Cour de justice de l’Union européenne, le 24 février 2022, n°C-257/20

Par un arrêt rendu le 24 février 2022, la Cour de justice de l’Union européenne précise le régime fiscal des prêts sans intérêts entre sociétés associées. Une société résidant dans un État membre a bénéficié d’un financement gratuit octroyé par son actionnaire unique établi dans un autre État membre. L’administration fiscale nationale a opéré un redressement en soumettant à une retenue à la source les intérêts fictifs correspondant au taux du marché. La société contestait cette imposition en invoquant le bénéfice des directives d’harmonisation fiscale ainsi que les libertés fondamentales de circulation. Elle soutenait notamment que ce dispositif créait une présomption irréfragable d’évasion fiscale contraire au droit de l’Union. Le Varhoven administrativen sad a saisi la Cour de plusieurs questions préjudicielles relatives à l’interprétation des directives et du traité sur le fonctionnement de l’Union. Il s’agissait de déterminer si le droit de l’Union s’oppose à la taxation à la source d’intérêts théoriques calculés selon les conditions du marché. La Cour décide que les directives invoquées ne sont pas applicables et que la restriction à la libre circulation des capitaux reste justifiable. L’examen de la décision permet d’analyser l’écartement des régimes d’harmonisation fiscale avant d’apprécier la conformité du dispositif national aux principes du droit primaire.

I. L’exclusion des mécanismes d’harmonisation fiscale par l’absence de flux effectif

A. L’inapplicabilité des directives relatives aux intérêts et aux bénéfices distribués

La Cour écarte d’abord l’application des directives concernant les paiements d’intérêts et de redevances ainsi que le régime des sociétés mères et filiales. Elle souligne que ces textes supposent l’existence d’un paiement réel ou d’une distribution effective de bénéfices entre les entités concernées. Or, les intérêts fictifs établis par l’administration en vue de leur taxation ne peuvent être qualifiés de paiements au sens de la directive. Le prêteur ne recevant aucune somme, il ne dispose pas de la qualité de bénéficiaire effectif requise par la jurisprudence constante. La Cour affirme ainsi que « des intérêts fictifs établis par l’administration fiscale […] ne peuvent être considérés comme des paiements d’intérêts ». Cette solution préserve la lettre des directives dont l’objectif est d’éliminer la double imposition sur des flux financiers circulant réellement. L’absence de versement effectif prive le litige de tout point d’ancrage avec ces instruments de droit dérivé. La qualification d’intérêts fictifs ne saurait donc entraîner l’application automatique des exonérations prévues pour les transactions onéreuses transfrontalières. Cette approche rigoureuse limite le champ de l’harmonisation aux seules opérations générant un revenu pécuniaire tangible.

B. La nature directe de l’imposition écartant la directive sur les apports de capitaux

La société requérante invoquait également la directive relative aux impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux pour contester la retenue à la source. Si l’octroi d’un prêt sans intérêts peut constituer un apport de capital, il n’échappe pas pour autant à toute forme de fiscalité. La Cour rappelle que l’harmonisation opérée par ce texte ne concerne que les impôts indirects et non les prélèvements de nature directe. La retenue à la source en cause s’apparente à un impôt direct sur le revenu que la société mère aurait dû réaliser. Elle a pour fait générateur et pour assiette le profit théorique déterminé selon les conditions normales du marché intérieur. Dès lors, les États membres conservent leur compétence pour soumettre ces avantages patrimoniaux à une imposition sur les bénéfices des sociétés. Cette distinction classique permet de sauvegarder l’autonomie fiscale des États dans le domaine de la fiscalité directe des revenus. L’exclusion de la directive confirme que l’avantage économique retiré d’un prêt gratuit reste saisissable par l’impôt sur le résultat. Une fois l’harmonisation écartée, il convient d’éprouver la mesure nationale au regard de la libre circulation des capitaux.

II. La validation conditionnelle du régime national de taxation à la source

A. La caractérisation d’une restriction fondée sur un désavantage de trésorerie

La Cour examine la réglementation nationale sous l’angle de la libre circulation des capitaux consacrée par l’article 63 du traité. Elle relève une différence de traitement entre les sociétés prêteuses selon qu’elles sont résidentes ou établies dans un autre État membre. Les résidents sont imposés sur un montant net après déduction immédiate des frais liés à l’activité de prêt effectuée. En revanche, les non-résidents subissent une retenue sur le montant brut des intérêts sans possibilité de déduction au stade du prélèvement. Bien qu’une procédure de récupération ultérieure existe, elle impose une avance de fonds préjudiciable aux sociétés étrangères par rapport aux nationales. Ce décalage temporel dans la prise en compte des charges génère un désavantage de trésorerie constitutif d’une restriction à la circulation des capitaux. La Cour précise que « la régularisation de la situation fiscale d’une société non-résidente intervient nécessairement avec retard ». Cette entrave est d’autant plus marquée que les sociétés résidentes déficitaires sont immédiatement dispensées de tout paiement effectif de l’impôt. L’existence d’une restriction étant établie, il importe de vérifier si des raisons impérieuses d’intérêt général peuvent légitimer un tel dispositif.

B. Une justification admise sous réserve du respect de la proportionnalité

L’entrave constatée peut être justifiée par la nécessité de sauvegarder la répartition du pouvoir d’imposition et de lutter contre l’évasion fiscale. Les États membres sont en droit d’empêcher que des transferts de bénéfices s’opèrent par le biais de conditions contractuelles anormales. La retenue à la source constitue un moyen approprié pour assurer le traitement fiscal de revenus générés sur le territoire national. La Cour estime que la mesure est apte à garantir l’efficacité du recouvrement de l’impôt dû sur les activités locales. Toutefois, la validité de ce régime reste subordonnée au respect du principe de proportionnalité dans la mise en œuvre de la procédure. La durée de la récupération des sommes indûment prélevées ne doit pas être excessive au regard de l’objectif de l’administration. En outre, le remboursement de l’excédent d’impôt doit obligatoirement être assorti du versement d’intérêts moratoires pour compenser le coût du portage. La Cour conclut que le droit de l’Union ne s’oppose pas à cette taxation si ces garanties procédurales sont effectives. Cette décision équilibre ainsi la souveraineté fiscale des États et les exigences de fluidité du marché intérieur européen.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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