Cour de justice de l’Union européenne, le 24 avril 2008, n°C-76/08

Par un arrêt en manquement, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les conditions d’application d’une dérogation au régime de protection des oiseaux sauvages. En l’espèce, un État membre a autorisé la chasse printanière de la caille des blés et de la tourterelle des bois, deux espèces migratrices, pendant plusieurs années consécutives. La Commission européenne, estimant cette pratique contraire à la directive concernant la conservation des oiseaux sauvages, a engagé une procédure en manquement. L’État membre arguait que la chasse durant la période automnale ne constituait pas une « autre solution satisfaisante » au sens de la directive, en raison du très faible nombre d’oiseaux présents sur son territoire à cette saison. Après avoir écarté les exceptions d’irrecevabilité soulevées par l’État défendeur, la Cour a examiné le fond du litige. Il lui était donc demandé de déterminer si un État membre peut déroger à l’interdiction de la chasse printanière au motif que la chasse automnale n’offre pas une alternative viable et, le cas échéant, selon quelles modalités une telle dérogation peut être mise en œuvre. La Cour conclut que l’État membre a manqué à ses obligations, non pas en excluant par principe la possibilité d’une telle dérogation, mais en autorisant une chasse printanière dont l’ampleur était disproportionnée par rapport à l’objectif de conservation des espèces.

I. L’appréciation assouplie de la condition d’absence d’autre solution satisfaisante

La Cour commence son raisonnement en évaluant la condition préalable à toute dérogation, à savoir l’inexistence d’une autre solution satisfaisante. Tout en rappelant l’interprétation stricte qui prévaut en la matière (A), elle introduit une lecture plus nuancée, fondée sur la notion d’équilibre entre la protection des espèces et les activités de loisir (B).

A. Le rappel d’une jurisprudence traditionnellement stricte

La directive établit un régime de protection renforcé pour les oiseaux migrateurs durant leur trajet de retour vers leur lieu de nidification. L’article 7, paragraphe 4, du texte dispose que les États membres veillent à ce que ces espèces « ne soient pas chassées pendant leur période de reproduction et pendant leur trajet de retour vers leur lieu de nidification ». Cette interdiction est un pilier de la politique de conservation. Par conséquent, toute dérogation prévue à l’article 9 de la directive doit faire l’objet d’une interprétation stricte.

La jurisprudence constante de la Cour confirme qu’il incombe à l’État membre qui souhaite se prévaloir d’une dérogation de prouver que l’ensemble des conditions requises sont remplies. La condition de l’absence d’« autre solution satisfaisante » est particulièrement scrutée. La Cour a ainsi jugé qu’une telle nécessité fait défaut si la dérogation a pour seul objet de prolonger les périodes de chasse pour des espèces déjà présentes sur le territoire pendant les périodes de chasse normalement autorisées. La simple présence des oiseaux en automne, même en quantités moindres, suffisait généralement à écarter la possibilité d’une dérogation printanière.

B. L’introduction d’un critère d’équilibre entre protection et activités de loisir

Dans la présente affaire, la Cour affine sa position en précisant le sens de l’expression « autre solution satisfaisante ». Elle juge que le législateur, en employant ces termes, n’a pas voulu exclure systématiquement une dérogation dès lors qu’une simple possibilité théorique de chasse existe à une autre période. Elle estime que la dérogation reste envisageable « dès lors que les possibilités de chasse offertes durant ces périodes, en l’occurrence en automne, sont si limitées que l’équilibre recherché par la directive entre la protection des espèces et certaines activités de loisir est rompu ».

Ce faisant, la Cour admet qu’une chasse automnale réduite à une simple potentialité, sans réelle consistance, ne constitue pas une solution satisfaisante. Elle prend en compte les circonstances très particulières de l’espèce, notamment le fait que les chasseurs ne pouvaient capturer qu’une « quantité négligeable d’oiseaux » en automne. Ainsi, la condition tenant à l’absence d’autre solution satisfaisante pouvait, en principe, être considérée comme remplie. Cet assouplissement marque une évolution notable, ouvrant la voie à une analyse plus concrète et moins formelle de la situation.

II. La sanction d’une dérogation jugée disproportionnée dans son application

Après avoir admis, en principe, la possibilité d’une dérogation, la Cour en examine la mise en œuvre concrète au regard du principe de proportionnalité. Elle fonde sa condamnation sur une analyse quantitative des prélèvements (A), qui révèle le caractère non mesuré de la mesure adoptée par l’État membre (B).

A. L’examen quantitatif au cœur du contrôle de proportionnalité

La Cour souligne qu’une dérogation, même justifiée dans son principe, doit être « proportionnée aux besoins qui la justifient ». Le constat de l’insuffisance des possibilités de chasse en automne n’autorise donc pas une ouverture illimitée de la chasse au printemps. La mesure doit rester circonscrite à ce qui est strictement nécessaire, sans mettre en péril les objectifs de la directive.

Pour évaluer cette proportionnalité, la Cour se livre à une analyse comparative chiffrée. Elle relève que la chasse printanière autorisée par l’État membre se traduit par « une mortalité trois fois supérieure, avec environ 15000 oiseaux tués, pour la caille des blés, et huit fois supérieure, avec environ 32000 oiseaux tués, pour la tourterelle des bois, à celle qui résulte de la pratique de la chasse pendant la période automnale ». Cet écart considérable entre les prélèvements des deux saisons démontre que la dérogation ne visait pas à compenser marginalement une absence, mais à instituer une véritable seconde saison de chasse, bien plus importante que la saison régulière.

B. La censure du caractère non mesuré de la mesure dérogatoire

Sur la base de cette analyse quantitative, la Cour conclut que la mesure prise par l’État membre « ne constitue pas une solution adéquate et strictement proportionnée à l’objectif de conservation des espèces poursuivi par la directive ». En autorisant l’ouverture de la chasse pendant plusieurs semaines au printemps, l’État a outrepassé les limites d’une dérogation qui se doit d’être sélective et de ne concerner que de petites quantités.

La décision confirme ainsi que le contrôle de la Cour ne s’arrête pas à la vérification des conditions formelles de l’article 9. Il s’étend à une appréciation substantielle de l’impact de la dérogation sur les populations d’oiseaux et sur l’équilibre général de la directive. En définitive, même si une solution alternative est jugée non satisfaisante, la mesure dérogatoire mise en place ne saurait se substituer à une saison de chasse ordinaire. Elle doit conserver un caractère exceptionnel et limité, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. L’État membre a donc bien manqué à ses obligations.

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Hassan KOHEN
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Hassan Kohen

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