La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 24 mars 2022, une décision précisant la notion de produits agricoles pour le financement du développement rural. Cette affaire concerne l’interprétation de l’article 17 du règlement n° 1305/2013 relatif au soutien en faveur des investissements matériels dans le secteur agroalimentaire.
L’exploitant d’une structure familiale a sollicité des aides à l’installation et à l’investissement afin de développer la production de gazon en rouleaux pour toitures végétales. L’administration a rejeté ces demandes en estimant que cette activité ne relevait pas du domaine agricole et n’était pas mentionnée à l’annexe I du traité. Saisi d’un recours en annulation, le Conseil d’État de Belgique a décidé de surseoir à statuer pour interroger le juge européen sur cette qualification juridique. La question est de savoir si la production de gazon en rouleaux constitue un produit agricole ouvrant droit aux aides prévues par la réglementation européenne.
I. La reconnaissance du gazon comme produit horticole éligible
A. L’assimilation aux plantes vivantes par le recours à la nomenclature
L’article 38 du traité définit les produits agricoles comme les produits du sol, de l’élevage et de la pêcherie, ainsi que les produits de première transformation. Pour préciser cette définition, la Cour se réfère au chapitre 6 de l’annexe I, intitulé « Plantes vivantes et produits de la floriculture ». Elle mobilise les méthodes d’interprétation de la nomenclature combinée pour déterminer si le gazon en rouleaux entre dans cette catégorie spécifique de végétaux.
Le juge souligne que ce chapitre comprend les produits fournis habituellement par les pépiniéristes ou les fleuristes « en vue de la plantation ou de l’ornementation ». La nomenclature tarifaire mentionne expressément les « autres plantes vivantes », incluant les plantes de plein air et les rouleaux utilisés pour l’aménagement des surfaces engazonnées. Cette analyse textuelle permet d’inclure techniquement le gazon parmi les produits agricoles listés au traité, indépendamment de sa finalité purement alimentaire ou industrielle.
B. La portée de l’usage ornemental du gazon de plein air
L’interprétation de la Cour repose sur la destination du produit, lequel doit être fourni habituellement par des professionnels de l’horticulture pour des travaux de plantation. Le gazon destiné aux toitures végétales répond à ce critère puisqu’il constitue une plante vivante nécessitant des soins agricoles précis pour sa croissance et sa récolte. Cette qualification ne dépend pas de la nature comestible du végétal, mais de son appartenance aux produits de la floriculture et de l’horticulture ornementale.
La Cour précise que les notes explicatives de la nomenclature constituent un instrument important afin d’assurer une application uniforme du droit de l’Union européenne. Elle en déduit que le gazon en rouleaux est susceptible de « relever du chapitre 6 de l’annexe I du traité FUE » et de la notion de produits agricoles. Cette reconnaissance formelle lie la nature du produit à son origine culturale plutôt qu’à une liste limitative de denrées destinées à la consommation.
II. Une application cohérente avec les impératifs du développement rural
A. La prise en compte des objectifs environnementaux de la politique commune
La solution retenue par la Cour s’appuie sur une lecture téléologique du règlement n° 1305/2013, lequel vise notamment à préserver le climat et les ressources. La production de végétaux destinés à l’aménagement de toitures végétales contribue directement à l’objectif de « garantir la gestion durable des ressources naturelles » mentionné par le texte. Le juge européen lie ainsi la qualification juridique du produit aux bénéfices environnementaux générés par l’activité de l’exploitation agricole concernée.
Cette approche permet d’intégrer des productions innovantes dans le champ de la politique agricole commune, dès lors qu’elles participent aux priorités de l’Union européenne. L’interprétation extensive de la notion de produits agricoles favorise alors la diversification des exploitations vers des activités durables et adaptées aux nouveaux enjeux écologiques. Le gazon en rouleaux devient un vecteur de la mise en œuvre de mesures visant à préserver l’environnement urbain et rural.
B. L’éligibilité des investissements matériels liés à la production horticole
Le règlement prévoit que l’aide couvre les investissements matériels concernant la transformation, la commercialisation ou le développement de produits agricoles relevant de l’annexe I du traité. Dès lors que le gazon est qualifié de produit agricole, les investissements nécessaires à sa production, comme l’achat de matériel spécialisé, deviennent éligibles au financement. Cette décision assure une sécurité juridique aux agriculteurs souhaitant investir dans des secteurs horticoles spécifiques souvent perçus comme marginaux par les administrations nationales.
La Cour conclut que la notion de produits agricoles « couvre les plantes utilisées pour l’aménagement de toitures végétales, telles que le gazon en rouleaux ». Les investissements matériels les concernant sont donc susceptibles de bénéficier d’une aide au titre de la mesure de soutien au développement rural. Cette solution renforce l’unité du marché commun en imposant une définition uniforme des produits éligibles aux fonds structurels agricoles sur tout le territoire.