La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt rendu le 27 octobre 2022, a tranché une question relative aux conditions d’exonération de l’accise sur l’alcool éthylique destiné à la fabrication de médicaments. En l’espèce, la législation d’un État membre subordonnait le bénéfice de cette exonération, prévue par la directive 92/83/CEE, à la condition que l’alcool importé soit placé sous un régime de suspension de droits, excluant ainsi toute possibilité d’exonération par la voie d’un remboursement ultérieur de la taxe. La Commission européenne, estimant cette exigence contraire au droit de l’Union, a initié une procédure en manquement. Après une phase précontentieuse durant laquelle l’État membre a maintenu sa position en invoquant la nécessité de lutter contre la fraude fiscale, la Commission a saisi la Cour d’un recours en manquement. Elle soutenait que l’obligation d’exonération prévue par la directive revêtait un caractère inconditionnel et que la condition imposée par l’État membre était disproportionnée, car elle privait de fait certains opérateurs du bénéfice de l’exonération sans être justifiée par un risque sérieux et avéré de fraude. L’État membre défendeur, soutenu par un autre État membre intervenant, rétorquait que le régime de suspension de droits constituait une mesure de contrôle efficace et que la directive n’imposait nullement de prévoir une procédure de remboursement. Le litige posait donc la question de savoir si un État membre peut, sans méconnaître ses obligations, conditionner l’exonération d’accise pour l’alcool utilisé dans la fabrication de médicaments exclusivement à l’application d’un régime de suspension de droits. La Cour a rejeté le recours de la Commission, jugeant que la législation nationale était conforme au droit de l’Union. Elle a estimé que si le droit à l’exonération est un principe, les États membres disposent d’une faculté pour en fixer les modalités afin de prévenir la fraude, et que le choix d’imposer un régime de suspension de droits, sans offrir d’alternative de remboursement, ne constitue pas un manquement. L’analyse de cette décision conduit à examiner la validation par la Cour d’une condition d’exonération jugée conforme aux objectifs de la directive (I), avant d’étudier la portée de cet arrêt qui renforce l’autonomie des États membres en matière de contrôle fiscal (II).
I. La validation d’une condition d’exonération jugée conforme aux objectifs de la directive
La Cour, pour rejeter le recours de la Commission, s’appuie sur une double analyse. Elle considère d’abord que le régime de suspension de droits constitue une modalité de contrôle légitime pour l’application de l’exonération (A), puis elle confirme que la mise en place d’un système de remboursement n’est qu’une simple faculté pour les États membres (B).
A. La reconnaissance du régime de suspension de droits comme une condition légitime
La Cour reconnaît que les États membres peuvent conditionner le bénéfice de l’exonération prévue à l’article 27, paragraphe 1, de la directive 92/83. Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle cette faculté doit viser à « assurer l’application correcte et directe de ces exonérations et d’éviter toute fraude, évasion ou abus ». Cependant, elle opère une distinction significative avec des affaires antérieures. Alors que dans des arrêts comme *Repertoire Culinaire* (C-163/09), la Cour avait exigé de l’État membre qu’il démontre un risque sérieux de fraude pour justifier des conditions restrictives, elle adopte ici une approche différente. Elle estime que l’exigence d’un régime de suspension de droits est, par sa nature même, un outil adéquat pour atteindre les objectifs de contrôle et de prévention de la fraude.
La Cour énonce ainsi que « la condition, prévue par la législation polonaise en cause, en vertu de laquelle l’importateur doit avoir recours à un régime de suspension de droits, est, en tant que telle, conforme aux exigences visées à l’article 27, paragraphe 1, de la directive 92/83 ». En conséquence, l’État membre n’était pas tenu de fournir des « éléments concrets, objectifs et vérifiables étayant l’existence d’un risque sérieux de fraude » pour justifier le recours à une telle condition, car celle-ci est intrinsèquement liée à la prévention de ce risque. Ce faisant, la Cour légitime une mesure de contrôle structurante et générale, sans exiger une justification spécifique à la situation de l’alcool destiné à un usage médical.
B. L’interprétation restrictive de la faculté de remboursement
La Commission soutenait qu’un système d’exonération conforme au droit de l’Union devait nécessairement inclure une voie de remboursement pour les opérateurs n’optant pas pour le régime suspensif. La Cour écarte cet argument en procédant à une interprétation littérale de la directive. Elle se fonde sur l’article 27, paragraphe 6, de la directive 92/83, qui dispose que les États membres « peuvent » donner effet aux exonérations par un remboursement de l’accise acquittée. Le verbe employé ne laisse place à aucune ambiguïté quant au caractère facultatif de cette modalité.
La Cour souligne qu’il « découle ainsi du libellé même de cette disposition que la directive 92/83 autorise, mais n’oblige pas, les États membres à appliquer ces exonérations par voie de remboursement ». Elle renforce son analyse en se référant au contexte de la directive, notamment son vingt-troisième considérant qui emploie également le terme « autoriser ». Cette interprétation confirme que le législateur de l’Union a entendu laisser une marge d’appréciation aux États membres quant aux moyens techniques de mise en œuvre des exonérations. En refusant d’imposer le remboursement comme une alternative obligatoire, la Cour préserve la liberté des États dans l’organisation de leur système de perception et de contrôle des accises.
II. La portée de la décision : un renforcement de l’autonomie procédurale des États membres en matière fiscale
Au-delà de la validation de la mesure nationale, l’arrêt précise la répartition des responsabilités dans le contentieux du manquement en matière fiscale (A) et clarifie l’équilibre délicat entre le principe d’une exonération obligatoire et les modalités de son application par les autorités nationales (B).
A. L’application rigoureuse du principe de proportionnalité et de la charge de la preuve
La Commission arguait que l’exigence exclusive du régime de suspension de droits était disproportionnée, car un système de remboursement constituerait une mesure moins contraignante pour les opérateurs économiques. La Cour examine cet argument à l’aune du principe de proportionnalité, mais elle en fait une application stricte en matière probatoire. Elle rappelle qu’il incombe à la Commission, dans le cadre d’un recours en manquement, « d’apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque ».
Or, la Cour constate que la Commission s’est bornée à des affirmations générales sur les coûts supplémentaires qu’impliquerait le régime suspensif, sans les étayer. Plus encore, elle relève que la Commission a elle-même admis, lors de l’audience, que le mécanisme de remboursement pouvait aussi générer des contraintes, notamment en termes de trésorerie pour les importateurs. En l’absence de preuves démontrant le caractère manifestement plus contraignant de la mesure choisie par l’État membre, la Cour conclut que l’allégation de disproportion n’est pas établie. Cette approche pragmatique place la charge de la preuve de manière rigoureuse sur la Commission et limite le contrôle du juge à une appréciation des éléments concrets du dossier.
B. La clarification de l’équilibre entre exonération obligatoire et modalités de contrôle nationales
Cette décision apporte une clarification importante sur la portée de l’obligation d’exonération. Elle confirme que si le droit à l’exonération pour l’alcool utilisé à des fins médicales est inconditionnel dans son principe, ses modalités d’application relèvent de la compétence des États membres, pour autant que les conditions fixées ne soient pas arbitraires et poursuivent un objectif légitime. En validant une condition générale et structurante comme le recours à un entrepôt fiscal, la Cour admet qu’un État membre peut privilégier un système de contrôle préventif et intégré, jugé plus sûr, plutôt qu’un système de contrôle a posteriori basé sur le remboursement.
La portée de cet arrêt n’est donc pas limitée à une simple décision d’espèce. Il établit qu’un État membre n’est pas tenu de proposer plusieurs voies alternatives pour bénéficier d’une exonération fiscale, dès lors que la voie unique proposée est en soi apte à garantir l’objectif de la directive tout en prévenant la fraude. Cette solution offre ainsi une sécurité juridique aux administrations nationales en leur permettant de concevoir des régimes d’exonération basés sur des mécanismes de contrôle robustes, sans craindre qu’ils soient systématiquement jugés disproportionnés au seul motif qu’une alternative, potentiellement moins sécurisée, serait concevable.