Par un arrêt du 24 février 2022, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en première chambre, s’est prononcée sur la compatibilité d’un régime de sanctions national avec les principes généraux du droit de l’Union. En l’espèce, l’exploitant d’un bar-tabac s’était vu reprocher la vente de cigarettes à une personne mineure, en violation de la législation italienne. En conséquence de ce manquement, l’autorité administrative compétente lui a infligé une sanction pécuniaire ainsi qu’une mesure de suspension de sa licence d’exploitation pour une durée de quinze jours. L’exploitant a contesté cette mesure de suspension, la jugeant disproportionnée, devant les juridictions administratives italiennes. Saisi en appel du litige, le Conseil d’État italien a alors décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice à titre préjudiciel. Il était ainsi demandé à la Cour si le principe de proportionnalité s’opposait à une réglementation nationale qui impose, dès la première infraction à l’interdiction de vente de produits du tabac aux mineurs, une sanction administrative accessoire et automatique de suspension de licence, s’ajoutant à une amende. La Cour a estimé que le principe de proportionnalité ne s’oppose pas à une telle réglementation, pour autant qu’elle n’excède pas ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation de l’objectif de protection de la santé humaine. La solution de la Cour repose sur une analyse précise du cadre juridique applicable avant de pouvoir examiner la proportionnalité de la sanction (I), ce qui la conduit à affirmer la prévalence de l’objectif de santé publique sur les considérations économiques (II).
I. La détermination du fondement juridique de l’obligation de sanctionner
La Cour de justice a d’abord écarté l’application de la directive 2014/40/UE au cas d’espèce, au profit d’une convention internationale constituant la véritable source de l’obligation étatique.
A. Le rejet d’une harmonisation par la directive 2014/40
La juridiction de renvoi interrogeait la Cour sur la compatibilité de la sanction nationale avec plusieurs dispositions de la directive 2014/40, notamment son article 23, paragraphe 3, qui impose des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives ». Toutefois, la Cour a constaté que le champ de cette directive ne couvrait pas la situation litigieuse. Elle a rappelé qu’il ressort de son considérant 48 que ce texte « n’harmonise ni les règles relatives aux environnements sans tabac, ni les modalités de vente et de publicité sur les marchés nationaux, ni les règles en matière d’extension de marque, et elle n’introduit pas non plus de limite d’âge ». L’interdiction de la vente de tabac aux mineurs et les sanctions afférentes ne relèvent donc pas du champ d’harmonisation de la directive. En conséquence, un État membre qui légifère dans ce domaine ne met pas en œuvre le droit de l’Union au sens de la directive, rendant son article 23 inapplicable.
B. L’application de la Convention-cadre de l’OMS
La Cour a ensuite identifié le véritable fondement de l’obligation en droit de l’Union. La Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT), approuvée au nom de l’Union, fait partie intégrante de son ordre juridique. Or, son article 16, paragraphe 1, impose à chaque partie d’adopter des « mesures efficaces au niveau gouvernemental approprié pour interdire la vente de produits du tabac aux personnes qui n’ont pas atteint l’âge prévu en droit interne ». Le paragraphe 6 de ce même article précise que chaque partie doit adopter des mesures efficaces, « y compris des sanctions à l’encontre des vendeurs », afin d’assurer le respect de cette obligation. La réglementation nationale en cause constitue donc une mesure de mise en œuvre de la CCLAT. En agissant dans ce cadre, l’État membre est tenu de respecter les principes généraux du droit de l’Union, au premier rang desquels figure le principe de proportionnalité, ce qui justifie la compétence de la Cour pour apprécier la législation litigieuse à l’aune de ce principe.
II. L’appréciation de la proportionnalité de la sanction au regard de l’objectif de santé publique
Une fois le cadre juridique établi, la Cour a examiné si la sanction contestée respectait les exigences de proportionnalité, en validant le cumul des sanctions pour son effet dissuasif et en faisant prévaloir l’impératif de santé publique.
A. La justification du cumul des sanctions par son caractère dissuasif
La Cour a reconnu qu’une sanction doit être apte à atteindre l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire. En l’espèce, la législation nationale prévoit une amende et une suspension de licence. La Cour a pris en compte l’argument selon lequel « des considérations économiques ont amené les revendeurs de produits du tabac à prendre le risque d’être sanctionnés ». Elle en a déduit qu’un système prévoyant, en plus de l’amende, la suspension de la licence « peut fortement affaiblir, voire éliminer, les considérations économiques susceptibles d’amener des revendeurs de produits du tabac à vendre des produits du tabac aux mineurs ». Le cumul apparaît ainsi comme une mesure appropriée pour assurer un effet réellement dissuasif et atteindre l’objectif de réduction du tabagisme chez les jeunes.
B. La prépondérance de la protection de la santé sur les intérêts économiques
La Cour a ensuite mis en balance les inconvénients de la mesure pour l’opérateur économique avec l’importance de l’objectif de santé publique. Elle a rappelé avec force sa jurisprudence constante selon laquelle « l’objectif de protection de la santé revêt une importance prépondérante par rapport aux intérêts d’ordre économique, l’importance de cet objectif étant susceptible de justifier des conséquences économiques négatives, même d’une ampleur considérable ». Dans ce contexte, une suspension de licence limitée à quinze jours pour une première infraction n’apparaît pas comme une atteinte démesurée au droit d’exercer une activité entrepreneuriale. La Cour a par ailleurs noté que le régime de sanctions prévoit une certaine gradation, puisque l’amende est modulable et la révocation de la licence n’est envisagée qu’en cas de récidive. La mesure contestée, par sa durée limitée et son caractère temporaire, ne dépasse donc pas les limites de ce qui est nécessaire pour protéger la santé humaine.