Cour de justice de l’Union européenne, le 23 avril 2020, n°C-101/19

Par un arrêt en date du 23 avril 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le régime d’étiquetage applicable aux médicaments homéopathiques soumis à une procédure d’enregistrement simplifiée. En l’espèce, une société pharmaceutique avait sollicité auprès de l’autorité nationale compétente l’enregistrement de deux médicaments homéopathiques sous forme de crème. L’autorité avait accordé les enregistrements à la condition que les instructions relatives à la posologie, telles que « appliquer 1 à 2 fois par jour », soient supprimées des notices. La société requérante a contesté cette décision, arguant que de telles informations étaient utiles pour le patient.

Saisie d’un recours par la société, la juridiction administrative de première instance puis la juridiction d’appel ont rejeté ses prétentions. Elles ont estimé que les indications de posologie ne constituaient pas une information obligatoire et que leur mention risquait de contrevenir à la réglementation. La société a alors formé un pourvoi en cassation devant la Cour administrative fédérale, qui a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice sur l’interprétation de la directive 2001/83/CE. La question posée à la Cour était de savoir si les dispositions de l’article 69 de la directive, relatives aux mentions figurant sur la notice des médicaments homéopathiques soumis à une procédure d’enregistrement simplifiée, devaient être interprétées comme établissant une liste exhaustive, interdisant ainsi l’ajout d’informations complémentaires telles que la posologie.

La Cour a répondu par l’affirmative, en jugeant que la directive « s’oppose à ce que la notice visée à son article 69 comporte d’autres informations que celles énumérées dans cette disposition, notamment une instruction relative à la posologie des médicaments homéopathiques concernés par ladite disposition ». La Cour consacre ainsi une interprétation littérale des textes régissant l’information du patient (I), justifiée par la nécessité de préserver la distinction fondamentale entre les régimes d’autorisation des médicaments (II).

I. La consécration d’une interprétation littérale du cadre informatif

La solution retenue par la Cour de justice repose sur une lecture stricte des dispositions de la directive 2001/83/CE. Elle affirme le caractère exhaustif des mentions autorisées pour les médicaments homéopathiques enregistrés (A), ce qui exclut l’application de dispositions plus générales relatives à l’information du patient (B).

A. Le caractère exclusif des mentions prévues à l’article 69

La Cour fonde son raisonnement sur la lettre même de l’article 69, paragraphe 1, de la directive. Ce texte dispose que l’étiquetage et la notice des médicaments homéopathiques bénéficiant de la procédure d’enregistrement simplifiée « portent de manière obligatoire et exclusivement les mentions suivantes ». L’emploi de l’adverbe « exclusivement » ne laisse que peu de place à l’interprétation. Il établit une liste limitative de renseignements pouvant être communiqués à l’utilisateur pour cette catégorie spécifique de médicaments. La Cour relève logiquement que la posologie ne figure pas parmi les mentions énumérées par cette disposition.

L’analyse de la Cour met en évidence que l’article 69 constitue une règle spéciale, une *lex specialis*, qui déroge au régime général d’étiquetage des médicaments. Cette disposition a été spécifiquement conçue pour les produits homéopathiques mis sur le marché sans indication thérapeutique et présentant un degré de dilution garantissant leur innocuité. Le législateur de l’Union a ainsi entendu encadrer de manière très précise l’information délivrée pour ces produits, afin de refléter la nature de leur statut réglementaire particulier. Toute autre interprétation viderait de sa substance le caractère dérogatoire et strict de ce régime.

B. L’inapplication de la clause générale d’information utile au patient

La société requérante soutenait que l’article 62 de la directive permettait d’inclure des informations sur la posologie, au titre des « autres informations compatibles avec le résumé des caractéristiques du produit, utiles pour le patient ». La Cour écarte cet argument, considérant que le régime spécial de l’article 69 prime sur la disposition plus générale de l’article 62. En d’autres termes, la possibilité d’ajouter des informations utiles est réservée aux médicaments qui ne relèvent pas du champ d’application de la procédure d’enregistrement simplifiée.

Cette exclusion est logique au regard de la structure de la directive. Les médicaments soumis à une autorisation de mise sur le marché classique disposent d’un « résumé des caractéristiques du produit » complet, incluant une posologie validée par des essais cliniques. C’est la compatibilité avec ce document de référence qui conditionne l’ajout d’informations complémentaires. Or, les médicaments homéopathiques enregistrés selon la procédure simplifiée sont, par définition, dépourvus de preuve d’effet thérapeutique et donc de résumé des caractéristiques du produit au sens classique. L’application de l’article 62 à ces derniers serait donc dépourvue de fondement et de garde-fou.

Cette lecture rigoureuse des textes n’est pas seulement un exercice d’exégèse ; elle trouve sa justification dans les finalités mêmes de la directive et la protection de la santé publique.

II. Une solution justifiée par la logique du droit pharmaceutique

La position de la Cour, bien que stricte, est pleinement justifiée par la nécessité de maintenir une distinction claire entre les différents statuts des médicaments (A), ce qui participe directement à l’objectif de sauvegarde de la santé publique (B).

A. L’impératif de distinction entre enregistrement et autorisation de mise sur le marché

L’arrêt souligne implicitement une dichotomie fondamentale du droit pharmaceutique européen. D’un côté, l’autorisation de mise sur le marché est accordée aux médicaments dont l’efficacité thérapeutique, la sécurité et la qualité ont été démontrées scientifiquement. Pour ces produits, l’indication d’une posologie est non seulement autorisée mais obligatoire, car elle est le fruit d’une évaluation rigoureuse. De l’autre, la procédure d’enregistrement simplifiée, prévue pour certains médicaments homéopathiques, exempte le demandeur de « la preuve de l’effet thérapeutique ».

Autoriser la mention d’une posologie pour un médicament enregistré selon cette procédure simplifiée créerait une confusion inacceptable pour le consommateur. Cela pourrait « rendre floue, incertaine et inconséquente la délimitation entre ces médicaments et ceux qui nécessitent une autorisation de mise sur le marché ». Le patient serait ainsi susceptible de croire que la posologie indiquée repose sur une efficacité démontrée, ce qui n’est pas le cas pour ces produits. La décision de la Cour préserve donc la cohérence du système et la clarté de l’information.

B. La sauvegarde de la santé publique comme finalité ultime

En définitive, la solution s’inscrit dans l’objectif essentiel de la directive, rappelé dans son considérant 2 : la sauvegarde de la santé publique. En interdisant l’indication d’une posologie, la Cour prévient le risque que les utilisateurs soient induits en erreur sur les caractéristiques réelles du médicament. Une posologie suggère un effet pharmacologique dose-dépendant, concept qui est étranger à la procédure d’enregistrement simplifiée.

De plus, l’article 69 impose de faire figurer la mention « médicament homéopathique “sans indications thérapeutiques approuvées” » ainsi qu’un « avertissement conseillant à l’utilisateur de consulter un médecin si les symptômes persistent ». Ces avertissements seraient affaiblis, voire contredits, par la présence simultanée d’une posologie qui inciterait à une forme d’autotraitement sans recul critique. La décision a donc une portée préventive importante. Elle confirme que l’information délivrée au patient, même lorsqu’elle semble utile au premier abord, ne doit jamais compromettre la clarté du statut réglementaire du produit et, par conséquent, la sécurité de son usage.

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Hassan KOHEN
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