La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision rendue le 10 juin 2021, s’est prononcée sur l’interprétation de la directive 2009/73/CE concernant les règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel. Cette affaire soulève la question fondamentale de la liberté de raccordement des clients finals aux réseaux de transport de gaz, par opposition aux réseaux de distribution locale. Le litige trouve son origine dans la libéralisation du marché énergétique letton, ayant entraîné la scission d’une entreprise verticalement intégrée en plusieurs entités distinctes pour le transport et la distribution. Une autorité nationale de régulation a ultérieurement autorisé tout utilisateur de gaz naturel à se raccorder directement au réseau de transport sans passer par l’intermédiaire du gestionnaire de distribution.
Saisie d’un recours en annulation par l’ancien monopole, la Cour constitutionnelle de Lettonie a décidé de surseoir à statuer pour interroger la juridiction européenne sur la portée des articles 23 et 32 de la directive précitée. Le juge luxembourgeois devait déterminer si le droit de l’Union impose aux États membres d’offrir un choix systématique au consommateur entre les deux types de réseaux existants. Il s’agissait également de savoir si certaines catégories de clients, notamment industriels, bénéficiaient d’un régime de raccordement privilégié ou exclusif au réseau de transport à haute pression. La Cour répond que les États membres ne sont pas tenus d’instaurer un tel droit de choix pour tout client final, tout en précisant que le droit de l’Union ne s’oppose pas à une réglementation nationale autorisant le raccordement direct.
**I. L’affirmation de l’autonomie nationale quant au raccordement aux réseaux**
La Cour de justice commence par opérer une distinction essentielle entre les notions d’accès et de raccordement pour définir les obligations pesant sur les États membres. Elle souligne que « l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2009/73 doit être interprété en ce sens qu’il ne prévoit les obligations des États membres qu’en ce qui concerne l’accès aux réseaux et non le raccordement à ceux-ci ». Cette interprétation restrictive limite l’obligation de garantie tarifaire et d’utilisation du réseau à la fourniture de gaz, sans imposer de droit universel à la connexion physique au transport.
Le raisonnement des juges s’appuie sur une analogie avec le marché de l’électricité, où le raccordement constitue une opération technique distincte de la liberté contractuelle de choix du fournisseur. La décision précise que « cette disposition ne saurait être interprétée en ce sens qu’elle impose à ces États d’inscrire dans leurs législations respectives le droit de tout client final de se raccorder au réseau de transport ». Dès lors, l’organisation structurelle des branchements physiques relève de la compétence nationale, pourvu que l’accès des tiers au marché intérieur demeure effectif et non discriminatoire.
L’analyse de la Cour se poursuit par l’examen des modèles de dissociation des réseaux prévus par la directive pour garantir l’indépendance des gestionnaires de transport. Elle relève que l’article 23 de la directive ne s’applique qu’aux États ayant opté pour des modèles spécifiques de gestionnaires indépendants, ce qui n’est pas le cas pour le premier modèle de dissociation. En l’espèce, les règles supplémentaires relatives aux investissements et aux capacités de connexion ne sont pas systématiquement opposables si l’État a choisi la séparation de propriété. La juridiction européenne confirme ainsi que « l’article 23 de la directive 2009/73 paraît dénué de pertinence pour résoudre le litige » dès lors que le modèle de base a été mis en œuvre par le législateur national.
**II. La reconnaissance de la flexibilité des infrastructures énergétiques**
Bien que la directive n’impose pas de droit de choix universel, elle ne fixe pas non plus de barrières rigides empêchant le raccordement direct de clients au transport. La Cour rejette l’idée que seul un client industriel pourrait légitimement prétendre à une connexion aux gazoducs à haute pression en vertu de la législation européenne. Elle affirme en effet que l’article 23 « n’oblige pas les États membres à adopter une réglementation en vertu de laquelle seul un client industriel peut se raccorder au réseau de transport de gaz naturel ». Cette souplesse permet aux régulateurs nationaux d’adapter les schémas de raccordement selon les réalités techniques et économiques propres à chaque territoire.
L’étude des définitions techniques de la directive confirme que la mission de transport de gaz naturel n’exclut pas par nature la livraison directe à des consommateurs spécifiques. Les juges notent que la notion de transport inclut la circulation du gaz « aux fins de fourniture à des clients », terme qui englobe explicitement les clients finals selon les textes. Ainsi, « il ne saurait être déduit du seul libellé du point 3 dudit article 2 […] qu’il est exclu qu’un client final puisse être directement raccordé au réseau de transport ». Cette lecture littérale et téléologique assure une cohérence entre les objectifs de libéralisation et les impératifs de transparence du marché énergétique.
La décision s’appuie enfin sur les règlements techniques complémentaires qui prévoient la publication d’informations pour les points de sortie auxquels est raccordé un seul client final. Cette existence de points de sortie individuels dans le réseau de transport prouve que le législateur européen a anticipé et validé la possibilité technique de tels branchements directs. La Cour conclut que les articles 2 et 23 de la directive « ne s’opposent pas à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle le transport de gaz naturel comprend le transport de gaz naturel directement vers le réseau d’approvisionnement ». La portée de cet arrêt consacre donc une large marge de manœuvre nationale pour définir les modalités de raccordement physique des consommateurs.