Cour de justice de l’Union européenne, le 23 décembre 2015, n°C-333/14

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 23 décembre 2015, une décision fondamentale relative à l’instauration d’un prix minimum pour l’alcool. Un État membre avait adopté une législation imposant un prix plancher par unité d’alcool lors de la vente au détail de boissons alcoolisées. Ce dispositif visait à réduire la consommation excessive de boissons alcoolisées en augmentant leur coût pour les consommateurs les plus vulnérables. La juridiction de renvoi fut saisie d’un recours contestant la conformité de cette mesure nationale avec les règles de l’organisation commune des marchés. Elle a donc interrogé la Cour sur l’interprétation du règlement n o 1308/2013 et des articles 34 et 36 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Le litige opposait des acteurs économiques aux autorités nationales défendant l’efficacité sanitaire de ce mécanisme spécifique de régulation des prix. Les juges devaient déterminer si un prix minimum constituait une entrave injustifiée aux échanges ou une dérogation légitime à la libre circulation des marchandises. La Cour a précisé les conditions de validité d’une telle mesure tout en soulignant la primauté des instruments fiscaux moins restrictifs. Elle a également défini les modalités du contrôle juridictionnel que les magistrats nationaux doivent exercer sur les preuves fournies par les autorités. L’analyse de cette décision suppose d’examiner l’articulation de la régulation des prix avec l’organisation des marchés avant d’étudier la rigueur du contrôle de proportionnalité.

I. L’articulation de la régulation des prix avec l’organisation commune des marchés

A. Le maintien conditionnel de la libre formation des prix Le règlement n o 1308/2013 organise les marchés des produits agricoles en favorisant une concurrence ouverte entre les producteurs de l’Union européenne. La Cour rappelle que le principe de libre fixation des prix par le jeu du marché demeure la règle essentielle de cette organisation commune. Les États membres ne peuvent en principe interférer dans ce mécanisme sans risquer de perturber le bon fonctionnement des échanges intracommunautaires de vins. L’instauration d’un prix minimum constitue donc une dérogation majeure aux principes de liberté économique portés par le droit de l’Union. Toutefois, le droit européen n’interdit pas de manière absolue toute intervention étatique sur les tarifs de détail pour des motifs impérieux d’intérêt général. La décision précise que le règlement « doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une mesure nationale » fixant un prix minimum. Cette possibilité demeure strictement subordonnée au respect des objectifs fondamentaux de la politique agricole commune définis par les traités européens.

B. La conciliation nécessaire avec les objectifs de santé publique La protection de la vie des personnes constitue une exception légitime permettant aux autorités nationales de restreindre temporairement les mécanismes du marché libre. La Cour admet que la lutte contre l’abus d’alcool justifie des mesures restrictives si elles garantissent effectivement la protection de la santé publique. Les juges soulignent que cette mesure ne doit pas aller « au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ledit objectif » sanitaire poursuivi. La légitimité de l’intervention dépend alors de l’équilibre trouvé entre les exigences économiques et les impératifs de sécurité des citoyens européens. L’organisation commune des marchés ne saurait donc être un obstacle infranchissable lorsque l’intégrité physique de la population est manifestement menacée par une consommation excessive. Cette reconnaissance de l’objectif sanitaire permet désormais d’aborder la question de la proportionnalité de la mesure au regard de la libre circulation des marchandises.

II. La rigueur du contrôle de proportionnalité face à la libre circulation

A. La primauté des instruments fiscaux sur la fixation des prix Les articles 34 et 36 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne interdisent les entraves injustifiées à la libre circulation des produits. La fixation d’un prix minimum affecte directement la compétitivité des boissons importées en empêchant les producteurs de répercuter leurs coûts de revient inférieurs. La Cour considère qu’un État membre ne peut opter pour un prix plancher s’il existe une alternative moins restrictive pour la concurrence européenne. L’augmentation des droits d’accise apparaît comme un moyen plus cohérent car elle ne neutralise pas totalement l’avantage concurrentiel des produits moins chers. Les juges affirment qu’une mesure fiscale « peut être moins restrictive des échanges et de la concurrence à l’intérieur de l’Union européenne » que le prix minimum. La simple efficacité supérieure d’un prix plancher pour certains segments de consommateurs ne suffit pas à justifier l’éviction d’une taxation générale.

B. L’exigence d’une vérification juridictionnelle objective des preuves Le contrôle de la proportionnalité impose aux tribunaux nationaux une analyse rigoureuse des éléments de preuve apportés par les gouvernements pour justifier leurs choix. La juridiction saisie doit examiner « de manière objective si les éléments de preuve fournis par l’État membre concerné » démontrent l’aptitude réelle de la mesure. Ce contrôle ne se limite pas aux seules pièces disponibles lors de l’adoption de la loi mais intègre les données les plus récentes. Le juge doit donc statuer sur la base des informations dont il dispose « à la date à laquelle il statue » sur le litige. Cette exigence garantit que les restrictions à la libre circulation restent justifiées par une nécessité actuelle et scientifiquement documentée par l’administration. La méthode imposée par la Cour renforce ainsi la protection du marché intérieur tout en laissant une marge d’appréciation surveillée aux pouvoirs publics.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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