Par un arrêt rendu sur pourvoi, la Cour de justice de l’Union européenne annule une décision du Tribunal de première instance en date du 2 décembre 2008. Le litige portait sur le droit des marques et, plus spécifiquement, sur les conditions de protection d’une marque jouissant d’une renommée face au dépôt d’une marque identique pour des produits différents.
Une société avait déposé une demande d’enregistrement de marque communautaire pour un signe verbal correspondant au nom d’une personnalité connue, afin de désigner des appareils et instruments électroniques. Cette personnalité, titulaire d’une marque verbale antérieure identique enregistrée pour des produits de mode et de cosmétique, a formé opposition à l’enregistrement. Les instances de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur ont accueilli cette opposition, considérant que l’usage de la marque demandée tirerait un profit indu de la renommée de la marque antérieure. Saisi d’un recours par la société déposante, le Tribunal a confirmé cette analyse en jugeant que la renommée de la personne suffisait à caractériser un tel avantage indu. Un pourvoi a donc été formé devant la Cour de justice, contestant l’interprétation des dispositions relatives à la protection des marques de renommée. Il était demandé à la Cour de déterminer si le Tribunal avait correctement appliqué les critères légaux permettant de refuser l’enregistrement d’une marque au motif qu’elle tirerait indûment profit de la renommée d’une marque antérieure.
La Cour de justice censure le raisonnement du Tribunal. Elle juge que celui-ci a commis une erreur de droit en ne vérifiant pas toutes les conditions requises pour établir l’existence d’un profit indu. Le Tribunal ne pouvait déduire un tel profit de la seule célébrité de la personne titulaire de la marque antérieure sans analyser de manière plus approfondie le lien entre les marques en conflit et la nature de l’avantage retiré.
La décision de la Cour de justice constitue un rappel orthodoxe des conditions strictes de mise en œuvre de la protection élargie des marques de renommée. Elle impose une application rigoureuse de la méthode d’analyse (I), tout en laissant ouverte la question de l’influence réelle de la célébrité d’une personne dans l’appréciation du risque de parasitisme (II).
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I. Le rappel à une application rigoureuse des conditions de protection des marques de renommée
La Cour de justice censure le Tribunal pour ne pas avoir respecté les étapes successives de l’analyse imposée par le droit de l’Union. Elle réaffirme ainsi l’obligation de constater l’existence d’un lien entre les signes en conflit (A) avant de pouvoir conclure à l’iniquité de l’avantage qui en serait retiré (B).
A. L’exigence préalable d’un lien établi entre les marques en conflit
La Cour rappelle que la protection d’une marque de renommée contre un usage pour des produits ou services non similaires est subordonnée à la preuve cumulative de plusieurs conditions. Parmi celles-ci, il est impératif de démontrer qu’il existe, dans l’esprit du public pertinent, un lien entre la marque antérieure et le signe postérieur. Le Tribunal s’était pourtant dispensé d’une telle recherche, se concentrant quasi exclusivement sur la notoriété de la personne titulaire de la marque. La Cour souligne que le juge de première instance « s’est limité à constater que l’usage de la marque demandée tirerait indûment profit de la renommée de la marque antérieure, sans avoir préalablement établi l’existence d’un lien entre les marques en conflit ». Cette omission constitue une erreur de droit, car ce lien ne saurait être présumé, même en présence de signes identiques. Le Tribunal aurait dû examiner si le public pertinent, confronté à la marque demandée pour des appareils électroniques, établirait une connexion avec la marque antérieure désignant des produits de mode.
B. La nécessaire caractérisation du caractère indu du profit
Au-delà de l’absence de recherche d’un lien, la Cour critique la déduction quasi automatique du caractère indu du profit. Le Tribunal avait estimé que la renommée de la personne suffisait à elle seule à rendre inéquitable tout avantage commercial tiré de l’usage de son nom comme marque par un tiers. Or, la Cour de justice précise que tout avantage n’est pas nécessairement indu. Elle juge que « le Tribunal a commis une erreur de droit en déduisant le profit indûment tiré de la renommée de la marque antérieure de la seule renommée […] de l’intervenante ». Pour être qualifié d’indu, le profit doit résulter d’une forme de parasitisme, par lequel le déposant cherche à se placer dans le sillage de la marque de renommée afin de bénéficier de son pouvoir d’attraction, de sa réputation et de son prestige. Une telle démonstration impose une analyse globale prenant en compte la force de la renommée de la marque antérieure, le degré de similitude entre les signes et la nature des produits concernés, ce que le Tribunal n’avait pas fait.
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II. L’influence persistante de la célébrité dans l’appréciation du parasitisme
Bien que l’arrêt réaffirme une approche juridique stricte, il ne neutralise pas pour autant l’influence de la célébrité dans les litiges de marques. La décision recentre le débat sur le terrain exclusif du droit des marques (A), mais la renommée de la personne demeure indirectement un facteur déterminant dans l’appréciation du litige (B).
A. Le recentrage du débat sur le seul terrain du droit des marques
En censurant le Tribunal, la Cour de justice opère une distinction claire entre la protection conférée par le droit des marques et celle qui pourrait découler du droit au nom ou du droit de la personnalité. Le Tribunal avait semblé fusionner ces deux approches en fondant son analyse sur l’image et la notoriété de l’individu. La Cour rappelle que l’article pertinent du règlement sur la marque communautaire vise à protéger l’investissement du titulaire de la marque et la fonction de celle-ci, non à consacrer un droit absolu de la personne sur l’exploitation commerciale de son nom. Cette clarification est bienvenue, car elle évite une confusion des régimes juridiques et préserve la spécificité du droit des marques, dont la finalité est de garantir l’origine des produits et services et non de régir les attributs de la personnalité. Le raisonnement doit donc rester focalisé sur les fonctions de la marque et les risques d’atteinte à celle-ci.
B. La prise en compte implicite de la notoriété personnelle
L’annulation de l’arrêt du Tribunal ne signifie pas que la marque demandée pourra être enregistrée. L’affaire est en effet renvoyée devant le Tribunal pour qu’il statue à nouveau en appliquant la méthodologie correcte. Dans ce cadre, la célébrité de la titulaire de la marque antérieure restera un élément de fait essentiel. C’est précisément cette célébrité qui fonde la renommée de sa marque et qui rend plausible l’existence d’un lien dans l’esprit du public. De même, c’est cette célébrité qui rend probable un transfert d’image positif dont le déposant chercherait à bénéficier. Si l’analyse ne peut se fonder sur la seule notoriété, cette dernière irrigue néanmoins toutes les étapes du raisonnement. La décision de la Cour de justice a donc pour portée de discipliner l’analyse juridique sans pour autant nier la réalité économique et marketing selon laquelle l’association avec une personne célèbre constitue un avantage concurrentiel majeur.