Un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne illustre la rigueur avec laquelle elle contrôle le respect par les États membres de leurs obligations de transposition des directives environnementales. En l’espèce, la Commission européenne a engagé un recours en manquement à l’encontre du Royaume de Belgique. Elle lui reprochait de ne pas avoir correctement et intégralement transposé dans les ordres juridiques de ses régions flamande, wallonne et de Bruxelles-Capitale, la directive 85/337/CEE concernant l’évaluation des incidences de certains projets sur l’environnement. Les griefs portaient notamment sur l’insuffisance des critères de soumission des projets à une évaluation et sur des lacunes dans l’information du public. L’État membre mis en cause a reconnu une partie des manquements, tout en indiquant que des mesures correctives étaient en cours d’élaboration. Le problème de droit posé à la Cour consistait à déterminer si la transposition d’une directive environnementale pouvait être considérée comme complète lorsque les législations nationales ou régionales omettent certains critères d’évaluation prévus par ses annexes ou ignorent des obligations d’information spécifiques. La Cour a constaté le manquement de l’État membre, jugeant que les législations régionales ne respectaient pas les exigences de la directive. Elle a estimé qu’une transposition est incorrecte dès lors qu’elle ne reprend pas l’ensemble des critères et procédures fixés par le texte européen, y compris ses annexes.
La décision de la Cour rappelle ainsi avec fermeté l’obligation pour les États membres d’assurer une transposition complète et effective du droit de l’Union (I), tout en réaffirmant la portée juridique des dispositions contenues dans les directives environnementales (II).
I. La consécration d’une obligation de transposition complète et effective
La Cour sanctionne une transposition qui, par son caractère partiel, dénature les objectifs de la directive. Elle exerce un contrôle méticuleux tant sur les critères de sélection des projets soumis à évaluation (A) que sur le respect des garanties procédurales offertes au public (B).
A. Le contrôle rigoureux des critères de sélection des projets
La Cour de justice censure l’approche réductrice adoptée par certaines réglementations régionales pour déterminer si un projet doit faire l’objet d’une évaluation d’incidences. En effet, celles-ci se fondaient presque exclusivement sur le critère de la « dimension du projet », négligeant les autres critères de sélection pertinents visés à l’annexe III de la directive. La Cour relève, à la suite de la Commission, que cette méthode ne permet pas d’appréhender correctement les risques environnementaux. Un projet composé de multiples petites installations, chacune sous les seuils réglementaires, pourrait ainsi échapper à toute évaluation alors que « l’effet cumulé d’un tel projet pourrait avoir des incidences notables sur l’environnement ». Une telle approche fractionnée contrevient manifestement à l’esprit et à la finalité de la directive, qui est d’assurer une appréciation globale des conséquences environnementales.
En exigeant la prise en compte de l’ensemble des critères de l’annexe III, tels que la localisation du projet ou le cumul de ses effets avec d’autres projets, la Cour garantit que l’évaluation préalable ne soit pas vidée de sa substance par des seuils purement quantitatifs.
B. L’exigence d’une information substantielle du public
Le manquement constaté à l’encontre de la réglementation wallonne révèle une autre facette de l’obligation de transposition. La Cour juge que le droit régional « ne prévoit pas d’obligation de communiquer des informations quant à la nature de la décision susceptible d’être prise ». Cette omission n’est pas un simple détail procédural, mais une atteinte à l’un des piliers de la directive : la participation effective du public au processus décisionnel. Pour que cette participation soit utile, elle doit être éclairée. Le public doit connaître non seulement les caractéristiques du projet, mais aussi la nature des autorisations qui pourraient être délivrées par l’autorité compétente.
En jugeant cette lacune contraire à l’article 7 de la directive, la Cour confirme que la transposition ne se limite pas à une simple reproduction formelle du texte, mais impose la mise en place de garanties concrètes permettant aux citoyens d’exercer leurs droits. L’argument de l’État membre, selon lequel ces dispositions ne créeraient que des obligations entre États, est logiquement écarté au profit d’une lecture garantissant l’effet utile du droit de l’Union.
II. La portée réaffirmée du droit dérivé en matière environnementale
Au-delà de la solution d’espèce, l’arrêt rappelle avec force des principes fondamentaux du droit de l’Union européenne. Il souligne l’inefficacité des défenses dilatoires fondées sur des réformes futures (A) et confirme implicitement la vocation des directives à produire des effets concrets pour les particuliers (B).
A. L’inefficacité des arguments fondés sur une réforme législative en cours
Face aux griefs de la Commission, le Royaume de Belgique a notamment fait valoir que la Région de Bruxelles-Capitale était en train d’adopter des mesures pour remédier à la transposition incorrecte de la directive. La Cour balaye cet argument avec une constance jurisprudentielle établie. Elle énonce que « le fait de prétendre qu’une nouvelle réglementation est en cours d’adoption afin que la réglementation […] assure une transposition correcte […] corrobore la thèse selon laquelle cette réglementation est incomplète ». Un État membre ne peut se prévaloir de ses propres projets de modification législative pour justifier un manquement avéré. L’obligation de transposition doit être satisfaite dans les délais impartis, et c’est à l’aune du droit en vigueur à l’expiration de ce délai que la Cour apprécie la situation.
Cette position stricte est essentielle pour garantir l’application uniforme et simultanée du droit de l’Union sur tout son territoire. Elle empêche les États membres de retarder indéfiniment la mise en conformité de leur législation.
B. La confirmation de la vocation des dispositions des directives à l’effectivité
En rejetant l’argumentation belge concernant le caractère purement interétatique de l’article 7 de la directive, la Cour rappelle que de nombreuses dispositions des directives, même si elles ne sont pas formellement d’effet direct, sont destinées à régir la situation des particuliers. En citant les arrêts antérieurs Commission/Belgique et Commission/Irlande, elle confirme que l’obligation d’information du public est une exigence précise et inconditionnelle qui doit être fidèlement transposée en droit interne. Cette obligation de l’État crée en miroir un droit pour les personnes concernées à être correctement informées.
L’arrêt s’inscrit ainsi dans une jurisprudence qui tend à renforcer l’effectivité des droits garantis par les directives environnementales. Il ne s’agit pas seulement d’harmoniser les politiques des États, mais bien de conférer aux citoyens des instruments juridiques leur permettant de participer activement à la protection de leur environnement.