Cour de justice de l’Union européenne, le 23 avril 2015, n°C-111/14

La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision rendue le 7 septembre 2023, précise les règles de désignation du redevable de la taxe sur la valeur ajoutée. Un prestataire de services a fourni des prestations à un destinataire, tous deux étant établis dans le même État membre. Le destinataire a spontanément acquitté la taxe en supposant à tort l’absence d’établissement stable du prestataire sur le territoire national. L’administration fiscale a toutefois identifié l’existence d’un tel établissement et a exigé le paiement de la taxe auprès du prestataire. Ce dernier s’est vu refuser le remboursement des sommes dues malgré l’impossibilité pour le destinataire de déduire la taxe déjà versée. Le litige porte sur la validité d’une législation nationale interdisant la régularisation des documents fiscaux après un avis de redressement définitif.

La juridiction de renvoi demande si l’administration peut légalement désigner le destinataire comme redevable dans une telle configuration factuelle et juridique. Elle s’interroge également sur la conformité du refus de remboursement au principe fondamental de neutralité fiscale inhérent au système commun de taxe.

La Cour affirme que seul le prestataire disposant d’un établissement stable est redevable de la taxe pour les services fournis à partir de celui-ci. Elle rejette la possibilité pour l’administration de considérer le destinataire comme redevable, même en cas de paiement erroné préalable par ce dernier. Enfin, elle juge que le principe de neutralité s’oppose à l’interdiction de régularisation des documents fiscaux suite à un redressement définitif. Le présent commentaire examinera d’abord la détermination du redevable légal de la taxe avant d’analyser la protection du principe de neutralité fiscale.

I. L’identification impérative du prestataire comme unique redevable de la taxe

A. La localisation de l’établissement stable comme critère de désignation

La Cour de justice rappelle que la désignation du redevable de la taxe obéit à des critères strictement définis par la directive européenne. L’existence d’un établissement stable sur le territoire de l’État membre où les services sont rendus constitue l’élément déterminant de cette qualification. Le juge européen énonce que « seul est redevable de la taxe sur la valeur ajoutée l’assujetti fournissant une prestation de services lorsque celle-ci a été fournie à partir d’un établissement stable situé dans l’État membre où cette taxe est due ». Cette interprétation exclut toute marge d’appréciation pour les autorités fiscales nationales quant à l’identité du débiteur légal.

La présence d’une structure matérielle et humaine permanente impose au prestataire d’assumer ses obligations fiscales directement auprès de son administration de rattachement. Cette solution garantit une application uniforme des règles de facturation au sein du marché unique tout en évitant les erreurs de perception. La localisation effective de l’activité économique prime ainsi sur les simples déclarations formelles des parties au contrat de service. Cette rigueur dans la détermination du redevable interdit alors tout transfert de responsabilité fiscale vers le bénéficiaire des prestations.

B. L’interdiction du transfert de la charge fiscale au destinataire des services

L’administration fiscale ne peut pas choisir de percevoir la taxe auprès du destinataire pour compenser une erreur d’appréciation initiale des assujettis. La Cour précise que l’article 194 de la directive « ne permet pas à l’administration fiscale d’un État membre de considérer comme redevable […] le destinataire d’une prestation de services fournie à partir d’un établissement stable du prestataire ». Cette règle s’applique impérativement lorsque les deux acteurs économiques sont établis sur le territoire d’un même État membre. La sécurité juridique des transactions commerciales exige une prévisibilité totale quant à l’identité de celui qui doit collecter et reverser l’impôt.

Une supposition erronée du destinataire sur la situation géographique du prestataire ne saurait modifier les règles de droit public régissant l’obligation fiscale. Même si le client a déjà acquitté la taxe par le mécanisme de l’auto-liquidation, l’administration doit rétablir la situation conforme à la loi. Cette rectification nécessaire de la qualité du redevable légal conduit toutefois à examiner les conséquences financières de ces ajustements pour les entreprises.

II. La primauté du principe de neutralité sur les restrictions procédurales

A. L’illicéité du refus de remboursement au prestataire de services

Le principe de neutralité fiscale interdit que l’administration conserve deux fois le montant de la taxe pour une seule et même opération économique. Le juge souligne que ce principe « s’oppose à une disposition nationale qui permet à l’administration fiscale de refuser au prestataire de services le remboursement de cette taxe qu’il a acquittée ». Cette obligation de remboursement s’impose dès lors que le destinataire s’est vu refuser le droit de déduire la taxe versée par erreur. L’absence de document fiscal conforme ne doit pas servir de prétexte à un enrichissement sans cause de l’autorité publique.

La neutralité constitue la clé de voûte du système de la taxe sur la valeur ajoutée en garantissant que la charge fiscale ne pèse pas sur les assujettis. Le refus de restituer les sommes perçues indûment constituerait une sanction disproportionnée par rapport à une simple erreur matérielle de facturation. Cette protection du droit au remboursement nécessite alors de lever les obstacles administratifs empêchant la mise en conformité des documents comptables.

B. L’exigence de régularisation des factures malgré l’autorité du redressement

La législation nationale ne peut pas opposer le caractère définitif d’un avis de redressement pour bloquer la correction des erreurs de facturation. La Cour de justice censure les lois qui empêchent « la régularisation des documents fiscaux lorsqu’il existe un avis de redressement définitif ». Cette interdiction rigide de modification post-contrôle méconnaît la finalité du système commun de taxe qui vise à refléter la réalité des échanges économiques. Les procédures administratives internes doivent permettre aux entreprises de recouvrer leurs droits fiscaux une fois l’erreur identifiée par les juges.

L’administration fiscale doit faciliter la régularisation pour permettre au destinataire d’exercer son droit à déduction ou au prestataire d’obtenir son remboursement. La primauté du droit de l’Union impose d’écarter toute disposition procédurale nationale qui rendrait impossible l’application concrète de la neutralité fiscale. Cette solution assure une justice fiscale effective en protégeant les opérateurs économiques contre les conséquences excessives d’un formalisme administratif trop contraignant.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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