Cour de justice de l’Union européenne, le 23 octobre 2014, n°C-437/13

Par un arrêt en date du 6 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’articulation entre le droit à un recours effectif, garanti par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et les modalités d’administration de la preuve en matière douanière. En l’espèce, une société importatrice avait déclaré l’origine de certaines marchandises afin de bénéficier d’un traitement tarifaire préférentiel. Les autorités douanières nationales ont toutefois remis en cause cette origine sur la base des conclusions d’un rapport d’analyse effectué par un laboratoire tiers. Ce dernier refusant de communiquer les détails de sa méthodologie, l’importateur s’est trouvé dans l’impossibilité de contester efficacement la valeur probante de l’expertise. L’opérateur économique a alors saisi une juridiction nationale pour contester la décision de l’administration douanière, en arguant d’une violation de son droit à un procès équitable. Confrontée à une difficulté d’interprétation du droit de l’Union, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice plusieurs questions préjudicielles. Il s’agissait pour la Cour de déterminer si l’article 47 de la charte des droits fondamentaux s’opposait à ce que des autorités nationales fondent leur décision sur une preuve dont la fiabilité ne peut être pleinement vérifiée par le déclarant, en raison du refus du tiers expert de fournir des informations complémentaires. La question subsidiaire portait sur les garanties procédurales qui devraient, le cas échéant, être offertes au déclarant, telles que la possibilité de solliciter une contre-expertise à ses frais. La Cour de justice répond que le droit de l’Union ne fait pas obstacle à l’utilisation d’une telle preuve, à la condition que les principes d’effectivité et d’équivalence soient respectés par le droit procédural national. Elle précise également qu’il appartient au droit national de déterminer les modalités d’une éventuelle contre-expertise ou de l’utilisation de sous-échantillons.

I. LA VALIDATION D’UNE PREUVE D’ORIGINE CONTESTABLE AU REGARD DU DROIT DE L’UNION

La Cour de justice de l’Union européenne admet qu’une preuve, bien qu’opaque dans sa constitution, puisse fonder une décision des autorités douanières (A). Cette admission est cependant conditionnée par le respect de principes procéduraux fondamentaux qui incombent à la juridiction nationale (B).

A. L’admission d’une preuve fournie par un tiers non transparent

La Cour affirme que l’article 47 de la charte « ne s’oppose pas à ce que la preuve de l’origine de marchandises importées, administrée par les autorités douanières sur le fondement du droit procédural national, repose sur les résultats d’analyses effectuées par un tiers, au sujet desquels ce tiers refuse de fournir des informations complémentaires ». Cette solution pragmatique reconnaît les contraintes opérationnelles des administrations douanières, qui doivent pouvoir s’appuyer sur des expertises externes spécialisées. La Cour entérine ainsi une pratique où l’efficacité du contrôle prime sur la transparence absolue de la preuve. En effet, exiger la divulgation complète des méthodes d’analyse pourrait se heurter à des secrets commerciaux ou à des contraintes techniques propres au laboratoire tiers. La décision établit donc qu’une asymétrie d’information entre l’administration et le déclarant ne constitue pas, en soi, une violation du droit à un recours effectif. Le simple fait que la preuve soit difficilement réfutable pour le déclarant ne la rend pas irrecevable.

B. Le renvoi aux principes d’effectivité et d’équivalence comme garantie procédurale

L’acceptation d’une preuve non transparente n’est cependant pas inconditionnelle. La Cour la subordonne expressément à la condition que « les principes d’effectivité et d’équivalence soient respectés ». Il incombe dès lors à la juridiction nationale de procéder à cette vérification. Le principe d’effectivité exige que l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union ne soit pas rendu en pratique impossible ou excessivement difficile. Le juge national doit donc s’assurer que le déclarant dispose de voies de recours concrètes et effectives pour faire valoir ses droits, malgré l’opacité de la preuve initiale. Le principe d’équivalence, quant à lui, interdit qu’une situation régie par le droit de l’Union soit traitée de manière moins favorable que des situations purement internes. Le juge doit ainsi vérifier que les règles de procédure applicables ne désavantagent pas le déclarant par rapport à un justiciable agissant dans un contexte exclusivement national. Ces deux principes agissent comme des garde-fous, transférant sur le juge national la responsabilité de garantir l’équilibre procédural.

II. LE RÔLE DÉTERMINANT DU DROIT PROCÉDURAL NATIONAL DANS LA MISE EN ŒUVRE DES GARANTIES

La Cour renvoie au droit interne le soin de définir les mécanismes concrets permettant de contrebalancer l’opacité de la preuve (A), ce qui engendre une potentielle incertitude pour le déclarant qui dépendra de la générosité des systèmes juridiques nationaux (B).

A. La dévolution de la charge de la preuve et des contre-expertises au droit interne

La Cour de justice précise que les questions relatives à une contre-expertise ou à la conservation d’échantillons « doivent être appréciées sur le fondement du droit procédural national ». Elle se refuse ainsi à créer une règle de preuve uniforme au niveau européen pour ce type de contentieux. Cette approche respecte l’autonomie procédurale des États membres et le principe de subsidiarité. La Cour estime qu’il ne lui appartient pas de dicter les modalités pratiques par lesquelles le droit de la défense doit être assuré. La possibilité pour le déclarant de faire effectuer, à ses frais, de nouvelles analyses ou d’accéder à des sous-échantillons conservés par l’administration dépendra donc entièrement des dispositions législatives et réglementaires de chaque État membre. Cette dévolution confère une importance capitale aux règles de procédure nationales dans la protection effective des opérateurs économiques.

B. L’incertitude pesant sur le déclarant face à la diversité des systèmes nationaux

Si cette solution est cohérente avec la répartition des compétences entre l’Union et ses membres, elle crée néanmoins une situation d’incertitude pour les justiciables. La portée des garanties offertes au déclarant variera considérablement d’un État membre à l’autre. Certains ordres juridiques pourront offrir des possibilités étendues de contre-expertise, tandis que d’autres se montreront plus restrictifs, rendant la contestation de la preuve administrative beaucoup plus ardue. Cette disparité pourrait engendrer une inégalité de traitement entre les opérateurs économiques européens selon la juridiction compétente. Bien que la Cour rappelle l’obligation d’information qui pèse sur les autorités douanières quant à l’existence d’échantillons, cette obligation est elle-même soumise aux règles nationales. Le déclarant se trouve donc dans une position précaire, où son droit fondamental à un recours effectif dépend de la qualité et de la complétude du système procédural national applicable.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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