Par un arrêt en date du 7 novembre 2007, la Cour de justice des Communautés européennes a apporté des précisions importantes sur l’articulation entre les politiques environnementales nationales et le principe de non-discrimination fiscale consacré par le droit communautaire. En l’espèce, une entreprise exploitant une décharge en Autriche pour le compte d’une commune a réceptionné des déchets en provenance d’un site contaminé situé en Italie. Le transport de ces déchets avait été dûment autorisé par les autorités autrichiennes compétentes. La législation autrichienne prévoyait une taxe sur le dépôt de déchets, mais instaurait une exonération pour ceux provenant de la réhabilitation de sites contaminés répertoriés dans des registres nationaux. Par construction, seuls les sites situés sur le territoire autrichien pouvaient figurer dans ces registres.
L’entreprise communale a demandé à bénéficier de cette exonération, ce qui lui fut accordé par l’autorité administrative de première instance, puis confirmé en appel au motif qu’une distinction fondée sur la provenance des déchets serait contraire au droit communautaire. Saisi à son tour, le ministre fédéral compétent a annulé ces décisions. Il a soutenu que la taxe ne frappait pas un produit mais une prestation de service, à savoir la mise en décharge, et échappait de ce fait au champ d’application de l’article 90 du traité CE relatif aux impositions intérieures. Un recours fut alors formé contre la décision ministérielle devant le Verwaltungsgerichtshof, qui a décidé de surseoir à statuer afin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice.
Il était ainsi demandé à la Cour de déterminer si les dispositions du traité CE, notamment celles relatives à la libre circulation des marchandises, s’opposent à une réglementation fiscale nationale qui réserve le bénéfice d’une exonération aux seuls déchets issus de l’assainissement de sites contaminés nationaux, excluant de fait les déchets de même nature provenant d’autres États membres. La Cour de justice a répondu que l’article 90, premier alinéa, du traité CE fait obstacle à une telle législation. Elle a jugé qu’un tel dispositif constitue une imposition intérieure discriminatoire, car il aboutit à taxer plus lourdement un produit importé qu’un produit national similaire.
I. La qualification de la taxe en imposition intérieure discriminatoire
Pour parvenir à sa conclusion, la Cour de justice a d’abord dû qualifier la taxe litigieuse au regard du droit communautaire, avant d’en constater le caractère discriminatoire. Elle a écarté la qualification de taxe d’effet équivalent à un droit de douane pour retenir celle d’imposition intérieure au sens de l’article 90 du traité CE (A), ce qui a permis de mettre en évidence la discrimination opérée par la législation nationale (B).
A. L’application de l’article 90 du traité CE aux déchets
La Cour a d’abord rappelé que les dispositions relatives aux taxes d’effet équivalent et celles sur les impositions intérieures ne sont pas cumulatives. Une taxe d’effet équivalent frappe une marchandise en raison du franchissement de la frontière. Or, la taxe autrichienne s’appliquait à tout dépôt durable de déchets, quelle que soit leur origine, et n’était donc pas liée au passage de la frontière. Son examen devait par conséquent se faire au regard de l’article 90 du traité CE. La Cour a ensuite rejeté l’argument du gouvernement autrichien selon lequel les déchets, étant dépourvus de valeur commerciale, ne constitueraient pas des « produits » et que la taxe frapperait une prestation de service.
S’appuyant sur sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt « Déchets wallons » du 9 juillet 1992, la Cour a réaffirmé que « les déchets, recyclables ou non, doivent être considérés comme des produits dont la circulation […] ne devrait pas en principe être empêchée ». Elle a précisé que même dépourvus de valeur commerciale intrinsèque, les déchets peuvent faire l’objet de transactions commerciales relatives à leur élimination. Une taxe qui frappe leur mise en décharge est de nature à rendre ces transactions plus onéreuses et constitue donc une imposition sur un produit. En interprétant largement l’article 90, la Cour a jugé qu’il s’applique aux impositions qui frappent l’utilisation de produits importés, surtout lorsque cette utilisation est la seule finalité de l’importation, ce qui est le cas pour des déchets destinés à l’élimination.
B. La caractérisation d’une discrimination fondée sur l’origine
Une fois la taxe qualifiée d’imposition intérieure, son caractère discriminatoire apparaissait clairement. La Cour a rappelé qu’il y a violation de l’article 90, premier alinéa, du traité CE « lorsque l’imposition frappant le produit importé et celle frappant le produit national similaire sont calculées de façon différente et suivant des modalités différentes aboutissant, ne fût-ce que dans certains cas, à une imposition supérieure du produit importé ». Un régime fiscal doit donc exclure en toute hypothèse que les produits importés soient taxés plus lourdement que les produits nationaux.
En l’espèce, la législation autrichienne réservait le bénéfice d’une exonération fiscale aux seuls déchets provenant de sites contaminés situés en Autriche. Cette différence de traitement, fondée exclusivement sur le critère géographique de l’origine des déchets, aboutissait mécaniquement à ce que les déchets importés d’Italie soient taxés, alors que des déchets autrichiens de même nature et provenant d’une opération similaire d’assainissement en étaient dispensés. La Cour a donc considéré que des déchets destinés à être éliminés par mise en décharge sont des produits similaires, indépendamment de leur provenance. La différence de traitement instaurée par la loi nationale constituait ainsi une discrimination directe à l’égard des produits importés, prohibée par le traité.
II. Le rejet des justifications tirées de la politique environnementale nationale
Face à cette discrimination, le gouvernement autrichien a avancé des justifications fondées sur les objectifs de sa politique environnementale, lesquelles ont été écartées par la Cour (A). Cette solution permet de mesurer la portée de l’arrêt, qui restreint la capacité des États membres à invoquer le principe de proximité pour justifier des mesures fiscales après avoir autorisé l’importation de déchets (B).
A. L’inefficacité de l’objectif environnemental pour justifier la discrimination fiscale
Le gouvernement autrichien soutenait que la différence de traitement était objectivement justifiée par la finalité de la loi, qui est de financer l’assainissement des sites contaminés nationaux. Selon lui, les enquêtes de terrain nécessaires à l’identification de ces sites ne peuvent être menées qu’en Autriche, ce qui créerait une différence objective entre les sites autrichiens et ceux situés à l’étranger. La Cour a rejeté cet argument en rappelant que si les États membres peuvent établir des systèmes de taxation différenciée, c’est à la condition que ces derniers poursuivent des objectifs compatibles avec le traité et « que leurs modalités sont de nature à éviter toute forme de discrimination, directe ou indirecte, à l’égard des importations ».
Or, le dispositif autrichien était par nature discriminatoire. La Cour a également balayé l’argument tiré des difficultés pratiques pour vérifier si un site étranger répond aux critères de la législation autrichienne. Elle a souligné que de telles difficultés ne sauraient justifier une imposition discriminatoire et a relevé que la législation en cause « ne prévoit même pas la possibilité, pour l’importateur, de rapporter cette preuve afin de bénéficier de l’exonération ». Quand bien même l’objectif environnemental serait légitime, les moyens employés pour l’atteindre ne peuvent contrevenir à une règle fondamentale du traité telle que l’interdiction des discriminations fiscales.
B. La portée de la solution au regard du principe de proximité
L’un des apports de cet arrêt est de clarifier la portée de la jurisprudence « Déchets wallons ». Dans cette affaire, la Cour avait admis qu’une réglementation nationale puisse traiter différemment les déchets selon leur provenance, en se fondant sur les principes de proximité et d’autosuffisance, qui veulent que les déchets soient éliminés aussi près que possible de leur lieu de production. Toutefois, la Cour précise ici le contexte de cette jurisprudence. D’une part, elle concernait une période antérieure à l’harmonisation opérée par le règlement n° 259/93 sur les transferts de déchets. D’autre part, elle portait sur une entrave à la libre circulation, non sur une mesure fiscale discriminatoire.
Le règlement de 1993 a instauré une procédure harmonisée autorisant les États membres à s’opposer aux transferts de déchets pour mettre en œuvre, notamment, le principe de proximité. La Cour en déduit logiquement que lorsqu’un État membre a renoncé à utiliser cette faculté et a autorisé un transfert de déchets sur son territoire, il ne peut plus ensuite leur imposer des restrictions fondées sur ce même principe. En autorisant l’importation des déchets italiens, les autorités autrichiennes avaient accepté leur entrée dans leur circuit de traitement. Elles ne pouvaient donc plus, à un stade ultérieur, les pénaliser par une mesure fiscale discriminatoire en invoquant un principe qu’elles avaient déjà choisi de ne pas appliquer.