Par deux décisions du 15 juillet 2010, le Tribunal Supremo d’Espagne a saisi la Cour de justice de l’Union européenne d’un renvoi préjudiciel concernant la protection des données. Le litige opposait des organisations professionnelles à une administration nationale au sujet de la légalité d’un règlement d’application d’une loi organique relative aux données personnelles. Ce texte subordonnait le traitement des données sans consentement à leur présence préalable dans des sources accessibles au public, contrairement aux termes de la directive européenne. La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la possibilité pour un État membre d’ajouter une telle condition et sur l’effet direct de la disposition communautaire. La Cour devait déterminer si l’article 7, sous f), de la directive 95/46 s’oppose à une réglementation nationale restreignant ainsi la licéité des traitements. Elle a conclu à l’invalidité de cette exigence supplémentaire et a reconnu l’invocabilité directe de l’obligation de mise en balance des intérêts. L’examen portera d’abord sur l’affirmation de l’exhaustivité des fondements de licéité avant d’analyser la reconnaissance de l’effet direct lié à l’exigence d’une pondération concrète.
I. L’affirmation de l’exhaustivité des fondements de licéité des traitements
A. L’interdiction d’ajouter des conditions nationales modifiant la portée du droit de l’Union
La Cour de justice souligne que l’harmonisation opérée par la directive 95/46 ne se limite pas à un socle minimal mais vise une uniformisation complète. Dès lors, elle déduit de cet objectif que « l’article 7 de la directive 95/46 prévoit une liste exhaustive et limitative des cas » de traitement licite. Les États membres ne disposent pas de la faculté d’introduire de nouveaux principes de légitimation ou de restreindre ceux prévus par le législateur européen. En outre, l’ajout d’une condition liée à la provenance publique des informations constitue une barrière supplémentaire qui altère indûment la portée de l’intérêt légitime. Cette interprétation stricte garantit la libre circulation des informations au sein du marché intérieur tout en maintenant un niveau de protection équivalent pour les citoyens. L’encadrement de la marge d’appréciation nationale permet d’éviter que des disparités législatives ne créent des obstacles aux activités économiques transfrontalières ou ne faussent la concurrence.
B. La distinction nécessaire entre la précision technique et la restriction substantielle des principes
L’article 5 de la directive autorise les États à préciser les conditions de licéité des traitements dans les limites fixées par le cadre communautaire. Toutefois, cette marge de manœuvre ne doit pas conduire à une remise en cause de l’équilibre établi entre la circulation des données et la vie privée. La Cour distingue les mesures nationales de précision technique de celles prévoyant des exigences supplémentaires qui viendraient « modifier la portée de l’un des principes ». Le premier type de mesure demeure autorisé alors que le second type est strictement interdit aux autorités nationales en raison du caractère complet de l’harmonisation. En prescrivant de manière définitive le résultat de la pondération pour certaines catégories de données, la réglementation nationale outrepasse ainsi les limites de sa compétence. La protection des droits fondamentaux ne saurait justifier une exclusion catégorique de traitements qui pourraient s’avérer nécessaires à la réalisation d’un intérêt légitime proportionné.
Cette limitation des compétences nationales s’accompagne logiquement d’une force juridique accrue accordée aux dispositions de la directive afin d’en assurer l’application effective par les juges.
II. La reconnaissance de l’effet direct et l’exigence d’une pondération concrète
A. Le caractère inconditionnel et suffisamment précis de l’intérêt légitime poursuivi
La juridiction européenne confirme que l’article 7, sous f), de la directive présente les caractéristiques requises pour produire un effet direct dans l’ordre juridique interne. Les dispositions en cause apparaissent inconditionnelles et suffisamment précises pour que les particuliers puissent les invoquer utilement devant les juridictions nationales contre l’État défaillant. L’emploi de l’expression « à condition que » ne remet pas en cause cette nature car elle définit simplement l’un des éléments de l’obligation de traitement. La Cour affirme que ledit article « énonce une obligation inconditionnelle » malgré la marge d’appréciation dont disposent par ailleurs les États pour la mise en œuvre globale. Cette reconnaissance permet ainsi au juge national d’écarter toute disposition interne incompatible avec le droit de l’Union afin de protéger les prérogatives des administrés. Les particuliers se voient ainsi accorder le droit d’exiger une application correcte des critères de licéité indépendamment de toute transposition nationale défectueuse ou restrictive.
B. L’obligation d’une mise en balance effective des droits fondamentaux en présence
Le traitement fondé sur l’intérêt légitime repose sur une pondération des droits opposés qui dépend nécessairement des circonstances concrètes de chaque espèce particulière traitée. La Cour rappelle que les autorités doivent tenir compte de l’importance des droits de la personne concernée résultant des articles 7 et 8 de la Charte. Une réglementation nationale ne peut pas exclure de façon « catégorique et généralisée » la possibilité de traiter certaines catégories de données sans une analyse au cas par cas. L’origine des données constitue certes un facteur important de l’atteinte à la vie privée mais elle ne saurait devenir un critère exclusif de licéité. Cette approche individualisée garantit le respect du principe de proportionnalité tout en empêchant une rigidité législative contraire à l’esprit de la protection européenne des données.