Cour de justice de l’Union européenne, le 23 septembre 2008, n°C-427/06

Par un arrêt du 23 septembre 2008, la Cour de justice des Communautés européennes, siégeant en grande chambre, a précisé les conditions d’application du principe général du droit de l’Union interdisant la discrimination fondée sur l’âge. En l’espèce, l’épouse survivante d’un ancien salarié s’est vu refuser le versement d’une pension de réversion par un fonds de prévoyance d’entreprise. Ce refus était fondé sur une clause du régime de retraite professionnel qui excluait le bénéfice de la pension lorsque le conjoint survivant était plus jeune de plus de quinze ans que le salarié décédé. L’épouse concernée, née en 1965, était en effet de vingt-et-un ans la cadette de son mari, décédé en 2004. Saisie du litige, la veuve a vu sa demande rejetée par les juridictions allemandes du premier et du second degré. Le Bundesarbeitsgericht, saisi d’un recours en « Revision », a alors décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle clause avec le droit de l’Union. La question de droit qui se posait était de savoir si le principe général de non-discrimination en raison de l’âge pouvait être invoqué pour écarter une disposition contractuelle d’un régime de retraite, alors même que les faits étaient antérieurs à l’expiration du délai de transposition de la directive 2000/78/CE qui encadre ce principe. La Cour a répondu par la négative, en affirmant que « le droit communautaire ne contient pas une interdiction de toute discrimination fondée sur l’âge dont les juridictions des États membres doivent garantir l’application lorsque le comportement éventuellement discriminatoire ne présente aucun lien avec le droit communautaire ». Elle a jugé qu’un tel lien n’était créé ni par l’article 13 CE, ni par la directive elle-même avant l’expiration de son délai de transposition.

Cette décision circonscrit de manière stricte l’invocabilité des principes généraux du droit de l’Union, en la conditionnant à un rattachement matériel préexistant de la situation litigieuse à ce même droit (I). Ce faisant, elle marque une clarification notable de la jurisprudence, dont la portée se mesure à l’aune de la distinction opérée avec des solutions antérieures plus audacieuses (II).

I. La délimitation rigoureuse du champ d’application du droit de l’Union

La Cour de justice fonde son raisonnement sur une analyse précise des sources du droit de l’Union potentiellement applicables en l’espèce. Elle écarte successivement l’application de la directive en raison de sa temporalité (A), puis celle d’un principe général qui serait autonome de tout rattachement au champ normatif de l’Union (B).

A. L’inapplicabilité de la directive avant l’expiration du délai de transposition

L’arrêt rappelle avec orthodoxie le régime juridique applicable aux directives de l’Union européenne. Le litige portait sur la directive 2000/78/CE, dont l’objet est d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur l’âge en matière d’emploi. Conformément à l’article 18 de ce texte, le délai de transposition initial était fixé au 2 décembre 2003. Cependant, la République fédérale d’Allemagne avait usé de la faculté de prolonger ce délai jusqu’au 2 décembre 2006 pour les dispositions relatives à l’âge. Or, le décès du salarié, fait générateur du litige, est survenu le 5 mai 2004, soit à une date où le délai de transposition n’était pas encore expiré. La Cour en déduit logiquement que les dispositions de la directive n’étaient pas encore applicables pour régir la situation. Il est en effet de jurisprudence constante qu’un État membre ne peut être tenu pour responsable de la non-transposition d’une directive avant l’échéance du délai qui lui est imparti. Par conséquent, la clause du régime de retraite ne pouvait être appréciée directement au regard des exigences posées par la directive 2000/78/CE.

B. Le rejet de l’invocation d’un principe général autonome

L’argument principal soulevé devant la juridiction de renvoi consistait à invoquer l’existence d’un principe général du droit de l’Union prohibant la discrimination fondée sur l’âge, principe qui aurait une existence propre et une portée plus large que la directive. La Cour rejette cette thèse en posant une condition essentielle : pour qu’un principe général du droit de l’Union puisse être appliqué par une juridiction nationale, la situation en cause doit relever du champ d’application du droit de l’Union. Elle énonce ainsi que « ni la directive 2000/78 ni l’article 13 CE ne permettent toutefois de rattacher au champ d’application du droit communautaire une situation telle que celle en cause au principal ». Le régime de pension d’entreprise étant une convention de droit privé et non une mesure de mise en œuvre du droit de l’Union, et les faits se déroulant avant que la directive ne soit applicable, aucun élément de rattachement n’a pu être identifié. La Cour précise que l’article 13 CE, qui constitue la base juridique ayant permis l’adoption de la directive, ne saurait à lui seul suffire à faire entrer dans le champ du droit de l’Union des situations qui se situent en dehors des mesures prises sur son fondement.

Cette approche, en apparence restrictive, a pour effet de clarifier la portée de la jurisprudence antérieure, parfois perçue comme plus extensive.

II. La portée d’une solution en rupture avec la jurisprudence antérieure

L’apport majeur de cet arrêt réside dans la manière dont il se positionne par rapport à l’arrêt *Mangold* de 2005, qui avait suscité de vifs débats doctrinaux. La Cour opère une distinction technique précise avec cette jurisprudence (A), consacrant ainsi une approche plus mesurée de l’invocabilité des principes généraux dans les litiges entre particuliers (B).

A. La distinction opérée avec l’arrêt Mangold

Dans son arrêt *Mangold*, la Cour avait jugé que le principe de non-discrimination en fonction de l’âge devait conduire une juridiction nationale à écarter une disposition de droit interne contraire, même avant l’expiration du délai de transposition de la directive 2000/78/CE. Cette solution semblait conférer une portée considérable à un principe général du droit. Dans le présent arrêt, la Cour prend soin de distinguer les deux affaires. Elle souligne qu’à la différence de la présente espèce, « la réglementation nationale en cause constituait une mesure de mise en œuvre d’une directive communautaire », en l’occurrence la directive 1999/70/CE sur le travail à durée déterminée. C’est par le biais de cette transposition que la situation de l’affaire *Mangold* était entrée dans le champ d’application du droit de l’Union, rendant par conséquent le principe général de non-discrimination applicable. Au contraire, le régime de retraite professionnel en cause dans l’affaire *Bartsch* ne constituait pas une mesure de transposition de dispositions de l’Union. Cette distinction est fondamentale : elle signifie que l’applicabilité d’un principe général n’est pas automatique, mais dépend d’un lien matériel entre la norme nationale ou contractuelle contestée et le droit de l’Union.

B. La consolidation d’une approche duale de l’invocabilité des principes généraux

En définitive, cet arrêt consolide une vision duale des conditions d’application des principes généraux du droit. Lorsque la situation litigieuse entre dans le champ d’application du droit de l’Union, que ce soit par le biais d’une mesure de transposition ou d’une autre disposition du traité, les juridictions nationales ont l’obligation de garantir le plein effet de ces principes, y compris en écartant une norme contraire. En revanche, en l’absence d’un tel rattachement, les principes généraux, même ceux qui sont fondamentaux, ne peuvent être invoqués de manière autonome pour régir des situations qui relèvent exclusivement du droit interne des États membres. Cette solution renforce la sécurité juridique en délimitant clairement les sphères de compétence respectives de l’ordre juridique de l’Union et des ordres juridiques nationaux. Elle tempère la portée de l’arrêt *Mangold* en le réinscrivant dans un cadre conceptuel plus classique, où le champ d’application matériel du droit de l’Union demeure la clé de voûte de l’invocabilité de ses principes fondamentaux.

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Hassan KOHEN
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