Cour de justice de l’Union européenne, le 24 novembre 2022, n°C-638/20

Par un arrêt rendu sur question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les conditions d’octroi d’une aide financière aux études à l’enfant d’un travailleur ayant exercé son droit à la libre circulation. En l’espèce, un ressortissant d’un État membre, après avoir travaillé et fondé une famille dans un État membre d’accueil, était retourné vivre et travailler dans son État membre d’origine. Son enfant, né dans l’État d’accueil, y avait toujours résidé et sollicitait une aide financière pour ses études auprès des autorités de l’État d’origine de son parent. Cette demande fut rejetée au motif que l’enfant ne justifiait pas d’un lien de rattachement suffisant avec cet État, une condition également appliquée aux autres ressortissants non-résidents. Saisie du litige, la juridiction nationale a interrogé la Cour sur la compatibilité d’une telle réglementation avec le droit de l’Union. La question de droit posée était de savoir si l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et l’article 7 du règlement n° 492/2011 s’opposent à ce qu’un État membre subordonne l’octroi de cette aide à l’existence d’un tel lien de rattachement. La Cour de justice y répond par la négative, estimant que la réglementation nationale n’entrave pas la libre circulation des travailleurs. Le raisonnement de la Cour s’articule en deux temps, distinguant d’abord le champ d’application du droit dérivé de l’appréciation au regard du droit primaire.

I. L’INTERPRÉTATION RESTRICTIVE DU CHAMP D’APPLICATION DU RÈGLEMENT N° 492/2011

La Cour commence son analyse en examinant la situation au regard du règlement relatif à la libre circulation des travailleurs, pour ensuite en délimiter strictement le bénéfice aux seules relations avec l’État membre d’accueil.

A. Le rappel de la finalité protectrice du règlement à l’égard de l’État membre d’accueil

La Cour rappelle avec constance la finalité du règlement n° 492/2011, qui est de garantir l’égalité de traitement entre les travailleurs nationaux et les travailleurs migrants. Elle précise que l’article 7, paragraphe 2, de ce règlement assure au travailleur ressortissant d’un État membre le bénéfice des « mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux » sur le territoire des autres États membres. Une aide financière pour les études, telle que celle en cause, constitue sans conteste un avantage social au sens de cette disposition, ainsi que la jurisprudence l’a maintes fois confirmé. Toutefois, la Cour souligne que le bénéfice de cette protection est géographiquement circonscrit. En effet, elle relève que le libellé même des articles 7 et 10 du règlement vise à prémunir le travailleur migrant et sa famille contre les discriminations « sur le territoire “des autres États membres” ». Cette formulation ancre le principe d’égalité de traitement dans le cadre de la relation entre le travailleur et l’État qui l’accueille.

B. L’exclusion de la situation litigieuse du bénéfice de l’égalité de traitement

Fort de ce rappel, la Cour opère une distinction déterminante pour la solution du litige. Elle constate que, dans l’affaire au principal, le droit à l’égalité de traitement n’est pas invoqué à l’encontre de l’État membre d’accueil, mais à l’encontre de l’État membre d’origine du travailleur. Or, le mécanisme de protection du règlement n° 492/2011 n’a pas vocation à régir les obligations de l’État d’origine envers ses propres nationaux après leur retour. La Cour en conclut donc de manière lapidaire que, « le droit à l’égalité de traitement étant invoqué à l’égard des autorités de l’État membre d’origine, l’article 7 du règlement n o 492/2011 n’est pas applicable. » Cette lecture littérale ferme la porte à une application du règlement au cas d’espèce, obligeant la Cour à poursuivre son examen sur le fondement des dispositions du traité.

II. LA VALIDATION DE LA CONDITION DE RATTACHEMENT AU REGARD DE L’ARTICLE 45 TFUE

L’inapplicabilité du droit dérivé n’épuisant pas l’analyse, la Cour examine la mesure nationale à l’aune de la liberté fondamentale de circulation, pour finalement juger son impact trop indirect pour constituer une restriction prohibée.

A. Le déplacement de l’analyse sur le terrain de l’entrave à la libre circulation

La Cour se tourne vers l’article 45 TFUE, qui peut être invoqué par les ressortissants d’un État membre à l’encontre de leur propre État. Cette disposition interdit non seulement les discriminations, mais aussi toute mesure nationale qui « est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice, par les ressortissants de l’Union, de la liberté fondamentale garantie par cet article ». Le champ de l’analyse est donc plus large, portant sur l’existence d’une éventuelle entrave, même indirecte, à la décision d’un travailleur de quitter son pays, d’y revenir ou d’y demeurer. La question devient alors de savoir si le risque, pour un travailleur, que son enfant se voie refuser une aide aux études par son État d’origine en cas de retour, est de nature à le dissuader d’exercer sa mobilité.

B. La qualification de la mesure nationale en simple conséquence aléatoire et indirecte

C’est sur ce point que le raisonnement de la Cour se fait le plus pragmatique et décisif. Elle considère que le lien de causalité entre la réglementation nationale et la décision du travailleur d’exercer sa liberté de circulation est trop ténu. La Cour estime qu’« une telle situation, qui repose sur un ensemble de circonstances trop aléatoires et indirectes, n’est pas en mesure d’exercer une influence sur le choix du travailleur d’exercer sa liberté de circulation ». Elle énumère la succession d’événements hypothétiques nécessaires pour que la mesure produise un effet dissuasif : la naissance d’un enfant, son choix de rester dans l’État d’accueil après le départ de son parent, et sa décision ultérieure de poursuivre des études. Cette approche, qui refuse de voir une entrave dans une conséquence si lointaine et incertaine, établit une distinction nette entre les obstacles directs à la mobilité et les désavantages qui en découlent de manière contingente. En jugeant que la réglementation ne constitue pas une entrave prohibée, la Cour légitime la condition de lien de rattachement imposée par l’État d’origine, marquant ainsi une limite à la portée de la protection accordée aux travailleurs migrants et à leur famille au titre de l’article 45 TFUE.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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