La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 24 février 2022, interprète le principe d’égalité de traitement en matière de sécurité sociale. La juridiction est saisie d’un renvoi préjudiciel portant sur l’exclusion des employés de maison du bénéfice des prestations de chômage en droit espagnol. Une employée de maison conteste le refus d’affiliation opposé par l’administration au motif que la législation nationale interdit expressément cette protection spécifique. Le tribunal administratif numéro deux de Vigo interroge la Cour sur la compatibilité de cette mesure avec la directive relative à l’égalité entre sexes. Le litige soulève la question d’une discrimination indirecte frappant un groupe professionnel composé presque exclusivement de femmes dans le système de sécurité sociale. La Cour répond que le droit de l’Union s’oppose à une telle exclusion si elle désavantage particulièrement les femmes sans justification objective et nécessaire.
I. La caractérisation d’une discrimination indirecte liée à la composition sexuelle du groupe professionnel
A. La mise en évidence d’un désavantage particulier pour les travailleuses
L’analyse de la Cour débute par la vérification d’un traitement défavorable affectant une proportion significativement plus élevée de personnes d’un sexe déterminé. La notion de discrimination indirecte suppose une mesure apparemment neutre mais produisant des effets disparates au détriment des travailleuses par rapport aux travailleurs. En l’espèce, les données montrent que les femmes représentent plus de quatre-vingt-quinze pour cent des affiliés au système spécial des employés de maison. Cette exclusion prive donc une catégorie professionnelle féminine d’un droit fondamental reconnu à la quasi-totalité des autres salariés du régime général. Le désavantage est manifeste puisque « l’exclusion de la protection contre le chômage impliquerait également l’impossibilité d’accéder à toute autre prestation subordonnée à l’extinction de ce droit ».
B. L’obligation de vérification des données statistiques par le juge national
Le juge national doit apprécier la portée des chiffres fournis pour confirmer l’existence d’une discrimination prohibée par le droit de l’Union européenne. La méthode comparative impose de mesurer les proportions de travailleurs affectés au sein de la main-d’œuvre féminine et de la main-d’œuvre masculine concernée. Les statistiques produites ne doivent pas exprimer de simples phénomènes fortuits ou conjoncturels mais révéler une véritable tendance structurelle du marché de l’emploi. La Cour rappelle que l’appréciation de la fiabilité et de la représentativité des données statistiques relève de la compétence exclusive de la juridiction nationale. L’article 4 de la directive 79/7 trouve application dès lors que le désavantage identifié frappe une majorité écrasante de travailleuses dans le secteur.
II. L’absence de justification objective de l’exclusion de protection sociale
A. Le constat d’une incohérence dans l’application de la politique législative
L’État membre invoque des objectifs de sauvegarde de l’emploi et de lutte contre la fraude pour justifier la restriction des droits sociaux litigieuse. La Cour admet que ces finalités constituent en principe des objectifs légitimes de politique sociale relevant de la marge d’appréciation des autorités nationales. Toutefois, une mesure restrictive ne peut être validée que si elle est mise en œuvre de manière réellement cohérente et parfaitement systématique. Le juge européen relève ici que d’autres catégories de travailleurs domestiques, comme les jardiniers ou chauffeurs particuliers, bénéficient pourtant de la protection. L’exclusion des seuls employés de maison « n’apparaît pas être mise en œuvre d’une manière cohérente par rapport à d’autres catégories de travailleurs ».
B. Le caractère disproportionné de l’exclusion au regard des droits sociaux
La validité de la disposition nationale suppose enfin que les moyens choisis n’excèdent pas ce qui est strictement nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi. L’exclusion totale des prestations de chômage engendre des conséquences graves sur l’accès à d’autres aides sociales ou à des pensions d’incapacité permanente. Ce manque de protection sociale place les travailleuses dans une situation de détresse sans que la nécessité absolue de la mesure soit démontrée. La Cour considère que les éléments fournis ne prouvent pas l’aptitude de l’exclusion à prévenir efficacement le travail illégal ou la fraude. Le droit de l’Union interdit par conséquent une règle nationale qui sacrifie la protection d’un groupe vulnérable sans fondement objectif étranger au sexe.