Cour de justice de l’Union européenne, le 23 novembre 2016, n°C-442/14

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours du droit d’accès aux informations environnementales, en particulier lorsque celui-ci se heurte à la protection du secret commercial et industriel. En l’espèce, une autorité nationale compétente en matière de produits phytopharmaceutiques et biocides avait été saisie par une association de protection des abeilles d’une demande de divulgation de plusieurs documents relatifs aux autorisations de mise sur le marché d’un produit à base d’une substance insecticide. La société titulaire des autorisations s’était opposée à cette communication, invoquant la confidentialité de ses informations commerciales. L’autorité nationale avait partiellement fait droit à la demande, considérant que certains documents contenaient des « informations relatives à des émissions dans l’environnement » et ne pouvaient donc se voir opposer le secret des affaires, tandis que d’autres ne relevaient pas de cette catégorie. Saisie du litige, la juridiction néerlandaise a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation de la directive 2003/4/CE, notamment sur la notion d’« informations relatives à des émissions dans l’environnement » et sur les conditions procédurales de l’invocation du secret commercial. La juridiction de renvoi cherchait à savoir si une demande de traitement confidentiel devait être présentée lors de la procédure d’autorisation du produit pour être opposable ultérieurement, et comment délimiter l’exception au secret des affaires prévue pour les informations sur les émissions. La Cour a jugé que l’absence de demande de confidentialité lors de la procédure d’autorisation ne prive pas une entreprise du droit de s’opposer ultérieurement à la divulgation d’informations commerciales, et elle a fourni une interprétation large des notions d’« émissions » et d’« informations relatives à des émissions ». La solution de la Cour clarifie ainsi l’articulation entre le régime général d’accès à l’information et les procédures spécifiques d’autorisation (I), tout en définissant de manière extensive le champ de l’exception au secret commercial (II).

I. La dissociation procédurale de la demande d’accès et de l’autorisation de mise sur le marché

La Cour de justice établit une distinction claire entre la procédure d’autorisation d’un produit et la procédure ultérieure de demande d’accès à l’information. Elle rejette ainsi l’idée qu’un droit puisse être forclos (A) et confirme la nécessité d’un examen spécifique par l’autorité compétente saisie d’une demande de divulgation (B).

A. Le rejet d’une forclusion temporelle pour l’invocation de la confidentialité

La Cour répond d’abord à la question de savoir si une entreprise qui n’a pas sollicité le traitement confidentiel de ses données lors de la procédure d’autorisation d’un produit phytopharmaceutique est privée du droit de le faire plus tard. Une telle approche aurait signifié que le silence de l’entreprise au stade de l’autorisation équivaut à une renonciation définitive à la protection de ses secrets d’affaires. La Cour écarte fermement cette interprétation. Elle souligne que les législations spécifiques sur les produits phytopharmaceutiques et biocides, bien qu’organisant un régime de confidentialité, précisent que leurs dispositions s’appliquent « sans préjudice de la directive 2003/4 ». Il en découle que le régime général d’accès à l’information environnementale est autonome.

La Cour constate ensuite que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2003/4, qui permet de refuser l’accès pour protéger la confidentialité commerciale, « ne subordonne pas cette possibilité à la présentation d’une demande de traitement confidentiel préalable à l’introduction de la demande de divulgation ». L’autorité nationale saisie d’une demande d’accès n’est donc pas tenue de divulguer automatiquement les informations au seul motif que leur confidentialité n’a pas été demandée en amont. Cette solution garantit la flexibilité procédurale et préserve les droits des opérateurs économiques, qui peuvent ainsi évaluer l’opportunité d’invoquer la confidentialité au moment précis où un risque de divulgation se matérialise.

B. La confirmation de l’examen au cas par cas par l’autorité compétente

En conséquence de cette autonomie procédurale, l’autorité saisie d’une demande de divulgation sur le fondement de la directive 2003/4 a l’obligation de procéder à son propre examen. Elle doit « pouvoir examiner, le cas échéant sur la base de l’opposition dudit demandeur, si cette divulgation ne risquerait pas de porter atteinte à la confidentialité des informations commerciales ». Cet examen implique une mise en balance entre l’intérêt public à la divulgation et l’intérêt servi par le refus de divulguer, conformément aux exigences de la directive. La Cour réaffirme ainsi que le droit d’accès n’est pas absolu et que les dérogations, bien que d’interprétation stricte, doivent être effectivement examinées.

La décision de l’autorité ne peut donc être mécanique. Le fait qu’une demande de confidentialité n’ait pas été formulée initialement n’emporte aucune présomption irréfragable de non-confidentialité. C’est bien au moment de la demande d’accès que le débat contradictoire doit s’engager, permettant à l’entreprise de faire valoir ses intérêts légitimes et à l’autorité de statuer en pleine connaissance de cause. Cette clarification assure une protection effective des intérêts économiques sans pour autant fermer la porte à la transparence environnementale, dont le champ est par ailleurs largement défini.

II. L’interprétation extensive de l’exception au secret des affaires

Au-delà des aspects procéduraux, l’arrêt se distingue par sa contribution majeure à la définition du périmètre de la transparence en matière d’émissions. La Cour opte pour une définition large de la notion même d’« émissions dans l’environnement » (A), puis adopte une conception fonctionnelle des « informations relatives » à ces émissions (B), réduisant ainsi considérablement la portée du secret des affaires.

A. Une définition large de la notion d’« émissions dans l’environnement »

La Cour de justice écarte une interprétation restrictive de la notion d’« émissions » qui l’aurait limitée aux rejets provenant d’installations industrielles, comme le suggéraient certaines parties en se référant à la directive sur les émissions industrielles. Elle juge qu’il n’y a pas lieu de distinguer cette notion de celles de « déversements » et de « rejets » et refuse de la circonscrire à des sources spécifiques. Une telle limitation serait contraire à l’objectif de large diffusion de l’information environnementale poursuivi par la directive 2003/4 et la convention d’Aarhus. La pertinence d’une information pour la protection de l’environnement ne dépend pas de l’origine industrielle ou non du rejet.

La Cour définit alors positivement la notion comme incluant « le rejet dans l’environnement de produits ou de substances tels que les produits phytopharmaceutiques ou biocides et les substances que ces produits contiennent, pour autant que ce rejet soit effectif ou prévisible dans des conditions normales ou réalistes d’utilisation ». Les émissions purement hypothétiques sont exclues, mais celles qui résultent de l’usage normal d’un produit destiné à être libéré dans l’environnement, comme un pesticide, sont considérées comme prévisibles et non hypothétiques. Cette interprétation pragmatique ancre le droit à l’information dans la réalité de l’utilisation des produits et de leur impact prévisible sur les écosystèmes.

B. Une conception fonctionnelle des « informations relatives à des émissions »

L’apport le plus significatif de l’arrêt réside dans l’interprétation de l’étendue des informations qui sont « relatives » à ces émissions. La Cour juge que cette notion ne couvre pas seulement les données brutes sur les émissions elles-mêmes (nature, quantité, date), mais aussi « les données relatives aux incidences, à plus ou moins long terme, de ces émissions sur l’environnement ». L’objectif est de permettre au public de comprendre non seulement ce qui est rejeté, mais aussi « la manière dont l’environnement risque d’être affecté ». En conséquence, les informations sur les résidus, les études sur la dérive d’une substance ou les analyses de toxicité relèvent de cette catégorie.

La méthode d’obtention de ces données, qu’il s’agisse d’études de terrain, de laboratoire ou de translocation, est jugée non déterminante. Ce qui importe est que l’étude porte sur des émissions effectives ou prévisibles dans des conditions réalistes. Ainsi, des tests utilisant des doses excessives non représentatives pourraient être exclus. Enfin, la Cour précise que si un document contient à la fois des informations relatives aux émissions et d’autres informations confidentielles, seules les premières doivent être divulguées, à condition qu’elles puissent être dissociées du reste du document. Cette solution de divulgation partielle concilie l’objectif de transparence maximale sur les émissions avec la protection nécessaire, bien que résiduelle, des secrets d’affaires.

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Hassan KOHEN
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