La Cour de justice de l’Union européenne, siégeant en grande chambre, a rendu le 23 octobre 2012 un arrêt majeur pour le transport aérien. Cette décision porte sur le droit à l’indemnisation des passagers subissant un retard de vol important selon le cadre juridique communautaire. Plusieurs voyageurs ont été confrontés à des retards dépassant vingt-quatre heures lors de trajets internationaux ou de liaisons internes au territoire européen. Les compagnies aériennes ont refusé d’accorder l’indemnité forfaitaire prévue par le règlement pour les cas d’annulation de vols. L’Amtsgericht de Cologne et la High Court of Justice de Londres ont alors sollicité l’interprétation des articles 5 à 7 du règlement n° 261/2004 par voie préjudicielle. Les transporteurs invoquaient une absence de base légale explicite pour le retard et une contradiction avec la convention de Montréal. Le problème de droit consiste à savoir si l’indemnisation pour annulation doit être étendue aux passagers subissant un retard de trois heures ou plus. La Cour affirme que ces passagers possèdent ce droit de réparation, sauf en cas de circonstances extraordinaires échappant au transporteur. Son analyse consacre l’assimilation du retard prolongé à l’annulation de vol (I) avant d’écarter les griefs relatifs à la validité du règlement (II).
I. L’assimilation du retard important à l’annulation de vol
A. Le constat d’un désagrément identique fondé sur la perte de temps
Les juges notent que le texte européen ne mentionne pas expressément l’indemnisation pour les retards contrairement aux situations d’annulation. Ils estiment pourtant que ces deux événements entraînent un préjudice analogue pour le passager lésé dans son projet de voyage. La Cour considère que « les passagers de vols retardés et ceux de vols annulés doivent être considérés comme étant dans des situations comparables ». Cette ressemblance découle d’une perte de temps irréversible subie par les voyageurs lors de la réalisation de leur transport aérien. Le désagrément consiste en l’impossibilité de disposer librement de son temps à la destination finale initialement prévue par le contrat. La juridiction fixe à trois heures le seuil temporel déclenchant le droit à une compensation pécuniaire standardisée et immédiate.
B. L’application nécessaire du principe d’égalité de traitement
L’indemnisation des seuls passagers de vols annulés introduirait une différence de traitement injustifiée entre des personnes subissant le même dommage temporel. Le principe d’égalité de traitement interdit de traiter de manière différente des situations semblables sans qu’une raison objective ne soit démontrée. La Cour juge qu’une telle distinction « n’est pas dûment justifiée au regard des objectifs poursuivis par ce règlement » de protection des consommateurs. L’interprétation des textes doit privilégier la défense des intérêts des voyageurs face aux aléas de l’exploitation commerciale des lignes aériennes. Cette volonté de protection élevée impose une lecture cohérente des obligations pesant sur les opérateurs de transport au sein de l’Union. La reconnaissance de ce droit se heurte toutefois aux arguments des compagnies fondés sur la hiérarchie des normes juridiques.
II. La confirmation de la validité du régime d’indemnisation forfaitaire
A. La distinction entre l’indemnisation forfaitaire et les dommages-intérêts
Les transporteurs soutenaient que le régime européen violait les limites de responsabilité posées par la convention de Montréal pour les retards. La Cour rejette cette analyse en soulignant la nature spécifique de l’indemnisation prévue par le règlement de l’Union européenne. Elle affirme que la perte de temps constitue un simple désagrément qui « se situe en dehors de la portée de l’article 29 de la convention de Montréal ». Cette mesure standardisée vise à remédier immédiatement aux difficultés rencontrées sans exiger la preuve d’un préjudice individuel par le demandeur. Elle se distingue des actions en responsabilité classique qui imposent la démonstration d’un lien de causalité entre le retard et le dommage subi. Le droit européen crée ainsi une obligation complémentaire qui n’altère pas les principes fondamentaux régissant la responsabilité civile internationale.
B. Le respect des principes de proportionnalité et de sécurité juridique
La décision confirme que la charge financière pesant sur les compagnies n’est pas démesurée par rapport au but de protection recherché. Les juges précisent que l’indemnisation n’est pas due si le retard résulte de circonstances extraordinaires indépendantes de la volonté du transporteur. Les montants fixés restent encadrés par la distance du vol et peuvent être minorés en fonction de l’efficacité du réacheminement proposé. La Cour refuse de limiter les effets temporels de son arrêt en soulignant la prévisibilité de sa jurisprudence pour les opérateurs économiques. Elle estime que « les transporteurs aériens ne peuvent tirer argument du principe de sécurité juridique » pour contester une interprétation protectrice des droits. Cette solution garantit une application uniforme de la loi européenne tout en préservant l’équilibre entre les intérêts économiques et les droits sociaux.