Par un arrêt en date du 23 novembre 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions dans lesquelles un État membre peut limiter le droit d’un assujetti à la réduction de sa base d’imposition à la taxe sur la valeur ajoutée en cas de non-paiement. En l’espèce, un opérateur économique avait émis une facture pour une prestation de services. Son client avait cependant été déclaré en faillite sans honorer sa dette. L’opérateur économique a alors procédé à une réduction de sa base d’imposition à la TVA du montant de la créance impayée, estimant que le non-paiement était devenu définitif. L’administration fiscale nationale a contesté cette régularisation. Elle soutenait que le droit national subordonnait la réduction de la base d’imposition à la preuve que les procédures collectives engagées à l’encontre du débiteur s’étaient révélées infructueuses. Or, cette preuve ne pouvait être apportée qu’à la clôture définitive de la procédure de faillite. L’opérateur économique a contesté cette position devant une juridiction nationale, qui a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle. La juridiction de renvoi soulignait que la durée moyenne des procédures de faillite dans son État membre pouvait excéder dix ans, ce qui lui paraissait imposer une charge excessive à l’assujetti. La question posée à la Cour était donc de savoir si la faculté de dérogation offerte aux États membres par la sixième directive TVA leur permet de subordonner la réduction de la base d’imposition à l’issue certaine, mais potentiellement très lointaine, d’une procédure collective. La Cour y répond par la négative, jugeant qu’un État membre ne peut imposer une telle condition lorsque la procédure est susceptible de durer plus de dix ans. La Cour rappelle ainsi fermement que le droit à réduction constitue le principe en matière de TVA (I), avant de sanctionner une modalité nationale de dérogation jugée contraire au principe de proportionnalité (II).
I. La réaffirmation du caractère dérogatoire de la limitation au droit à réduction
La Cour de justice fonde sa solution sur une interprétation rigoureuse de la sixième directive, en rappelant que le droit à la réduction de la base d’imposition est la conséquence directe du principe de neutralité de la TVA (A), ce qui impose une lecture stricte de la faculté de dérogation accordée aux États membres (B).
A. Le droit à réduction comme corollaire du principe de neutralité de la TVA
La Cour rappelle la mécanique fondamentale de la TVA, selon laquelle la base d’imposition est la contrepartie réellement perçue par l’assujetti. Ce principe essentiel implique que l’administration fiscale ne doit pas percevoir une taxe d’un montant supérieur à celui que l’assujetti a lui-même reçu. La Cour le formule en des termes clairs, en affirmant que « l’administration fiscale ne saurait percevoir au titre de la TVA un montant supérieur à celui que l’assujetti avait lui-même perçu à ce titre ». En cas de non-paiement par le client, l’assujetti, qui a collecté et reversé la taxe pour le compte de l’État, se retrouve à supporter le poids d’une taxe sur une somme qu’il n’a jamais encaissée. Le droit à la réduction de la base d’imposition vise précisément à corriger cette situation. Il garantit que l’entrepreneur soit « entièrement soulagé du poids de la taxe due ou acquittée dans le cadre de ses activités économiques elles-mêmes soumises à la TVA ». Le droit à réduction n’est donc pas une simple facilité accordée aux entreprises, mais un élément structurel du système commun de TVA, indispensable à sa neutralité.
B. Une interprétation stricte de la faculté de dérogation des États membres
Face à ce principe, la Cour analyse la portée de l’article 11, C, paragraphe 1, second alinéa, de la sixième directive. Ce texte permet aux États membres de déroger à la règle de réduction de la base d’imposition en cas de non-paiement total ou partiel. La Cour souligne toutefois que cette faculté est une exception et doit, en tant que telle, être interprétée de manière restrictive. Elle juge en effet qu’« il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que les exceptions doivent être interprétées de manière restrictive ». La dérogation se justifie uniquement par le fait que le non-paiement peut être difficile à vérifier ou simplement provisoire. Elle vise à gérer l’incertitude quant au caractère définitif de l’irrécouvrabilité d’une créance. Par conséquent, les États membres ne peuvent utiliser cette faculté pour exclure purement et simplement le droit à la réduction. Une telle exclusion serait contraire au principe de neutralité et à l’objectif d’harmonisation fiscale. La marge d’appréciation des États se limite donc à fixer les conditions dans lesquelles le non-paiement peut être constaté, sans rendre le droit à réduction impossible ou excessivement difficile à exercer.
II. La sanction d’une restriction nationale disproportionnée
Ayant posé ce cadre, la Cour examine la compatibilité de la législation nationale avec le droit de l’Union. Elle exerce un contrôle de proportionnalité sur les modalités de la dérogation (A), dont la portée est de fixer une limite temporelle claire à la marge d’appréciation des États membres (B).
A. Le contrôle de proportionnalité appliqué à la durée du préfinancement de la TVA
La Cour évalue si la mesure nationale, qui subordonne la réduction de la base d’imposition à la clôture d’une procédure collective, est apte à réaliser l’objectif poursuivi sans aller au-delà de ce qui est nécessaire. L’objectif est de s’assurer du caractère définitif du non-paiement. Si la condition posée par la loi nationale permet bien d’atteindre cette certitude, la Cour estime qu’elle est excessivement contraignante pour l’assujetti. En effet, un délai pouvant dépasser dix ans pour obtenir la régularisation de la TVA constitue un « désavantage de trésorerie » considérable. La Cour suggère d’ailleurs une voie alternative, qui serait tout aussi efficace mais moins lourde pour l’opérateur. Les États pourraient accorder la réduction lorsque l’assujetti « fait état d’une probabilité raisonnable que la dette ne soit pas honorée », quitte à prévoir une régularisation en sens inverse si le paiement devait finalement intervenir. En refusant de considérer cette alternative et en imposant une attente déraisonnable, la législation nationale va au-delà de ce qui est nécessaire pour lutter contre l’incertitude. Elle rompt l’équilibre entre les intérêts du Trésor public et le droit de l’assujetti à ne pas supporter le poids de la TVA sur une créance impayée.
B. La portée de la solution : une limite temporelle à la marge d’appréciation des États
En jugeant qu’un État membre ne peut subordonner la réduction de la base d’imposition à l’issue d’une procédure collective pouvant durer plus de dix ans, la Cour fixe une limite concrète à la marge d’appréciation des États. Cette décision a une portée de principe. Elle ne remet pas en cause la faculté pour un État de conditionner la réduction à la preuve du caractère irrécouvrable d’une créance. Cependant, elle établit que la mise en œuvre de cette condition ne doit pas conduire à une attente indéfinie ou excessive. Le seuil de dix ans, bien que spécifique aux faits de l’espèce, agit comme un jalon et un avertissement pour les États membres dont les procédures judiciaires sont particulièrement lentes. Il consacre l’idée qu’un assujetti ne saurait être contraint de préfinancer la TVA pour le compte de l’État pendant une durée qui excède manifestement ce qui est raisonnable. Cette solution renforce ainsi l’effectivité du principe de neutralité de la TVA et contribue à l’harmonisation fiscale, en empêchant que des divergences dans l’efficacité des systèmes judiciaires nationaux ne créent des distorsions de concurrence entre les opérateurs économiques européens.