cour de justice de l’Union européenne précise l’étendue du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée en cas de financement public.

En l’espèce, un assujetti avait procédé à l’acquisition de biens, acquisition pour laquelle il avait bénéficié d’une subvention de la part d’une autorité publique. L’administration fiscale nationale avait limité son droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) grevant cette acquisition à la seule fraction du prix non couverte par la subvention. L’assujetti soutenait au contraire avoir droit à la déduction de la totalité de la taxe payée en amont.

Saisie d’un recours par l’assujetti, la juridiction nationale a sursis à statuer afin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Les prétentions opposaient donc l’assujetti, qui revendiquait une déduction intégrale de la TVA en vertu du principe de neutralité de la taxe, à l’administration fiscale, qui liait l’étendue du droit à déduction à l’origine du financement de l’opération.

Le problème de droit soumis à la Cour consistait à déterminer si le droit de l’Union, et plus spécifiquement la sixième directive TVA, autorise un État membre à restreindre le droit à déduction de la TVA sur un bien acquis au moyen d’une subvention. Il s’agissait également de savoir si les dispositions pertinentes de cette directive pouvaient être directement invoquées par un particulier devant ses juridictions nationales.

La Cour de justice répond que le droit de l’Union s’oppose à une telle réglementation nationale. Elle affirme qu’une législation « qui, en cas d’acquisition de biens subventionnée par des fonds publics, ne permet de déduire la taxe sur la valeur ajoutée y afférente qu’à concurrence de la partie non subventionnée de cette acquisition » est incompatible avec la directive. La Cour ajoute que la disposition fondant le droit à déduction intégral produit un effet direct.

La décision renforce ainsi le principe de neutralité de la TVA en consacrant une conception extensive du droit à déduction (I), tout en assurant l’effectivité de ce droit par la reconnaissance de sa justiciabilité directe (II).

I. L’affirmation d’un droit à déduction intégral et inconditionnel

La Cour de justice réaffirme avec force le principe fondamental de neutralité de la TVA en détachant l’exercice du droit à déduction des modalités de financement de l’opération économique (A), ce qui conduit à rejeter toute logique de proportionnalité liée à l’octroi d’une subvention (B).

A. Le caractère absolu du droit à déduction comme corollaire de la neutralité de la taxe

Le mécanisme de la taxe sur la valeur ajoutée est conçu pour que l’assujetti, qui agit dans le cadre de ses opérations taxées, soit entièrement déchargé du poids de la TVA payée en amont. Cette neutralité fiscale garantit que la taxe pèse uniquement sur le consommateur final et n’affecte pas la compétitivité des entreprises. La solution de la Cour s’inscrit rigoureusement dans cette logique.

En l’occurrence, l’acquisition d’un bien par un assujetti constitue une opération économique pour laquelle la taxe est facturée par le fournisseur sur la totalité du prix de vente. Le droit à déduction prend naissance à l’instant où la taxe devient exigible, c’est-à-dire au moment de la livraison du bien. Le fait générateur de la déduction est donc l’acquisition elle-même, et non la manière dont l’assujetti s’acquitte du paiement du prix convenu avec son fournisseur. La Cour rappelle ainsi que le droit à déduction est une composante structurelle du système de la TVA et ne saurait être aménagé au gré des circonstances particulières de chaque transaction.

B. L’indifférence du mode de financement de l’acquisition

La Cour juge qu’une réglementation nationale « ne permet de déduire la taxe sur la valeur ajoutée y afférente qu’à concurrence de la partie non subventionnée de cette acquisition ». Elle censure une telle approche en considérant que l’origine des fonds utilisés pour financer l’achat, qu’ils proviennent des ressources propres de l’assujetti ou d’une subvention publique, est sans incidence sur le droit à déduction.

La subvention, dans cette configuration, n’est pas une réduction du prix de vente mais une aide financière accordée à l’acheteur. Le prix convenu entre le fournisseur et l’acquéreur reste inchangé et constitue l’assiette de la TVA. Par conséquent, la taxe payée par l’assujetti correspond à la totalité de cette assiette. Limiter la déduction reviendrait à réintroduire une charge fiscale occulte pour l’entreprise, en violation directe du principe de neutralité. Cette décision clarifie que le lien économique pertinent est celui entre l’opération taxée en amont et les opérations taxées en aval, et non entre le financement et l’acquisition.

II. La garantie renforcée des droits de l’assujetti

Au-delà de la clarification substantielle, la Cour de justice ancre solidement la protection du contribuable en confirmant l’invocabilité directe de la norme européenne (A), conférant ainsi à sa solution une portée pratique considérable pour l’ensemble des assujettis de l’Union (B).

A. La consécration de l’effet direct de la disposition pertinente

La Cour ne se contente pas d’interpréter le droit de l’Union ; elle en garantit l’application effective au profit des particuliers. Elle énonce clairement que « L’article 17, paragraphe 2, de la sixième directive 77/388 confère aux assujettis des droits qu’ils peuvent faire valoir devant le juge national pour s’opposer à une réglementation nationale incompatible avec cette disposition ».

Cette reconnaissance de l’effet direct vertical est capitale. Elle signifie que, même si un État membre a maintenu ou adopté une législation contraire aux objectifs de la directive, un assujetti peut directement invoquer l’article de la directive devant une juridiction nationale pour faire écarter la loi interne non conforme. La disposition en cause est jugée suffisamment claire, précise et inconditionnelle pour créer des droits dans le chef des particuliers sans nécessiter de mesure de transposition complémentaire. L’assujetti n’est donc pas dépendant du bon vouloir de l’État pour jouir de ses droits européens.

B. La portée concrète de la solution pour l’ensemble des assujettis

Cette décision constitue un arrêt de principe dont la portée dépasse largement le cas d’espèce. Elle offre une sécurité juridique accrue à toutes les entreprises bénéficiant de subventions publiques pour leurs investissements. Désormais, tout assujetti confronté à une restriction similaire de son droit à déduction dans un État membre dispose d’un fondement juridique clair pour contester la position de son administration fiscale.

La solution assure une application uniforme de la législation européenne en matière de TVA, empêchant les distorsions de concurrence qui pourraient naître de pratiques nationales divergentes. En permettant aux assujettis de devenir les gardiens de l’application du droit de l’Union, la Cour renforce l’état de droit communautaire. La décision n’est pas seulement une interprétation technique, mais un rappel que le système fiscal européen est fondé sur des principes qui doivent être pleinement respectés et qui bénéficient de garanties juridictionnelles effectives.

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Hassan KOHEN
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