La Cour de justice de l’Union européenne, par une décision du 24 octobre 2013, précise les critères de qualification d’une prestation au regard de la coordination sociale. L’affaire concerne des travailleurs résidant dans un État membre dont l’un exerce son activité salariée sur le territoire d’un État membre voisin. Suite à une réforme législative, une réduction fiscale pour enfants est transformée en une prestation directe versée mensuellement pour chaque enfant ouvrant droit aux allocations. L’organisme gestionnaire décide d’inclure cette somme dans le calcul du complément différentiel destiné à éviter le cumul de prestations de même nature. Les bénéficiaires contestent cette intégration devant les juridictions nationales, invoquant la nature fiscale de l’avantage pour écarter les règles de suspension du règlement européen. La Cour de cassation saisie du litige par une décision du 29 mars 2012 interroge alors la juridiction européenne sur l’interprétation du règlement de sécurité sociale. Les juges de l’Union affirment qu’une prestation octroyée sans appréciation discrétionnaire pour compenser les charges de famille constitue une prestation familiale au sens du droit européen.
I. La consécration de la nature de prestation de sécurité sociale du boni pour enfant
A. L’indifférence de la qualification formelle nationale
La Cour rappelle que la distinction entre les prestations relève essentiellement des éléments constitutifs de chaque avantage, notamment ses finalités et ses conditions d’octroi. La qualification retenue par une législation nationale ou l’appartenance de la mesure au droit fiscal ne sauraient lier l’interprétation des juges de l’Union européenne. « Le fait qu’une prestation relève du droit national fiscal n’est pas décisif pour l’appréciation de ses éléments constitutifs » selon les termes précis de la décision commentée. Les caractéristiques formelles d’une mesure nationale sont ainsi écartées au profit d’une analyse centrée sur la substance juridique de la prestation accordée aux travailleurs. Cette approche garantit une application uniforme du droit de l’Union, empêchant les États membres de soustraire des avantages sociaux au règlement par de simples choix de nomenclature.
B. Le critère matériel de l’octroi objectif et automatique
Une prestation de sécurité sociale suppose un octroi en dehors de toute appréciation individuelle des besoins personnels, sur la base d’une situation légalement définie. L’avantage litigieux est attribué automatiquement dès qu’un enfant est à charge, sans lien nécessaire avec les revenus perçus ou les impôts effectivement dus par l’intéressé. Le mode de financement, qu’il soit contributif ou non, demeure indifférent pour la qualification d’un régime au titre de la protection sociale des travailleurs migrants. La Cour souligne que le mécanisme juridique auquel l’État membre recourt pour mettre en œuvre la prestation n’importe pas pour la reconnaissance de sa nature sociale. Cette objectivité de l’octroi permet d’inclure le boni pour enfant dans le champ d’application matériel du règlement relatif à la libre circulation des travailleurs.
II. L’intégration du boni dans le régime de coordination des prestations familiales
A. La finalité de compensation des charges de famille
Le règlement définit les prestations familiales comme celles destinées à compenser les charges de famille par une participation de la collectivité au budget des foyers. La Cour considère que le versement pour chaque enfant représente une contribution publique visant spécifiquement à alléger les dépenses découlant de l’entretien des membres de la famille. « Le boni pour enfant représente une contribution publique au budget familial » et doit donc être rangé parmi les prestations énumérées par la législation européenne de coordination. Cette finalité sociale prime sur l’origine fiscale de la mesure, dès lors que l’objectif principal est de soutenir financièrement les travailleurs ayant des enfants. L’analyse téléologique permet ainsi de rattacher cette bonification d’office à la branche de sécurité sociale concernant les prestations familiales de manière certaine.
B. L’application du mécanisme de prévention du cumul des droits
L’inscription de cette prestation dans le champ matériel du règlement autorise l’État d’emploi à appliquer les mécanismes de suspension prévus en cas de cumul de droits. Le complément différentiel permet de garantir l’égalité de traitement tout en évitant que le travailleur ne bénéficie deux fois d’un avantage de même nature juridique. Cette solution assure la cohérence du système de sécurité sociale tout en préservant la libre circulation des personnes au sein du marché intérieur de l’Union. Le juge européen valide ainsi l’intégration du boni dans la base de calcul des prestations dues au titre de l’activité professionnelle exercée hors de l’État de résidence. La décision protège les finances sociales de l’État d’accueil tout en maintenant un niveau de protection optimal pour les familles des travailleurs frontaliers.