Par un arrêt du 23 janvier 2025, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en sa cinquième chambre, a déclaré irrecevable une demande de décision préjudicielle qui lui avait été soumise par un tribunal de district allemand. Cette décision, rendue dans le cadre d’une procédure de délivrance d’un certificat successoral européen, apporte un éclaircissement essentiel sur la notion de « juridiction » au sens de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
En l’espèce, un ressortissant français était décédé en Allemagne, laissant une épouse et des descendants d’une précédente union. L’épouse survivante a sollicité auprès du tribunal de district de Lörrach la délivrance d’un certificat successoral européen l’instituant comme unique héritière, se fondant sur un testament conjonctif récent. Cependant, le fils et les petits-enfants du défunt ont contesté la validité de ce testament, arguant d’une incapacité du testateur et d’une non-authenticité de sa signature. Face à cette contestation, le tribunal allemand, bien qu’estimant les arguments non fondés, s’est interrogé sur ses propres pouvoirs. Il a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle visant à déterminer si l’existence d’une contestation, en vertu de l’article 67, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 650/2012, faisait systématiquement obstacle à la délivrance du certificat, ou si l’autorité émettrice pouvait examiner le bien-fondé de ladite contestation.
La question de droit qui se posait à la Cour n’était donc pas directement celle de l’interprétation matérielle de l’article 67 du règlement, mais une question préalable de recevabilité. Il s’agissait de déterminer si l’autorité nationale chargée de délivrer un certificat successoral européen, lorsqu’elle agit dans le cadre de cette procédure spécifique et qu’elle est confrontée à une contestation, exerce une fonction juridictionnelle l’habilitant à poser une question préjudicielle. La Cour de justice a répondu par la négative, jugeant que la procédure de délivrance du certificat ne revêtait pas un caractère juridictionnel. En conséquence, elle a conclu à l’irrecevabilité de la demande, sans examiner les questions de fond relatives à la gestion des contestations.
Cette décision, en délimitant strictement la nature de la fonction exercée par l’autorité émettrice, conduit à une application rigoureuse des conditions de saisine de la Cour. Il convient d’analyser la portée de cette qualification fonctionnelle de l’autorité émettrice (I), avant d’en examiner les implications pratiques pour la fiabilité et l’articulation du certificat successoral européen avec les procédures contentieuses nationales (II).
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I. La qualification restrictive de la fonction de l’autorité émettrice
La Cour de justice fonde l’irrecevabilité de la demande sur une analyse stricte des missions confiées à l’autorité nationale dans le cadre de la délivrance du certificat successoral européen. Elle établit une distinction nette entre la mission de certification, de nature administrative, et l’exercice d’une fonction juridictionnelle, ce qui réduit le rôle de l’autorité émettrice à une simple vérification en présence d’une contestation.
A. Le caractère dirimant de la contestation sur la procédure d’émission
L’analyse de la Cour repose sur une interprétation littérale de l’article 67, paragraphe 1, second alinéa, sous a), du règlement n° 650/2012. Selon cette disposition, l’autorité émettrice ne délivre pas le certificat « si les éléments à certifier sont contestés ». La Cour relève que le texte vise toute forme de contestation, sans distinguer son origine ou son bien-fondé apparent. Le simple fait qu’une contestation soit émise suffit à paralyser la procédure de délivrance.
L’autorité émettrice n’est donc pas investie du pouvoir de trancher le litige sous-jacent. Son rôle se limite à un constat : l’existence d’un désaccord entre les bénéficiaires potentiels. Comme le souligne la décision, « toute contestation, même paraissant non fondée ou non étayée, soulevée au cours de la procédure de délivrance d’un certificat successoral européen, fait obstacle à la délivrance de ce certificat ». Cette approche formaliste prive l’autorité de toute marge d’appréciation sur le fond de la contestation, transformant cette dernière en un obstacle absolu à la poursuite de sa mission. Cette position est renforcée par le formulaire standardisé du certificat, qui exige que l’autorité atteste de l’absence de contestation au moment de son établissement.
B. La distinction entre fonction de vérification et fonction de jugement
En conséquence, la Cour de justice conclut que l’autorité émettrice n’exerce pas une fonction juridictionnelle au sens de l’article 267 du Traité. Pour qu’un organisme soit qualifié de « juridiction » apte à saisir la Cour, il ne suffit pas qu’il soit structurellement une autorité judiciaire ; il doit également, dans la procédure concernée, être appelé à statuer au terme d’une procédure contradictoire pour trancher un litige. Or, la procédure de délivrance du certificat successoral européen, telle que conçue par le règlement, est une procédure gracieuse destinée à « régler de manière rapide, aisée et efficace une succession ayant une incidence transfrontière ».
L’autorité émettrice procède à des vérifications, comme le prévoit l’article 66 du règlement, mais elle ne tranche pas de différends. Dès qu’un litige survient, sa compétence s’arrête. Elle ne rend pas une décision de caractère juridictionnel qui s’imposerait aux parties après avoir pesé leurs arguments respectifs. Par conséquent, en refusant de délivrer le certificat, l’autorité ne fait qu’acter une condition procédurale, sans exercer de pouvoir de jugement. C’est cette absence de fonction juridictionnelle dans ce cadre précis qui justifie l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle.
II. Les implications de la distinction fonctionnelle pour le règlement des successions
La position de la Cour, bien que procéduralement rigoureuse, a des conséquences importantes sur le règlement des successions transfrontières. Elle vise à préserver la force probante du certificat, tout en renvoyant la résolution des litiges aux voies de recours judiciaires nationales, clarifiant ainsi l’articulation entre les différents instruments.
A. La préservation de la fiabilité et de la force probante du certificat
La finalité du certificat successoral européen est de fournir une preuve simple et fiable des droits d’un héritier ou d’un légataire dans tous les États membres. L’article 69 du règlement lui confère une présomption de fidélité et des effets importants, notamment vis-à-vis des tiers de bonne foi. Permettre la délivrance d’un certificat alors même que ses éléments sont contestés saperait fondamentalement cette confiance. Un tel document, potentiellement remis en cause ultérieurement, créerait une insécurité juridique contraire à l’objectif du règlement.
En interprétant l’article 67 de manière stricte, la Cour garantit que le certificat ne soit délivré qu’en l’absence de tout doute formalisé. La décision met ainsi en avant l’impératif de fiabilité du certificat, qui doit circuler dans l’Union comme un instrument incontesté. Cet impératif prime sur la commodité pour un demandeur d’obtenir une résolution rapide de sa situation dans le cadre de la procédure de délivrance. La sécurité juridique de l’ensemble du système est ainsi privilégiée par rapport à l’efficacité procédurale d’un cas particulier.
B. Le renvoi nécessaire à une procédure contentieuse préalable
La solution retenue par la Cour a pour corollaire de structurer clairement le parcours des justiciables. En cas de contestation, les parties ne peuvent utiliser la procédure de délivrance du certificat comme une voie pour faire trancher leur différend. Elles sont contraintes de s’orienter vers une procédure juridictionnelle distincte, relevant du droit national, pour obtenir une décision sur le fond du litige. Ce n’est qu’après avoir obtenu une décision judiciaire définitive rejetant la contestation que les éléments à certifier pourront être considérés comme « établis ».
La Cour précise ainsi que « ce n’est qu’au moment où, dans le cadre d’une procédure autre que celle ayant pour objet la délivrance du certificat successoral européen, la décision rejetant une contestation devient définitive que cette contestation cesse de faire obstacle à la délivrance de ce certificat ». Par ailleurs, l’article 72 du règlement prévoit une voie de recours contre la décision de l’autorité émettrice de refuser le certificat. C’est dans le cadre de ce recours que l’autorité judiciaire saisie pourra, elle, exercer une pleine fonction juridictionnelle et examiner le bien-fondé des contestations. La décision de la Cour clarifie donc l’architecture du règlement : le certificat n’est pas un outil de règlement des litiges, mais l’aboutissement d’une situation successorale apaisée ou judiciairement tranchée.