Cour de justice de l’Union européenne, le 23 mars 2023, n°C-662/21

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions de compatibilité d’une réglementation nationale sur la classification des programmes audiovisuels avec le principe de libre circulation des marchandises. En l’espèce, une entreprise finlandaise commercialisant en ligne des programmes audiovisuels sur supports physiques, tels que des DVD et des disques Blu-ray, s’est vu ordonner par l’autorité de contrôle nationale de faire figurer sur ses produits les indications de limite d’âge prévues par la législation finlandaise. L’entreprise a contesté cette injonction, faisant valoir que les produits, importés d’autres États membres, y avaient déjà été légalement classifiés et marqués, et que l’exigence finlandaise constituait une entrave injustifiée aux échanges intracommunautaires. Saisie du litige en dernière instance, la Cour administrative suprême de Finlande a décidé d’interroger la Cour de justice sur l’interprétation des articles 34 et 36 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La question posée visait essentiellement à déterminer si une telle réglementation nationale, imposant une nouvelle procédure de classification pour des marchandises déjà contrôlées dans un autre État membre, constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation, et, dans l’affirmative, si elle peut être justifiée par l’objectif de protection des mineurs. La Cour de justice répond qu’une telle mesure, bien que restrictive, peut être admise au regard du droit de l’Union à condition qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif de protection de l’enfance et qu’elle ne soit pas disproportionnée. Elle examine ainsi la mesure au travers du prisme traditionnel de la libre circulation des marchandises, avant de se prononcer sur la validité de sa justification au regard des exigences impératives d’intérêt général.

La solution retenue par la Cour réaffirme l’approche classique du contrôle des entraves à la libre circulation tout en offrant une analyse nuancée de leur justification. Elle confirme ainsi la qualification de la mesure en entrave à la libre circulation, tout en reconnaissant la légitimité de sa justification par la protection des mineurs (I). Cependant, elle procède à une appréciation particulièrement souple du critère de proportionnalité, accordant une marge d’appréciation notable aux États membres dans ce domaine (II).

I. La confirmation d’une entrave justifiée à la libre circulation

La Cour de justice adopte un raisonnement en deux temps, caractéristique de son contrôle en matière de libre circulation. Elle qualifie d’abord sans difficulté la réglementation finlandaise de mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative (A), avant de reconnaître que cette restriction peut être justifiée par une exigence impérative d’intérêt général (B).

A. La qualification de la mesure en entrave au commerce intracommunautaire

La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « l’interdiction des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives à l’importation édictée à l’article 34 TFUE vise toute mesure des États membres susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce à l’intérieur de l’Union ». L’application de ce principe à la réglementation en cause ne faisait guère de doute. En imposant aux programmes audiovisuels importés une procédure de contrôle, de classification et de marquage propre à l’État membre de commercialisation, alors même que ces produits ont déjà satisfait à des exigences similaires dans leur État membre d’origine, la mesure finlandaise rend leur importation « plus contraignante et plus coûteuse ».

Une telle obligation a pour conséquence de freiner l’accès au marché finlandais des produits légalement fabriqués et commercialisés dans d’autres États membres. Elle constitue donc une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative au sens de l’article 34 du traité. Cette qualification s’inscrit dans la lignée de solutions bien établies, notamment depuis l’arrêt du 14 février 2008, *Dynamic Medien*, dans lequel la Cour avait déjà jugé qu’un système national de contrôle préalable des supports d’images entravait la libre circulation des marchandises. Une fois l’entrave constatée, il appartenait à la Cour de vérifier si celle-ci pouvait néanmoins être admise au regard des dérogations prévues par le traité.

B. La légitimité de l’objectif de protection des mineurs

La réglementation litigieuse est justifiée par ses promoteurs par la nécessité de protéger les enfants contre les contenus audiovisuels préjudiciables à leur développement. La Cour reconnaît sans réserve que cet objectif constitue une raison d’intérêt général capable de justifier une restriction à la libre circulation des marchandises. Elle souligne que « la protection de l’enfant est consacrée dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne » et qu’elle est reconnue par de nombreux instruments internationaux auxquels les États membres sont parties.

En se référant à nouveau à sa jurisprudence, la Cour énonce clairement que « la protection des mineurs contre les programmes audiovisuels dont le contenu est susceptible de nuire à leur bien-être et à leur épanouissement constitue une exigence impérative d’intérêt général de nature à justifier, en principe, une restriction à la libre circulation des marchandises ». La légitimité de l’objectif étant ainsi établie, la validité de la mesure dépendait alors entièrement de son adéquation et de sa proportionnalité à l’objectif poursuivi, un examen qui a conduit la Cour à faire preuve d’une certaine retenue.

II. Une appréciation souple de la proportionnalité de la mesure

L’analyse de la proportionnalité conduit la Cour à opérer une évaluation nuancée. Tout en posant les jalons d’un contrôle de la cohérence de la réglementation (A), elle consacre en définitive une large marge d’appréciation aux États membres pour déterminer le niveau de protection qu’ils jugent approprié (B).

A. Un contrôle en demi-teinte de la cohérence du système national

La juridiction de renvoi soulevait un point d’incohérence potentiel de la loi finlandaise : celle-ci ne s’appliquait qu’aux opérateurs établis en Finlande, excluant de son champ d’application les vendeurs établis dans d’autres États membres qui commercialiseraient des produits en Finlande. Une telle limitation semblait susceptible de compromettre l’efficacité du système et donc de le priver de son caractère cohérent et systématique. La Cour reconnaît que cette exclusion « apparaît comme étant susceptible de limiter l’efficacité de la réglementation en cause au principal, au détriment de la réalisation de l’objectif de protection des mineurs ».

Toutefois, elle ne tire pas de cette constatation une conclusion d’incompatibilité. Elle renvoie à la juridiction nationale le soin d’examiner si cette limitation compromet effectivement la réalisation de l’objectif, en tenant compte des arguments du gouvernement finlandais sur l’impossibilité pratique de contrôler les vendeurs étrangers. Cette approche pragmatique, si elle est compréhensible, aboutit à un affaiblissement du contrôle de la cohérence, qui constitue pourtant une condition essentielle de la justification d’une mesure restrictive.

B. La reconnaissance d’une large marge d’appréciation nationale

Le cœur de l’arrêt réside dans l’affirmation du droit pour un État membre d’imposer son propre système de classification, sans être tenu de reconnaître celui d’un autre État membre. La Cour juge que le niveau de protection de l’enfance peut « varier d’un État membre à l’autre selon des considérations notamment d’ordre moral ou culturel », ce qui justifie de reconnaître « aux États membres une marge d’appréciation en la matière ». Par conséquent, un État membre peut légitimement exiger que les indications de limite d’âge reflètent les conceptions qui lui sont propres.

De même, la Cour écarte l’idée qu’une mesure moins restrictive consisterait à exempter de l’obligation de classification les ventes destinées à des acheteurs majeurs. Elle estime qu’une telle exception priverait les consommateurs de l’information nécessaire au moment de l’achat, notamment lorsqu’un adulte achète un programme pour un mineur. Selon la Cour, « il existerait donc davantage de risques qu’un mineur accède à un programme inadapté à son âge ». Cette position confirme le haut niveau de protection que la Cour est prête à admettre, donnant la primauté à la sécurité préventive sur la fluidité des échanges commerciaux. En définitive, l’arrêt valide une mesure nationale restrictive au nom d’une conception spécifique de la protection de l’enfance, affirmant ainsi la prépondérance des choix de société nationaux dans ce domaine sensible.

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Hassan KOHEN
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Hassan Kohen

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