Cour de justice de l’Union européenne, le 23 février 2006, n°C-122/04

Par un arrêt en date du 23 février 2006, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à se prononcer sur les modalités d’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission. En l’espèce, l’institution exécutive de l’Union a formé un recours en annulation contre une disposition d’un règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la surveillance des forêts. Cette disposition soumettait l’adoption des mesures de mise en œuvre d’un programme communautaire, dénommé Forest Focus, à la procédure de réglementation. La requérante soutenait que le choix de cette procédure méconnaissait les critères établis par une décision du Conseil fixant les modalités d’exercice des compétences d’exécution. Selon elle, les mesures en cause relevaient de la mise en œuvre d’un programme avec des incidences budgétaires notables, ce qui aurait dû conduire à l’application de la procédure de gestion. Le Parlement et le Conseil, soutenus par deux États membres, ont contesté cette analyse, arguant que les mesures litigieuses étaient des mesures de portée générale visant à appliquer les éléments essentiels de l’acte de base, justifiant ainsi le recours à la procédure de réglementation. La question de droit qui se posait à la Cour était donc de savoir si le législateur communautaire, en choisissant la procédure de réglementation pour l’adoption de mesures d’exécution d’un programme, s’était écarté des critères de choix procéduraux au point de devoir motiver spécifiquement sa décision. La Cour de justice rejette le recours, estimant que le choix opéré par le législateur ne constituait pas une dérogation aux critères applicables et n’exigeait donc pas de motivation particulière.

La solution de la Cour repose sur une interprétation précise des critères de choix entre les procédures de comitologie, distinguant clairement les mesures de pure gestion de celles qui participent au développement de l’acte de base (I). Cette décision a pour effet de consacrer une marge d’appréciation significative au profit du législateur dans la détermination des modalités d’exécution de ses propres actes (II).

I. La clarification des critères de distinction entre procédures de comitologie

La Cour commence par réaffirmer le principe de l’obligation de motivation en cas d’écart par rapport aux critères de la décision comitologie (A), avant de l’écarter en l’espèce en qualifiant les mesures litigieuses de mesures de portée générale justifiant la procédure de réglementation (B).

A. Le rappel du principe de l’obligation de motivation en cas de dérogation

L’arrêt s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence antérieure en matière de comitologie. La Cour rappelle en effet que « bien que les critères énoncés à l’article 2 de la seconde décision comitologie n’aient pas un caractère contraignant, lorsque le législateur communautaire s’écarte desdits critères dans le choix d’une procédure de comité, il doit motiver son choix ». Ce principe vise à assurer une certaine cohérence et prévisibilité dans l’architecture institutionnelle de l’exécution du droit communautaire. En obligeant le législateur à justifier ses choix procéduraux lorsqu’ils semblent inhabituels, la Cour garantit que la répartition des compétences d’exécution entre la Commission et le Conseil ne soit pas arbitraire. Cette exigence de motivation permet un contrôle juridictionnel sur la pertinence des raisons qui ont conduit le législateur à privilégier une procédure plutôt qu’une autre. L’argumentation de la Commission reposait entièrement sur l’idée d’une telle dérogation, estimant que la nature budgétaire du programme Forest Focus imposait quasi automatiquement le recours à la procédure de gestion. En rappelant cette règle, la Cour prépare le terrain pour examiner si, en l’espèce, une telle dérogation était ou non caractérisée.

B. La caractérisation des mesures comme relevant de la procédure de réglementation

La Cour se livre à une analyse détaillée de la nature des mesures d’exécution prévues par le règlement Forest Focus pour conclure à l’absence de dérogation. Elle distingue la notion de « mesures de gestion » de celle de « mesures de portée générale visant à mettre en application les éléments essentiels d’un acte de base ». Selon la Cour, il convient de qualifier de « mesures de gestion relatives à la mise en œuvre de programmes », d’une part, « des mesures de portée individuelle adoptées à cette fin » et, d’autre part, « des mesures de portée générale qui leur sont étroitement liées et qui s’insèrent dans un cadre suffisamment développé par l’acte de base même ». Or, en l’espèce, le règlement Forest Focus ne faisait que « créer un cadre d’action large et général ». Les mesures d’exécution ne visaient donc pas simplement à gérer un programme déjà défini dans ses aspects essentiels, mais bien à développer ces éléments. Par conséquent, le Conseil a pu légitimement considérer qu’il s’agissait de préciser des aspects fondamentaux de l’action, tels que les outils de surveillance, les programmes nationaux ou les manuels techniques, justifiant ainsi le recours à la procédure de réglementation qui accorde un rôle plus important au Conseil et au Parlement.

La Cour valide ainsi le choix du législateur en se fondant sur la substance des mesures à adopter. Cette analyse pragmatique permet de confirmer la pertinence de la procédure retenue, ce qui a pour conséquence de renforcer la latitude du législateur dans l’organisation de l’exécution normative (II).

II. La consécration de la marge d’appréciation du législateur

La décision de la Cour a pour effet de valider une interprétation fonctionnelle de la comitologie, qui favorise la cohérence entre l’acte de base et ses mesures d’application (A). En conséquence, elle limite le contrôle juridictionnel sur le choix de la procédure, renforçant par là même la position des institutions législatives (B).

A. Une conception fonctionnelle de la distinction entre gestion et réglementation

L’arrêt établit une distinction subtile mais déterminante entre la simple mise en œuvre d’un cadre normatif et son développement. En opposant le règlement Forest Focus à un précédent règlement où le législateur avait défini avec une grande précision les conditions d’octroi d’une aide, la Cour met en lumière un critère de granularité de l’acte de base. Lorsqu’un règlement est très détaillé, les mesures d’exécution qui en découlent relèvent logiquement de la gestion. Inversement, lorsque l’acte de base pose des objectifs généraux mais laisse à définir des éléments essentiels de l’action, les mesures d’exécution s’apparentent davantage à une poursuite de l’œuvre législative. Dans ce cas, la procédure de réglementation, qui associe plus étroitement le Conseil et le Parlement, apparaît plus légitime. Cette approche fonctionnelle s’écarte d’une vision purement formelle ou budgétaire, telle que celle défendue par la Commission. Elle assure que le niveau d’intervention des comités et des institutions soit proportionné à l’importance politique et normative des mesures à prendre.

B. La portée limitée du contrôle juridictionnel sur le choix de la procédure

En jugeant que le législateur ne s’est pas écarté des critères de la décision comitologie, la Cour circonscrit son propre contrôle. Le recours de la Commission est rejeté non pas parce que la motivation était suffisante, mais parce qu’aucune motivation spécifique n’était requise. Cette solution confirme que le choix entre les différentes procédures de comité relève en grande partie de l’appréciation politique du Parlement et du Conseil, dès lors que ce choix peut être rattaché de manière plausible à l’un des critères énoncés par la décision-cadre. La Cour se refuse à substituer sa propre appréciation à celle du législateur sur la nature des mesures d’exécution. Cette retenue judiciaire renforce la position du législateur communautaire et réduit les possibilités pour la Commission de contester les modalités d’exécution qui lui sont imposées. L’arrêt illustre ainsi l’équilibre délicat que la Cour cherche à maintenir entre le respect des prérogatives de chaque institution et la nécessité d’un cadre procédural cohérent pour l’application du droit de l’Union.

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