Par une décision rendue sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur la compatibilité d’une législation fiscale nationale avec le principe de libre circulation des capitaux. La Cour examine spécifiquement le traitement fiscal des dividendes versés par des sociétés établies dans des États tiers à une société résidente d’un État membre. En l’espèce, une société établie au Portugal a perçu des dividendes provenant de sociétés situées en Tunisie et au Liban. Cette société bénéficiaire a fait l’objet d’un traitement fiscal moins favorable que celui applicable aux dividendes de source nationale, qui bénéficiaient d’une déduction partielle ou intégrale de la base d’imposition.
Contestant cette imposition, la société a saisi une juridiction portugaise. Cette dernière, confrontée à l’interprétation du droit de l’Union, a adressé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si une réglementation nationale qui désavantage la perception de dividendes issus d’États tiers constitue une restriction prohibée à la libre circulation des capitaux garantie par l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La Cour devait également préciser si de telles mesures pouvaient être justifiées et quel était l’effet des accords d’association conclus par l’Union avec les États tiers concernés.
La Cour de justice répond qu’un tel régime fiscal constitue bien une restriction à la libre circulation des capitaux. Elle juge que « une réglementation […] selon laquelle une société résidente d’un État membre peut effectuer une déduction intégrale ou partielle des dividendes de sa base d’imposition, lorsque ceux-ci sont distribués par une société résidente du même État membre, mais ne peut procéder à une telle déduction lorsque la société distributrice est résidente d’un État tiers, constitue une restriction aux mouvements de capitaux ». La Cour admet toutefois que cette restriction peut être justifiée par la nécessité d’assurer l’efficacité des contrôles fiscaux, mais seulement sous des conditions strictes. Enfin, elle affirme l’effet direct des dispositions pertinentes des accords d’association avec la Tunisie et le Liban, renforçant ainsi la protection des investisseurs.
I. La confirmation du caractère restrictif du traitement fiscal différencié
La Cour de justice établit d’abord que le traitement fiscal défavorable des dividendes de source extra-unioniste est une entrave à la libre circulation des capitaux (A), avant de préciser les conditions très strictes dans lesquelles une telle entrave pourrait être justifiée (B).
A. L’application du principe de libre circulation aux dividendes provenant d’États tiers
La Cour rappelle la portée générale de l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui interdit toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres, mais aussi entre les États membres et les pays tiers. Elle confirme qu’une société établie dans un État membre peut se prévaloir de cette disposition pour contester la fiscalité appliquée aux dividendes qu’elle perçoit depuis un État tiers. Le simple fait d’appliquer un régime de déduction fiscale pour les dividendes nationaux tout en l’excluant pour les dividendes étrangers suffit à caractériser une restriction. Cette différence de traitement est susceptible de dissuader les sociétés résidentes d’investir dans des sociétés établies dans des États tiers, entravant ainsi directement les flux de capitaux. La Cour énonce clairement que la réglementation portugaise, en ce qu’elle ne permet pas une déduction pour les dividendes reçus de Tunisie ou du Liban, constitue une telle restriction.
B. L’encadrement strict de la justification par l’efficacité des contrôles fiscaux
Une restriction à une liberté fondamentale peut être admise si elle poursuit un objectif légitime d’intérêt général et respecte le principe de proportionnalité. La Cour examine si la nécessité d’assurer l’efficacité des contrôles fiscaux peut justifier la mesure portugaise. Elle répond par l’affirmative, mais de manière conditionnelle. La justification n’est valable que « s’il s’avère impossible, pour les autorités fiscales de l’État membre dont est résidente la société bénéficiaire, d’obtenir des renseignements de l’État tiers ». La charge de la preuve pèse donc sur l’administration fiscale, qui doit démontrer l’absence de mécanisme d’assistance administrative ou l’impossibilité pratique d’obtenir les informations nécessaires pour vérifier le respect des conditions d’imposition dans l’État de la société distributrice. A contrario, si les informations sont accessibles, la justification tombe et la restriction redevient une violation du droit de l’Union.
II. La portée de la libéralisation étendue par les accords internationaux
Au-delà des principes du traité, la Cour de justice ancre sa solution dans le droit international conventionnel de l’Union en reconnaissant l’effet direct des accords d’association (A), ce qui a pour conséquence de limiter davantage les justifications opposables par les États membres (B).
A. L’invocabilité des accords d’association pour la protection des investissements
La Cour analyse les accords euro-méditerranéens conclus avec la Tunisie et le Liban. Elle juge que leurs articles relatifs aux mouvements de capitaux, respectivement l’article 34 et l’article 31, ont un effet direct. Cela signifie qu’un particulier ou une entreprise peut les invoquer directement devant une juridiction nationale pour s’opposer à une réglementation nationale contraire. En l’occurrence, ces articles interdisent les restrictions au rapatriement des produits des investissements, ce qui inclut les dividendes. La Cour affirme que « [l’article 34 de l’accord avec la Tunisie] a un effet direct et peut être invoqué dans une situation telle que celle en cause au principal ». Cette interprétation confère aux investisseurs une protection juridique supplémentaire, fondée non seulement sur le droit primaire de l’Union, mais également sur ses engagements internationaux. La clause de statu quo prévue à l’article 64 du traité ne peut donc pas être invoquée par l’État membre pour maintenir des restrictions existantes une fois de tels accords entrés en vigueur.
B. La sanction de la violation du droit de l’Union et de ses engagements
La décision précise les conséquences concrètes de l’illégalité de la restriction fiscale. Lorsque les autorités fiscales portugaises peuvent obtenir les informations nécessaires de Tunisie ou du Liban, le refus d’accorder la déduction fiscale est contraire à la fois au droit de l’Union et aux accords d’association. Dans une telle situation, l’État membre ne peut justifier sa pratique. La Cour conclut donc logiquement que l’administration fiscale doit non seulement cesser cette pratique discriminatoire, mais aussi réparer le préjudice subi par le contribuable. Elle énonce sans équivoque que « les montants perçus en violation du droit de l’Union doivent être remboursés, avec intérêts, au contribuable ». Cette solution assure la pleine effectivité du droit de l’Union en garantissant que la violation de la libre circulation des capitaux soit non seulement constatée mais également corrigée par une restitution intégrale des sommes indûment prélevées.