Cour de justice de l’Union européenne, le 24 février 2022, n°C-52/21

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 24 février 2022, un arrêt relatif à la compatibilité d’une réglementation fiscale nationale avec la libre prestation des services. Cette décision s’inscrit dans un contentieux portant sur les conditions de déduction des dépenses liées à l’acquisition de services auprès de prestataires établis dans un autre État membre.

Les requérantes au principal, deux sociétés établies en Belgique, avaient contractuellement confié à un prestataire luxembourgeois des missions de transport de médicaments durant plusieurs exercices comptables. En dépit de la réalité des prestations, l’administration fiscale a refusé la déduction de ces frais professionnels faute de production de documents justificatifs spécifiques. Ces contribuables ont fait l’objet d’avis de rectification visant à soumettre les sommes litigieuses à une cotisation distincte s’élevant à 50 ou 100 % des dépenses.

Le tribunal de première instance de Liège a rejeté les recours formés par les deux sociétés par deux jugements rendus le 25 octobre 2018. Saisie d’un appel, la cour d’appel de Liège a décidé, le 4 décembre 2020, de surseoir à statuer afin d’interroger la juridiction européenne sur la validité de cette pratique. La question de droit est de savoir si l’obligation de transmettre des relevés spécifiques pour les seuls services transfrontaliers, sous peine d’une lourde majoration fiscale, constitue une restriction interdite.

La Cour juge qu’une telle réglementation constitue une entrave à la liberté de prestation dès lors qu’elle rend les services transfrontaliers moins attrayants pour les acheteurs. Elle précise également que la lutte contre la fraude fiscale ne saurait justifier une sanction automatique dont le montant s’avère manifestement disproportionné au regard de l’objectif poursuivi. L’analyse de cette solution exige d’étudier la caractérisation de l’entrave avant d’apprécier le rejet des justifications liées à l’efficacité des contrôles fiscaux.

I. L’identification d’une entrave discriminatoire à la libre prestation des services

A. Le constat d’une disparité de traitement procédural

La Cour rappelle d’emblée que « l’article 56 TFUE s’oppose à l’application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre les États membres plus difficile ». En l’espèce, le droit national impose aux acheteurs de services étrangers la production de fiches individuelles et de relevés récapitulatifs pour permettre la déduction des frais.

Cette exigence formelle ne s’applique pas aux prestations purement internes en raison d’une pratique de tolérance administrative dispensant les redevables de ces formalités pour les prestataires résidents. La juridiction européenne souligne que cette différence de traitement repose exclusivement sur le lieu d’établissement du prestataire de services, créant ainsi une distinction entre les opérateurs économiques.

B. La caractérisation d’un effet dissuasif pour le destinataire des services

La décision souligne que « constituent de telles restrictions à la libre prestation des services les mesures nationales qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté ». L’obligation déclarative assortie d’un régime de sanction sévère est de nature à dissuader les entreprises de solliciter des prestataires situés dans d’autres États membres.

Le destinataire des services subit une charge administrative supplémentaire et un risque financier accru qui n’existent pas lors d’une relation commerciale avec une entité établie sur le territoire national. Cette entrave est constituée même si la restriction est de faible portée, conformément à une jurisprudence constante protégeant l’exercice des libertés fondamentales du traité.

II. L’insuffisante justification de la mesure par l’efficacité des contrôles fiscaux

A. La validation de principe d’un objectif d’intérêt général

L’administration justifie sa réglementation par la nécessité de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux et de lutter contre l’évasion des revenus professionnels vers l’étranger. La Cour admet que « la nécessité de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction ».

Les autorités nationales estiment que la transmission de ces fiches permet d’informer l’État membre d’établissement du prestataire afin de vérifier la régularité des déclarations de revenus. Toutefois, la Cour relève que les directives européennes relatives à la coopération administrative offrent déjà des outils suffisants pour obtenir les renseignements nécessaires auprès des autres administrations.

B. Le caractère disproportionné de la sanction pécuniaire automatique

La juridiction européenne censure la proportionnalité de la mesure en relevant que la cotisation distincte frappe le contribuable indépendamment de toute fraude fiscale réelle. Elle observe qu’« une sanction consistant en une majoration de l’impôt d’un montant pouvant représenter 50 %, voire 100 % de la valeur des services concernés (…) va au-delà de ce qui est nécessaire ».

L’automatisme de la sanction, applicable même lorsque le prestataire a régulièrement déclaré ses revenus dans son pays, excède les nécessités de la vérification fiscale. La Cour conclut que le dispositif national est incompatible avec le droit de l’Union, car il pénalise excessivement les échanges transfrontaliers sans offrir de garanties équitables aux contribuables.

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Hassan KOHEN
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