Par un arrêt rendu en grande chambre, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur la procédure de conclusion des accords internationaux relevant de la politique étrangère et de sécurité commune. En l’espèce, le Conseil de l’Union européenne avait autorisé la signature et la conclusion d’un accord avec la République de Maurice, portant sur le transfert de personnes suspectées d’actes de piraterie, appréhendées par la force navale de l’Union. Cet accord s’inscrivait dans le cadre de l’opération militaire Atalanta, visant à lutter contre la piraterie au large des côtes somaliennes. Le Conseil avait adopté sa décision sur le fondement des dispositions du traité relatives à la politique étrangère et de sécurité commune, sans solliciter l’approbation ni même la consultation du Parlement européen. Ce dernier, informé de l’adoption de la décision plus de trois mois après celle-ci, a saisi la Cour d’un recours en annulation. Le Parlement soutenait que la procédure suivie était irrégulière, d’une part parce que l’accord ne relevait pas exclusivement de la politique étrangère et de sécurité commune et aurait donc dû recevoir son approbation, et d’autre part en raison de la violation par le Conseil de son obligation d’information immédiate et pleine. La question juridique posée à la Cour était donc double : elle devait d’abord déterminer si un accord, bien que principalement lié à la politique de sécurité, mais comportant des éléments accessoires de coopération judiciaire, nécessitait l’intervention du Parlement. Ensuite, il lui incombait de statuer sur la nature et les conséquences de l’obligation d’information du Parlement dans le cadre de la conclusion d’accords internationaux. La Cour a annulé la décision du Conseil, tout en rejetant le premier argument du Parlement, considérant que seule la violation du droit à l’information justifiait une telle sanction. La solution retenue clarifie ainsi l’articulation entre les compétences des institutions dans le domaine de l’action extérieure de l’Union (I), tout en consacrant la portée substantielle de l’obligation de transparence à l’égard de l’assemblée représentative (II).
I. La clarification de la procédure de conclusion des accords PESC
La Cour de justice a d’abord examiné le moyen tiré de la base juridique procédurale de la décision. Elle a rejeté l’argumentation du Parlement en s’appuyant sur une interprétation stricte des compétences respectives des institutions (A), ce qui l’a conduite à affirmer un principe de symétrie entre les procédures internes et externes (B).
A. Le rejet d’une interprétation extensive des prérogatives parlementaires
Le Parlement européen soutenait que l’accord avec la République de Maurice ne portait pas « exclusivement » sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), au sens de l’article 218, paragraphe 6, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Selon lui, l’accord contenait des dispositions relatives à la coopération judiciaire en matière pénale et à la coopération policière, domaines qui relèvent de la procédure législative ordinaire et qui, par conséquent, exigent son approbation. La Cour a écarté cette analyse en appliquant sa jurisprudence constante relative au choix de la base juridique. Elle rappelle que « si l’examen d’une mesure démontre qu’elle poursuit deux finalités ou qu’elle a deux composantes et si l’une de ces finalités ou de ces composantes est identifiable comme étant principale tandis que l’autre n’est qu’accessoire, l’acte doit être fondé sur une seule base juridique, à savoir celle exigée par la finalité ou la composante principale ou prépondérante ». En l’espèce, la Cour a estimé que l’objectif principal de l’accord était la mise en œuvre de l’opération Atalanta, une mission relevant de la politique de sécurité et de défense commune, elle-même partie intégrante de la PESC. Les aspects de coopération judiciaire n’étaient qu’accessoires à cette finalité principale. Le Parlement ayant lui-même admis le caractère principal de la dimension PESC, la Cour en a déduit que le fondement matériel de la décision sur l’article 37 du traité sur l’Union européenne était correct.
B. La consécration du parallélisme des procédures interne et externe
L’apport majeur de la Cour sur ce point réside dans la liaison qu’elle établit entre la base juridique matérielle de l’acte et la procédure de conclusion qui en découle. Elle juge que l’exception prévue à l’article 218, paragraphe 6, TFUE, qui exclut l’intervention du Parlement pour les accords portant « exclusivement » sur la PESC, doit être interprétée à la lumière de la base juridique matérielle de l’acte de conclusion. La Cour énonce ainsi que « l’article 218, paragraphe 6, TFUE établit une symétrie entre la procédure d’adoption de mesures de l’Union sur le plan intérieur et la procédure d’adoption des accords internationaux afin de garantir que, en rapport avec un domaine donné, le Parlement et le Conseil disposent des mêmes pouvoirs ». Autrement dit, puisque le Parlement ne dispose que de compétences très limitées dans le domaine de la PESC sur le plan interne, il ne saurait en avoir de plus étendues sur le plan externe pour un accord relevant de ce même domaine. Dès lors qu’il est établi que la décision de conclusion est valablement fondée sur une base juridique PESC, la procédure à suivre est celle qui exclut l’approbation ou la consultation parlementaire. Cette solution renforce la sécurité juridique en assurant une cohérence entre le fondement matériel d’un acte et la procédure de son adoption.
Si le recours est rejeté sur ce premier point, la Cour accueille en revanche le second moyen, reconnaissant une portée considérable à l’obligation d’information.
II. La portée substantielle de l’obligation d’information du Parlement
La Cour de justice a annulé la décision attaquée en se fondant sur la violation par le Conseil de son obligation d’informer le Parlement. Elle qualifie cette obligation de forme substantielle dont le non-respect vicie la procédure (A), renforçant par là même le contrôle démocratique sur la politique extérieure de l’Union (B).
A. La violation d’une forme substantielle par le défaut d’information immédiate
Le second moyen du Parlement portait sur la violation de l’article 218, paragraphe 10, TFUE, qui dispose que « le Parlement européen est immédiatement et pleinement informé à toutes les étapes de la procédure ». En l’espèce, le Conseil n’avait notifié l’adoption de la décision au Parlement que trois mois après celle-ci. La Cour constate sans équivoque le manquement du Conseil à son obligation. Elle juge que cette exigence procédurale constitue une forme substantielle, car elle est l’expression d’un principe démocratique fondamental. L’information du Parlement a pour but de lui permettre « d’exercer un contrôle démocratique sur l’action extérieure de l’Union et, plus spécifiquement, de vérifier que ses attributions sont respectées précisément en conséquence du choix de la base juridique d’une décision portant conclusion d’un accord ». Le fait de priver le Parlement de cette information en temps utile l’empêche de faire valoir son point de vue et de contester, le cas échéant, la base juridique retenue par le Conseil avant que l’acte ne soit définitivement adopté. La Cour considère que le non-respect de cette obligation porte atteinte à l’exercice même des fonctions du Parlement.
B. Le renforcement du contrôle démocratique sur la politique extérieure de l’Union
La portée de cet arrêt est significative. En érigeant l’obligation d’information au rang de forme substantielle dont la violation entraîne l’annulation de l’acte, la Cour confère au Parlement un levier de contrôle important, y compris dans le domaine de la PESC où ses pouvoirs sont par ailleurs limités. Même s’il ne peut pas approuver ou bloquer un accord relevant exclusivement de la PESC, son droit à une information immédiate et complète lui garantit la possibilité d’exercer un contrôle politique et juridique sur l’action du Conseil. Cette jurisprudence contraint le Conseil à une plus grande transparence et permet au Parlement de vérifier que l’équilibre institutionnel voulu par les traités est respecté. La Cour souligne que « la méconnaissance de cette exigence d’information porte, dans ces conditions, atteinte aux conditions d’exercice, par le Parlement, de ses fonctions dans le domaine de la pesc et constitue en conséquence une violation d’une forme substantielle ». L’annulation de la décision, tout en maintenant ses effets pour des raisons de sécurité juridique et pour ne pas entraver la lutte contre la piraterie, constitue une sanction claire du manquement du Conseil et une réaffirmation du rôle du Parlement comme gardien des principes démocratiques au sein de l’Union.