Cour de justice de l’Union européenne, le 23 octobre 2012, n°C-300/10

Par un arrêt en date du 23 octobre 2012, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, a précisé la portée des directives relatives à l’assurance automobile obligatoire face aux règles nationales de responsabilité civile. En l’espèce, une personne, passagère d’un véhicule automobile, a subi des dommages corporels lors d’une collision. N’ayant pas attaché sa ceinture de sécurité, elle a été projetée à travers le pare-brise, ce qui a causé ses blessures. Une action en indemnisation a été initiée à l’encontre, notamment, de l’assureur de l’un des véhicules et du fonds de garantie automobile, l’autre véhicule n’étant pas assuré.

La juridiction de première instance a rejeté la demande, considérant que les dommages résultaient exclusivement de la faute de la victime qui avait omis de porter sa ceinture de sécurité, en violation du code de la route national. Saisie en appel, la juridiction de renvoi a constaté une incertitude. D’une part, le droit national, tel qu’interprété par la jurisprudence majoritaire, permet d’exclure la responsabilité objective du conducteur lorsque l’accident est imputable à la victime. D’autre part, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne semblait avoir consacré une protection étendue des passagers victimes d’accidents. Dans ce contexte, la juridiction portugaise a interrogé la Cour sur la compatibilité d’une telle réglementation nationale avec le droit de l’Union.

Il s’agissait donc pour la Cour de déterminer si les directives européennes sur l’assurance automobile obligatoire s’opposent à une législation nationale qui permet de limiter ou d’exclure le droit à indemnisation d’un passager victime, au motif que ce dernier a contribué à son propre dommage, en l’absence de faute prouvée des conducteurs. La Cour a répondu par la négative, estimant que les directives ne s’opposent pas à des dispositions nationales qui, dans de telles circonstances, permettent de limiter ou d’exclure la responsabilité civile des assurés. Cette décision repose sur une distinction nette entre le champ d’application des directives, qui harmonise l’obligation d’assurance, et la compétence résiduelle des États membres pour définir les régimes de responsabilité civile.

La Cour opère ainsi une délimitation stricte du périmètre d’intervention du droit de l’Union (I), ce qui consacre en conséquence l’autonomie des droits nationaux pour aménager les conditions de la responsabilité civile (II).

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I. La délimitation stricte du champ d’application des directives sur l’assurance automobile

La solution retenue par la Cour de justice repose sur le maintien d’une distinction fondamentale entre l’obligation de couverture d’assurance et le régime de responsabilité civile (A), ce qui la conduit à écarter une interprétation extensive de sa jurisprudence antérieure (B).

A. Le maintien de la distinction entre l’obligation d’assurance et le régime de la responsabilité civile

La Cour rappelle avec constance que les directives relatives à l’assurance automobile visent à garantir la libre circulation et un traitement comparable des victimes sur le territoire de l’Union. À cette fin, elles imposent aux États membres de veiller à ce que la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules soit couverte par une assurance. Cependant, la Cour souligne que « l’obligation de couverture par l’assurance de la responsabilité civile des dommages causés aux tiers […] est distincte de l’étendue de l’indemnisation de ces dommages au titre de la responsabilité civile de l’assuré ». La première est définie par le droit de l’Union, tandis que la seconde demeure essentiellement régie par le droit national.

En l’état actuel du droit, les États membres restent donc libres de déterminer le régime de responsabilité civile applicable aux accidents de la circulation. Leur seule contrainte est de garantir que la responsabilité civile, une fois établie selon leurs propres règles, soit effectivement couverte par une assurance conforme aux exigences des directives. La réglementation portugaise en cause n’affecte pas la couverture d’assurance d’une responsabilité établie, mais intervient en amont, sur la définition même des conditions d’engagement de cette responsabilité. Elle n’est donc pas, en son principe, contraire à l’objectif des directives.

B. Le rejet d’une application extensive de la jurisprudence antérieure

La juridiction de renvoi fondait ses doutes sur des arrêts antérieurs où la Cour avait invalidé des dispositions nationales limitant l’indemnisation des passagers. La Cour prend soin de distinguer la présente espèce de ces précédents. Elle relève que dans ces affaires, le droit à indemnisation était affecté par des limitations contenues dans des dispositions relatives à l’assurance elle-même, qu’il s’agisse de clauses contractuelles ou de dispositions légales spécifiques à ce domaine. Ces règles privaient d’effet l’obligation de couverture imposée par le droit de l’Union.

Dans le cas présent, la limitation ne découle pas d’une clause d’exclusion d’assurance, mais du régime général de la responsabilité civile. Le code civil portugais permet au juge d’apprécier la contribution de la victime à son propre dommage pour moduler ou exclure l’indemnisation. Une telle règle ne vise pas à limiter la portée de la garantie d’assurance, mais à déterminer si et dans quelle mesure une responsabilité pèse sur l’assuré. Par conséquent, la Cour refuse d’étendre la portée de sa jurisprudence à des règles nationales qui ne relèvent pas du droit des assurances mais du droit commun de la responsabilité.

Cette clarification du périmètre des directives consacre logiquement la compétence des États membres pour aménager les conditions de la responsabilité civile.

II. La consécration de l’autonomie des droits nationaux en matière de responsabilité civile

L’arrêt reconnaît que la prise en compte de la faute de la victime relève de la compétence nationale (A), confirmant par là même que la protection accordée aux passagers par le droit de l’Union connaît des limites (B).

A. L’admission de la prise en compte de la faute de la victime

La Cour valide la démarche de la législation portugaise qui ne prévoit pas une exclusion automatique de l’indemnisation. Le droit national confie à la juridiction le soin de déterminer, « eu égard à la gravité des fautes commises par l’une et l’autre partie, et aux conséquences qui en résultent, si l’indemnisation doit être octroyée en totalité, réduite ou même exclue ». Cette méthode d’appréciation concrète, au cas par cas, s’oppose à une réglementation qui, sur la base de critères généraux et abstraits, priverait systématiquement la victime de son droit.

Ce n’est que si la réglementation nationale aboutissait à refuser ou à limiter de façon disproportionnée le droit à indemnisation que l’effet utile des directives serait compromis. Or, permettre au juge national de tenir compte de la contribution de la victime à la réalisation de son propre préjudice n’est pas considéré comme une mesure disproportionnée. La Cour admet ainsi que les concepts de causalité et de partage de responsabilité, fondamentaux dans de nombreux systèmes de droit civil, peuvent légitimement continuer à s’appliquer.

B. La portée limitée de la protection accordée aux passagers victimes

Si l’objectif de protection des victimes d’accidents de la circulation est au cœur des directives, cet arrêt en précise les contours. La protection offerte par le droit de l’Union n’est pas absolue et ne conduit pas à la création d’un droit à indemnisation uniforme et inconditionnel au profit de tous les passagers. Le droit à réparation demeure subordonné à l’établissement d’une responsabilité civile selon les règles du droit national applicable. L’effet utile des directives est de garantir qu’un assureur couvrira cette responsabilité, non de garantir que cette responsabilité sera systématiquement engagée.

En définitive, la Cour réaffirme un point d’équilibre. Elle garantit l’existence d’une assurance obligatoire pour toute responsabilité civile automobile définie nationalement, mais elle se garde d’harmoniser les conditions mêmes de cette responsabilité. La détermination de l’impact d’une faute de la victime, comme le non-port de la ceinture de sécurité, reste donc une prérogative des législateurs et des juridictions des États membres, à la condition que leur appréciation ne vide pas de sa substance l’obligation de couverture d’assurance imposée par le droit de l’Union.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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