Cour de justice de l’Union européenne, le 23 mars 2023, n°C-574/21

L’arrêt soumis à commentaire, rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, vient préciser les modalités de calcul de l’indemnité de cessation de contrat due à l’agent commercial. Cette décision s’inscrit dans le cadre de l’interprétation de la directive 86/653/CEE du 18 décembre 1986, qui vise à harmoniser le statut des agents commerciaux indépendants au sein des États membres. En l’espèce, un litige est né entre un agent commercial et son commettant à la suite de la rupture de leur relation contractuelle. L’agent, estimant que l’indemnité qui lui était proposée ne réparait pas l’intégralité de son préjudice, a vraisemblablement saisi une juridiction nationale. La discussion portait sur l’inclusion, dans la base de calcul de l’indemnité, des rémunérations futures que l’agent aurait pu percevoir si le contrat s’était poursuivi, notamment celles provenant de nouveaux clients qu’il avait apportés ou de l’accroissement substantiel des affaires avec la clientèle existante. Face à une difficulté d’interprétation du droit de l’Union, la juridiction nationale a sursis à statuer et a posé une question préjudicielle à la Cour de justice.

Le problème de droit soumis à la Cour était donc de savoir si l’indemnité de fin de contrat, destinée à compenser le préjudice de l’agent commercial, doit inclure la perte de commissions futures, y compris lorsque celles-ci sont versées en une seule fois pour chaque nouveau contrat. La Cour de justice répond par l’affirmative. Elle juge que le calcul de l’indemnité doit tenir compte des « commissions que l’agent commercial aurait perçues en cas de poursuite hypothétique du contrat d’agence ». Elle précise en outre que la nature de ces commissions, qu’elles soient récurrentes ou versées en une fois sous forme de rémunération forfaitaire, est sans incidence sur leur prise en compte dans l’évaluation du préjudice. La solution de la Cour clarifie ainsi de manière extensive l’assiette de l’indemnité due à l’agent (I), ce qui a pour effet de consolider le mécanisme de protection dont il bénéficie (II).

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I. La clarification de l’assiette de l’indemnité de l’agent commercial

La Cour de justice, par une interprétation téléologique de la directive, adopte une conception large de la réparation due à l’agent. Elle précise que cette indemnité doit inclure les rémunérations futures perdues, qu’elles soient hypothétiques (A) ou forfaitaires (B).

A. L’inclusion affirmée des commissions futures et hypothétiques

La Cour de justice énonce clairement que la détermination de l’indemnité ne saurait se limiter aux seules opérations conclues avant la fin du contrat. Elle juge que « les commissions que l’agent commercial aurait perçues en cas de poursuite hypothétique du contrat d’agence, au titre des opérations qui auraient été conclues, après la cessation de ce contrat d’agence, avec les nouveaux clients qu’il a apportés au commettant avant cette cessation ou avec les clients avec lesquels il a développé sensiblement les opérations avant ladite cessation, doivent être prises en compte ». Ce faisant, elle impose aux juridictions nationales de se livrer à une analyse prospective. L’indemnité ne vise pas seulement à récompenser le travail passé de l’agent, mais bien à compenser la perte de la valeur patrimoniale que représente la clientèle qu’il a créée ou développée et dont le commettant continue de tirer profit après son départ.

Cette approche consacre l’idée que l’agent est privé d’une source de revenus futurs directement liée à son activité antérieure. En se fondant sur une « poursuite hypothétique du contrat », la Cour invite le juge à évaluer un préjudice qui, bien que futur, trouve sa cause dans les efforts déployés par l’agent durant l’exécution du contrat. Le raisonnement met ainsi l’accent sur la notion de causalité entre l’activité de l’agent et les bénéfices futurs du commettant, plutôt que sur la certitude des commissions.

B. La neutralisation du mode de rémunération dans le calcul

Le second apport de la décision réside dans la confirmation que la structure de la rémunération ne peut faire obstacle au principe de la réparation intégrale. La Cour précise que « le versement de commissions uniques n’exclut pas du calcul de l’indemnité, prévue à cet article 17, paragraphe 2, les commissions que l’agent commercial perd ». Cette précision est essentielle car elle prévient les montages contractuels par lesquels un commettant pourrait chercher à minimiser l’indemnité de fin de contrat. En qualifiant ces commissions de « rémunérations forfaitaires au titre de tout nouveau contrat conclu », la Cour regarde au-delà de la forme du paiement pour en retenir la substance.

Qu’il s’agisse d’une commission perçue à la signature d’un contrat ou de commissions récurrentes sur sa durée, le fait générateur reste le même : l’intervention de l’agent. En écartant toute distinction fondée sur le caractère unique ou répétitif du versement, la Cour garantit une application uniforme de la directive et ferme la porte à une interprétation restrictive qui viderait le droit à indemnisation de sa substance. Cette solution assure que l’évaluation du préjudice de l’agent reflète fidèlement la réalité économique de sa contribution.

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II. La consolidation de la protection de l’agent commercial

En adoptant une définition extensive de l’assiette de l’indemnité, la Cour de justice renforce la position de l’agent, considéré comme la partie faible au contrat. Cette décision possède donc une valeur protectrice affirmée (A) et sa portée influence nécessairement les pratiques contractuelles et le contentieux en la matière (B).

A. La valeur de la décision : un rempart contre les interprétations restrictives

La valeur de cet arrêt réside principalement dans son rôle de gardien de l’effectivité de la directive. En imposant une méthode de calcul qui intègre la perte des gains futurs, la Cour s’assure que l’indemnité remplisse bien sa fonction réparatrice. Elle s’oppose ainsi à une vision purement comptable et rétrospective qui limiterait la compensation aux seuls droits acquis à la date de la rupture. La solution est juridiquement cohérente avec l’objectif de la directive, qui est d’assurer à l’agent commercial une protection particulière au moment de la cessation de ses relations avec le commettant.

Cette interprétation est également conforme à l’équité. Elle reconnaît que le travail de l’agent a créé un actif immatériel, la clientèle, qui continue de générer de la valeur pour le commettant après la fin du contrat. L’indemnité constitue dès lors la juste contrepartie de cet enrichissement persistant. La décision a donc le mérite de clarifier un point technique potentiellement source de nombreux litiges, tout en réaffirmant avec force le principe de protection qui sous-tend l’ensemble du dispositif.

B. La portée de la décision : une influence sur les pratiques contractuelles et le contentieux

La portée de cette décision est significative. D’une part, elle fournit aux juridictions nationales des lignes directrices claires pour l’évaluation du préjudice subi par l’agent. Elle les contraint à une analyse économique approfondie, basée sur des projections fondées, ce qui pourrait complexifier l’administration de la preuve mais garantit une réparation plus juste. Les experts judiciaires devront ainsi intégrer ces paramètres dans leurs méthodes de calcul.

D’autre part, cette jurisprudence est susceptible d’influencer la négociation et la rédaction des contrats d’agence commerciale. Les commettants sont désormais avisés que le coût potentiel d’une rupture est élevé et ne peut être facilement contourné par des clauses limitant la portée de l’indemnisation. Bien que la directive prévoie un cadre impératif, la prévisibilité accrue du calcul de l’indemnité pourrait inciter les parties à rechercher des solutions transactionnelles plus équilibrées en cas de rupture. À long terme, cette décision contribue à stabiliser les relations entre agents et commettants en objectivant l’une des conséquences financières les plus importantes de leur séparation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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