Par une décision dont la portée clarifie les obligations des États membres, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions de réparation financière dues à un assujetti en cas de remboursement tardif d’un excédent de taxe sur la valeur ajoutée. En l’espèce, une administration fiscale nationale avait, sur le fondement d’une législation interne jugée par la suite contraire au droit de l’Union, retenu indûment des sommes correspondant à un excédent de TVA déductible. Confronté à la demande de l’assujetti d’obtenir des intérêts compensatoires pour la période de rétention, le juge national a saisi la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles. Celles-ci portaient sur la compatibilité des modalités nationales de calcul et de réclamation de ces intérêts avec les principes fondamentaux du droit de l’Union. Il s’agissait donc pour la Cour de déterminer dans quelle mesure les principes d’effectivité, de neutralité fiscale et d’équivalence encadrent l’autonomie procédurale et substantielle des États membres dans la réparation du préjudice né d’une violation du droit de la TVA. La Cour de justice a répondu en affirmant qu’un taux d’intérêt inférieur au coût de l’emprunt pour l’assujetti et ne compensant pas l’érosion monétaire est insuffisant. Elle a cependant admis qu’un État membre puisse imposer un délai de prescription quinquennal ainsi que l’introduction d’une demande spécifique pour le paiement desdits intérêts. Si la Cour consacre ainsi le droit de l’assujetti à une compensation financière effective (I), elle reconnaît néanmoins une marge d’appréciation significative aux États membres dans l’aménagement des voies de droit (II).
I. La consécration d’une réparation adéquate du préjudice financier
La Cour de justice de l’Union européenne réaffirme avec force que la réparation accordée à un assujetti pour le remboursement tardif d’un excédent de TVA doit être effective et non symbolique. Cette exigence se traduit par une appréciation concrète du préjudice subi, ce qui conduit au rejet d’un taux d’intérêt purement nominal (A) et à la prise en compte nécessaire de l’écoulement du temps (B).
A. L’insuffisance d’un taux d’intérêt purement nominal
La Cour sanctionne une méthode de calcul qui ne reflète pas la perte économique réellement supportée par l’assujetti. Elle juge que les principes d’effectivité et de neutralité fiscale « s’opposent à la pratique d’un État membre consistant à calculer les intérêts sur les excédents de taxe sur la valeur ajoutée […] en appliquant un taux qui correspond au taux de base de la banque centrale nationale, lorsque, d’une part, ce taux est moins élevé que celui qu’un assujetti […] devrait payer pour emprunter une somme égale audit montant ». En liant l’appréciation du taux à la situation concrète d’un assujetti qui, privé de sa trésorerie, pourrait être contraint de recourir au crédit, la Cour adopte une approche économique réaliste. La simple application d’un taux directeur, souvent déconnecté des conditions réelles du marché du crédit pour les entreprises, ne suffit pas à garantir la neutralité de la TVA. Ce principe impose en effet que l’assujetti soit entièrement déchargé du poids de la taxe, ce qui inclut les conséquences financières dommageables d’une rétention illégitime par l’administration fiscale.
B. La nécessaire compensation de l’érosion monétaire
Au-delà de la seule référence au coût du crédit, la Cour ajoute une condition relative à la préservation de la valeur de la créance dans le temps. Elle précise que le droit de l’Union s’oppose à un calcul d’intérêts « sans application d’un intérêt pour compenser l’assujetti de la dépréciation monétaire provoquée par l’écoulement du temps ». Cette position est essentielle pour assurer une réparation intégrale. Le versement d’un intérêt simple, calculé sur la seule durée de la rétention, ne suffit pas à compenser la perte de pouvoir d’achat de la somme due, surtout lorsque les délais de remboursement se comptent en années. En exigeant une compensation pour l’érosion monétaire, la Cour invite implicitement les États membres à mettre en place des mécanismes de revalorisation, qui pourraient prendre la forme d’intérêts composés ou d’une indexation. Le principe d’effectivité commande que le droit à déduction, puis à remboursement, ne soit pas vidé de sa substance par les effets de l’inflation.
II. L’encadrement de l’autonomie procédurale des États membres
Si elle définit un cadre substantiel strict pour la réparation, la Cour se montre plus souple quant aux modalités procédurales de sa mise en œuvre. Elle valide ainsi les règles nationales qui, sans rendre l’exercice du droit impossible ou excessivement difficile, organisent les voies de recours, admettant la fixation d’un délai de prescription raisonnable (A) et l’exigence d’une démarche formelle de la part de l’assujetti (B).
A. La compatibilité d’un délai de prescription quinquennal
La Cour de justice juge que le droit de l’Union « ne s’oppose pas à une pratique d’un État membre qui soumet à un délai de prescription de cinq ans les demandes de paiement des intérêts sur l’excédent de taxe sur la valeur ajoutée déductible ». Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui reconnaît la compatibilité des délais de forclusion ou de prescription avec le droit de l’Union, au nom du principe de sécurité juridique. Un tel principe protège à la fois les justiciables et les administrations nationales en empêchant une remise en cause indéfinie des situations juridiques. Pour être valide, un délai doit respecter les principes d’équivalence et d’effectivité. Le délai de cinq ans est ici jugé raisonnable en ce qu’il n’apparaît pas plus court que ceux applicables à des recours similaires purement internes et ne rend pas en pratique excessivement difficile l’exercice du droit à réclamer des intérêts. L’assujetti dispose d’une période suffisante pour formuler sa demande une fois le caractère indu de la rétention établi.
B. La recevabilité d’une exigence de demande spécifique d’intérêts
Enfin, la Cour estime que le principe d’effectivité « ne s’oppose pas à une pratique d’un État membre qui […] subordonne le paiement d’un intérêt de retard […] à l’introduction d’une demande spécifique ». Elle admet également que les intérêts ne courent qu’à compter de l’expiration d’un délai de traitement de cette demande, et non dès la date de constitution de l’excédent. Cette position peut surprendre, car elle impose à l’assujetti une charge procédurale supplémentaire alors même que l’administration est à l’origine de la faute. Néanmoins, la Cour considère qu’une telle exigence n’entrave pas de manière disproportionnée le droit à réparation. L’obligation de présenter une demande formelle est une formalité administrative courante qui ne constitue pas un obstacle insurmontable. De même, accorder à l’administration un délai raisonnable pour traiter cette demande avant que les intérêts ne commencent à courir est perçu comme un compromis acceptable entre les droits de l’assujetti et les contraintes de la gestion administrative.