Par une décision dont la portée est significative en matière d’aides d’État, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à clarifier les conséquences d’une mise à exécution anticipée d’une aide, en violation des règles procédurales prévues par les traités.
En l’espèce, une entreprise avait perçu une aide financière octroyée par une autorité publique, avant que la Commission européenne n’ait pu exercer son contrôle et statuer sur la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur. Par une décision ultérieure, la Commission a finalement conclu que l’aide en question était compatible. Toutefois, la question de la sanction de l’illégalité procédurale, tenant au versement prématuré des fonds, a été portée devant les juridictions nationales. Celles-ci ont alors saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle afin de déterminer si le bénéficiaire de l’aide restait redevable d’intérêts pour la période durant laquelle il avait bénéficié des fonds en méconnaissance de l’obligation de suspension. La problématique était étendue au cas où les fonds auraient circulé au sein d’un groupe de sociétés ou proviendraient d’une entreprise contrôlée par l’État.
Le problème de droit soulevé était donc de savoir si l’obligation de rembourser les intérêts liés à un avantage concurrentiel indu, né d’une aide d’État illégalement mise à exécution, subsiste lorsque cette aide est ultérieurement déclarée compatible avec le marché intérieur par la Commission européenne. Il s’agissait également de déterminer si cette obligation était affectée par la structure du versement ou par des transferts de fonds entre entreprises liées.
À cette question, la Cour de justice répond par l’affirmative de manière catégorique. Elle juge que l’obligation de condamner le bénéficiaire au paiement d’intérêts au titre de la période d’illégalité s’applique même si l’aide est ensuite validée sur le fond. Elle précise en outre que cette obligation demeure lorsque les fonds ont été transférés à des entités liées ou proviennent d’une entreprise publique. La Cour de justice consacre ainsi une application rigoureuse de la discipline des aides d’État, garantissant l’effet utile des règles de procédure (I), tout en définissant une conception large de l’obligation de restitution de l’avantage concurrentiel (II).
I. La sanction inflexible de l’illégalité procédurale de l’aide
La solution retenue par la Cour de justice réaffirme avec force la distinction entre la légalité procédurale d’une aide et sa compatibilité matérielle avec le marché intérieur. Elle confirme que l’obligation de restitution des intérêts demeure, nonobstant la validation ultérieure de l’aide par la Commission (A), dans le but de préserver l’effet dissuasif des règles du traité (B).
A. Le maintien du remboursement des intérêts malgré la compatibilité de l’aide
La Cour établit sans équivoque que la décision finale de la Commission validant une aide n’a pas d’effet rétroactif sur l’illégalité de sa mise à exécution. Elle énonce que « l’obligation, incombant aux juridictions nationales, de condamner le bénéficiaire d’une aide d’État mise à exécution en violation de cette disposition au paiement d’intérêts au titre de la période d’illégalité de cette aide s’applique également lorsque, par sa décision finale, la Commission européenne conclut à la compatibilité de ladite aide avec le marché intérieur ». Ce faisant, elle sanctuarise le caractère impératif de l’article 108, paragraphe 3, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Le raisonnement sous-jacent est que l’entreprise bénéficiaire a profité d’un avantage de trésorerie anormal pendant la période d’illégalité, c’est-à-dire entre le versement des fonds et la décision de la Commission. Cet avantage, qui fausse la concurrence, doit être neutralisé. Le paiement d’intérêts compensatoires n’est donc pas une amende, mais le simple rétablissement de la situation qui aurait prévalu si l’État membre avait respecté l’obligation de notification et de suspension. La compatibilité de l’aide sur le fond ne saurait effacer l’avantage concurrentiel indûment obtenu par anticipation.
B. La finalité dissuasive de la protection du contrôle des aides d’État
Au-delà de la simple compensation financière, cette jurisprudence poursuit un objectif de discipline et de dissuasion. En maintenant l’obligation de payer des intérêts, la Cour préserve l’efficacité du système de contrôle préventif des aides d’État confié à la Commission européenne. Si les États membres pouvaient mettre en œuvre des aides sans encourir de sanction financière pour la période d’illégalité, pourvu que l’aide soit finalement jugée compatible, l’obligation de notification préalable serait privée de son effet utile.
Les États seraient incités à verser les aides immédiatement pour soutenir les entreprises nationales, pariant sur une décision favorable de la Commission. Une telle pratique saperait l’autorité de la Commission et créerait une incertitude juridique préjudiciable à l’ensemble des acteurs économiques du marché intérieur. La solution retenue par la Cour a donc pour valeur de garantir que le respect de la procédure demeure la seule voie possible, fermant la porte à toute tentation de passage en force de la part des autorités nationales.
II. L’étendue de l’obligation de restitution de l’avantage concurrentiel
Après avoir solidement ancré le principe de la sanction de l’illégalité, la Cour de justice en précise la portée. Elle adopte une approche fonctionnelle qui neutralise les stratégies de contournement, en se montrant indifférente aux transferts de fonds au sein d’un groupe (A) et en assimilant les aides versées par des entreprises publiques aux aides d’État classiques (B).
A. L’indifférence aux transferts financiers intragroupe
La Cour précise que l’obligation de restitution des intérêts « s’applique également aux aides que ce bénéficiaire a transférées à des entreprises qui lui sont liées ». Cette clarification est essentielle pour prévenir les montages juridiques visant à diluer la responsabilité du remboursement. En effet, une entreprise bénéficiaire pourrait être tentée de transférer rapidement les fonds reçus à une autre société du même groupe, par exemple une filiale ou la société mère, pour ensuite arguer qu’elle n’a plus l’avantage concurrentiel en sa possession.
En adoptant une vision économique de la notion de bénéficiaire, la Cour considère le groupe comme une entité unique. L’avantage de trésorerie profite à l’ensemble du groupe, peu importe la localisation des fonds au sein de sa structure. Cette approche réaliste assure que l’obligation de restitution ne puisse être éludée par de simples jeux d’écritures, garantissant ainsi la pleine efficacité de la sanction et la restauration des conditions de concurrence.
B. L’assimilation des versements par une entreprise contrôlée par l’État
Enfin, la Cour étend son raisonnement aux aides qui ont été « versées par une entreprise contrôlée par l’État ». Cette précision rappelle que la notion d’aide d’État ne se limite pas aux subventions directes provenant du budget de l’État. Des ressources allouées par une entreprise publique, sur lesquelles l’État exerce un contrôle, sont considérées comme des ressources étatiques au sens de l’article 107 du traité. Le fait que l’aide transite par une entité distincte de l’administration centrale ne modifie en rien sa nature.
Cette solution a pour portée de lutter contre les formes déguisées d’aides publiques. Elle empêche les États membres d’utiliser des entreprises publiques comme des intermédiaires pour contourner les règles de notification et de contrôle. En confirmant cette analyse, la Cour renforce la cohérence du droit des aides d’État et assure que toutes les mesures de soutien public, quelle que soit leur forme, soient soumises au même régime de discipline pour garantir l’intégrité du marché intérieur.