La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 24 octobre 2013, se prononce sur l’étendue de l’assurance obligatoire des véhicules automoteurs. Cette décision traite de la prise en charge du préjudice moral subi par les proches d’une victime décédée lors d’un accident de la circulation. Un accident mortel survient en 2008 sur le territoire tchèque, impliquant un conducteur slovaque et un passager de même nationalité. L’épouse et la fille du défunt demandent l’indemnisation de leur préjudice extrapatrimonial devant les juridictions slovaques sur le fondement du code civil applicable.
Le Krajský súd v Prešove, saisi de l’appel, s’interroge sur l’obligation pour l’assureur de couvrir une telle réparation au titre des directives européennes. La juridiction de renvoi demande si les dispositions nationales excluant ces dommages de l’assurance obligatoire sont compatibles avec le droit de l’Union. Le litige oppose ainsi la protection des victimes aux limitations prévues par les législations slovaque et tchèque en matière de garantie automobile.
La Cour doit déterminer si les directives imposent la couverture des préjudices immatériels subis par les survivants lorsque le droit national prévoit leur réparation. Elle répond par l’affirmative, précisant que l’assurance doit couvrir tout préjudice résultant d’une atteinte à l’intégrité de la personne selon la responsabilité civile. L’analyse portera sur l’inclusion du préjudice immatériel dans la garantie d’assurance puis sur le renforcement de la protection des victimes par ricochet.
I. L’inclusion impérative du préjudice immatériel dans la garantie d’assurance
A. Une interprétation extensive de la notion de dommage corporel
La Cour de justice adopte une lecture finaliste des directives pour définir les dommages dont la couverture est obligatoire entre les États membres. Elle énonce que « relève de la notion de dommages corporels tout préjudice […] résultant d’une atteinte à l’intégrité de la personne ». Cette définition englobe les souffrances physiques et psychologiques subies par les proches à la suite du décès de la victime directe.
L’objectif de protection des victimes justifie cette interprétation large des concepts de dommage corporel ou de préjudice personnel mentionnés dans les textes européens. Les juges soulignent que ces notions complètent celle de dommage matériel afin de garantir un traitement comparable des sinistres sur tout le territoire de l’Union. La Cour assure ainsi l’uniformité du droit de l’Union en s’appuyant sur les différentes versions linguistiques des directives applicables.
B. La subordination de la garantie au régime national de responsabilité
L’obligation de couverture par l’assurance demeure distincte de l’étendue de l’indemnisation qui relève principalement de la compétence souveraine des États membres. La décision rappelle que l’Union n’harmonise pas les régimes de responsabilité civile mais impose seulement la garantie minimale des dommages prévus par le droit interne. Les États restent libres de déterminer « les dommages causés par des véhicules automoteurs qui doivent être réparés » ainsi que l’étendue de cette réparation.
Cette liberté doit cependant s’exercer dans le respect de l’effet utile des directives relatives à l’assurance de la responsabilité civile automobile. Dès lors que le droit national reconnaît un droit à réparation pour un préjudice immatériel, l’assurance obligatoire doit nécessairement couvrir cette créance. L’arrêt lie ainsi indéfectiblement l’obligation de garantie à l’existence d’une responsabilité civile établie selon les règles matérielles de l’État du for.
II. Le renforcement de la protection des victimes par ricochet
A. L’élargissement du cercle des bénéficiaires de la couverture
La jurisprudence européenne précise que la protection garantie par les directives s’étend à toute personne ayant droit à réparation selon le droit national. La Cour affirme qu’aucun élément ne permet de « restreindre la protection assurée par ces directives aux seules personnes directement impliquées dans un évènement dommageable ». Les membres de la famille proche sont donc considérés comme des tiers lésés pouvant prétendre au bénéfice de l’assurance obligatoire.
Cette solution consacre la figure de la victime par ricochet dont le préjudice personnel naît du décès ou de la blessure d’un proche. Les juges précisent que la troisième directive n’a pas limité le cercle des personnes protégées mais a renforcé la garantie pour les plus vulnérables. L’indemnisation du préjudice immatériel des survivants doit donc être couverte à concurrence des montants minimaux de garantie prévus par la législation européenne.
B. L’effet utile des directives face aux limites du droit interne
Le juge européen écarte les arguments tirés de la structure formelle des codes civils nationaux pour garantir l’application effective du droit communautaire. La circonstance que la réparation du préjudice moral soit prévue par des dispositions autonomes relatives aux droits de la personnalité est jugée indifférente. La Cour souligne que cette responsabilité trouve son origine dans un accident de la circulation et présente une nature civile évidente au sens des directives.
Les États membres ne peuvent donc pas invoquer des distinctions catégorielles internes pour soustraire certains types de dommages à l’obligation de couverture d’assurance. Cette exigence assure que l’intervention de l’assureur soit systématique lorsque la responsabilité civile du conducteur ou du propriétaire du véhicule est engagée. La décision garantit finalement que les victimes indirectes bénéficient d’une solvabilité effective de l’auteur du dommage grâce au contrat d’assurance obligatoire.