La Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt du 23 mars 2023, précise l’articulation entre les directives d’harmonisation technique et les réglementations nationales de sécurité. Cette décision traite spécifiquement de la validité d’exigences supplémentaires imposées par un État membre aux équipements bénéficiant déjà du marquage CE. Un groupement professionnel a contesté la légalité d’un arrêté ministériel modifiant les règles de sécurité contre l’incendie dans les établissements recevant du public. Ce texte subordonnait l’utilisation de certains fluides frigorigènes inflammables à la condition que les appareils soient hermétiquement scellés. Saisi du litige, le Conseil d’État, par une décision du 16 juillet 2021, a sollicité l’interprétation de la Cour de justice pour vérifier la conformité de ces prescriptions. Le juge national s’interrogeait sur la possibilité de prescrire des exigences de sécurité spécifiques pour l’utilisation d’équipements conformes aux directives sectorielles. La Cour doit déterminer si un État peut imposer des critères de sécurité incendie non prévus par les directives d’harmonisation pour la mise en service d’appareils. Elle répond que le droit de l’Union s’oppose à de telles exigences supplémentaires dès lors qu’elles concernent la mise sur le marché ou la mise en service. L’analyse portera d’abord sur la protection conférée par le marquage CE avant d’examiner l’encadrement strict des compétences nationales en matière de sécurité.
**I. La primauté du marquage CE dans le cadre de l’harmonisation technique**
**A. La présomption de conformité attachée au marquage CE**
La Cour rappelle que les directives visent à assurer la libre circulation des équipements tout en garantissant un niveau élevé de protection de la santé. Le marquage CE « atteste la conformité de ces équipements et ensembles à de telles exigences et est la conséquence visible d’un processus global ». Cette certification crée une présomption de respect des exigences essentielles de sécurité définies par le législateur européen pour l’ensemble du marché intérieur. Les États ne peuvent donc pas remettre en cause cette conformité en ajoutant des critères techniques préalables à la commercialisation des produits. L’arrêt souligne que les autorités nationales n’ont pas la faculté d’imposer des conditions de conception non prévues par les annexes des directives. Cette interdiction prévient la fragmentation du marché unique par la multiplication de normes techniques locales divergentes et potentiellement protectionnistes.
**B. L’interdiction d’entraves à la mise à disposition sur le marché**
La protection de la libre circulation des marchandises interdit aux États membres de restreindre la mise en service d’équipements satisfaisant aux prescriptions de l’Union. La Cour précise que les États « ne peuvent, pour des risques dus à la pression, interdire, restreindre ou entraver la mise à disposition sur le marché ». L’imposition d’une condition tenant au caractère hermétiquement scellé de l’appareil constitue une barrière technique illégale si elle n’est pas harmonisée. Une telle exigence nationale revient en pratique à exiger une modification technique de l’équipement par rapport au modèle type certifié par le fabricant. Le juge européen privilégie ici l’effet utile des mesures d’harmonisation sur les considérations de sécurité particulières invoquées par les autorités de l’État. Cette solution garantit aux fabricants une sécurité juridique indispensable pour la diffusion de leurs produits technologiques au sein de l’espace économique européen.
**II. Le cantonnement rigoureux des compétences étatiques résiduelles**
**A. L’interprétation restrictive de la notion d’exigences d’utilisation**
Le droit de l’Union ménage certes une faculté pour les États de prescrire des exigences nécessaires à la protection des personnes lors de l’utilisation. Cette compétence reste néanmoins subordonnée à la condition que ces mesures « n’impliqués pas des modifications de cet équipement ou de cet ensemble ». La réglementation litigieuse prétendait s’appliquer uniquement à l’usage des appareils dans des locaux ouverts au public pour prévenir les risques d’incendie. La Cour rejette cette distinction en relevant que la condition technique imposée touche directement à la conception même du matériel frigorifique concerné. Elle considère que des prescriptions relatives à l’installation ne peuvent pas masquer des exigences de fabrication supplémentaires non prévues par le texte européen. La marge de manœuvre nationale se limite donc à l’encadrement des modalités de fonctionnement sans affecter l’intégrité physique initiale du produit.
**B. L’inefficacité des justifications environnementales et de sécurité incendie**
Les arguments tirés de la lutte contre le réchauffement climatique ou de la sécurité spécifique des établissements recevant du public ne peuvent pas prospérer. La Cour observe que le règlement relatif aux gaz fluorés ne régit pas la conception des équipements sous pression qui relève d’une directive distincte. Les objectifs environnementaux ne permettent pas de déroger unilatéralement aux normes de fabrication harmonisées sans respecter scrupuleusement les procédures de sauvegarde prévues. Le juge note également que la procédure de sauvegarde « se déroule, par définition, en aval de la mise à disposition sur le marché ». Elle ne peut donc pas justifier une réglementation nationale générale et préventive imposant des standards techniques supérieurs dès la mise en service. Cette décision confirme la primauté de la libre circulation des marchandises dès lors qu’un cadre de sécurité commun a été exhaustivement défini.